Décembre en Europe et en Asie centrale: un tour d'horizon de la liberté d’expressions réalisé, à partir des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La fin de 2020 a été marquée par des décisions injustes et farfelues dans les cas de Can Dündar, Osman Kavala et Selahattin Demirtaş, une escalade de la pression internationale sur le régime prédateur des droits en Biélorussie, un appel d’un expert de l’ONU au président Trump pour une mesure de grâce en faveur de Julian Assange et beaucoup plus.
Peines de prison draconiennes et défi à la CEDH
La répression en cours contre la presse indépendante et les voix de l’opposition en Turquie n’a montré aucun signe de relâchement en décembre, un mois qui a vu des développements importants dans plusieurs cas importants et une législation adoptée qui donne au gouvernement un contrôle plus strict sur les groupes de la société civile.
Le 23 décembre, plusieurs membres de l’IFEX ont exprimé leur indignation lorsque Can Dündar, ancien rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet, a été condamné par contumace à 27 ans and six mois de prison pour espionnage et terrorisme imaginaires. Ces accusations étaient fondées uniquement sur ses activités journalistiques – en particulier sur l’histoire de son ancien journal concernant l’implication des services de renseignements turcs dans le transfert illégal d’armes à des groupes djihadistes en Syrie. Le tribunal a accompagné le verdict d’une nouvelle ordonnance d’arrestation. Dündar vit en exil en Allemagne; le ministère allemand des Affaires étrangères a déclaré qu’il ne l’extraderait pas vers la Turquie.
Le journaliste turc @candundaradasi condamné à plus de 27 ans de prison pour des accusations liées à l’actualité de 2015. « Ils voulaient me punir à cause de cette histoire vraie et en même temps essayer d’intimider d’autres journalistes en Turquie qui osent aborder ce genre de question sensible.»
Le 22 décembre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a décidé que Selahattin Demirtaş, le politicien de l’opposition emprisonné, était détenu pour des raisons politiques et qu’il devait être immédiatement libéré. Demirtaş est en détention provisoire depuis novembre 2016 et fait face à une série d’accusations fallacieuses liées au terrorisme basées uniquement sur ses déclarations politiques. La Cour a estimé que la Turquie avait violé les droits de Demirtaş à la liberté d’expression, à la liberté et à la sécurité, ainsi que son droit d’être élu et de siéger au parlement. Le président Erdoğan a rejeté la décision, affirmant qu’elle n’était pas contraignante pour la Turquie. Ce n’est pas vrai: en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est tenue de se conformer aux décisions de la CEDH.
La Turquie n’a pas non plus respecté la décision de la Cour européenne des droits de l’homme appelant à la libération immédiate d’Osman Kavala, leader de la société civile emprisonné. Kavala est derrière les barreaux depuis plus de trois ans. Initialement détenu pour des accusations liées aux manifestations de 2013 au parc Gezi, il l’est maintenant pour des accusations liées au coup d’État. Le 18 décembre, la 36e Haute Cour pénale d’Istanbul a décidé de le maintenir en prison jusqu’à la prochaine audience dans son cas en février 2021. Emma Sinclair Webb de Human Rights Watch et Caroline Stockford du PEN norvégien ont fait des déclarations accablantes à propos de cette décision.
Suite à la demande de libération de #OsmanKavala rejetée par le tribunal, @TarikBeyhan, directeur des campagnes et de la communication d’Amnesty Turquie (@aforgutu) a déclaré: « Après 3 ans, il est toujours emprisonné mais nous continuerons à faire campagne jusqu’à ce qu’Osman Kavala soit libre » #dokuz8/@puleragema
@ dokuz8news
Le directeur de Human Rights Watch (@hrw) Turquie @ESinclairWebb a commenté l’audience du jour d’Osman Kavala, « c’est l’un des procès-spectacles du siècle précédent et ce genre de procès discrédite le pays ». #dokuz8/@puleragema
Le 29 décembre, la Cour constitutionnelle turque a conclu qu’il n’y avait “aucune violation” du droit à la liberté et à la sûreté lors de la détention en cours de Kavala.
Le 27 décembre, les législateurs turcs ont adopté une loi qui donne aux autorités un pouvoir accru de restreindre les activités des ONG. Bien qu’intitulés « Projet de loi sur la prévention de la propagation des armes de destruction massive », la plupart des articles de la législation portent sur les groupes de la société civile. Le ministère de l’Intérieur pourra désormais remplacer les dirigeants d’ONG poursuivis pour « terrorisme » par de nouveaux membres et suspendre les activités des groupes. La Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a exhorté le parlement turc à abandonner ce projet de loi.
Le #TurkishParliament devrait interrompre les tentatives d’introduire une législation restreignant davantage les activités légitimes des ONG, y compris le remplacement des dirigeants d’ONG faisant face à des enquêtes en vertu des lois antiterroristes par des administrateurs nommés par le gouvernement et des restrictions sur les activités de collecte de fonds. #Turquie
YouTube est devenu la première plateforme internationale de médias sociaux à se soumettre à la loi turque sur Internet récemment modifiée. Le 16 décembre, il a annoncé qu’il « mettrait en place une entité juridique en Turquie pour servir de représentant local, fournissant un point de contact local pour le gouvernement ». ARTICLE 19 et Human Rights Watch ont critiqué la décision, en avertissant que non seulement elle créait un « dangereux précédent » (rendant plus difficile pour les autres entreprises technologiques de refuser de nommer un représentant local), mais aussi qu’elle « conduirait inévitablement à une augmentation de la censure arbitraire, compromettrait la vie privée des gens et le droit d’accès à l’information, et pourrait impliquer YouTube dans des violations des droits humains ».
Des sanctions, des condamnations internationales et une enquête criminelle
Alors que les autorités continuent de cibler la presse indépendante et les voix de l’opposition au Bélarus, la pression internationale sur le régime s’intensifie.
Décembre a vu:
- une nouvelle série de sanctions de l’UE imposées aux « hauts fonctionnaires responsables de la répression violente en cours »;
- des sanctions imposées par le Comité international Olympiques – y compris l’interdiction pour le président Loukachenka d’assister aux Jeux olympiques – parce que le Comité national olympique biélorusse n’avait pas « protégé de manière appropriée… les athlètes biélorusses contre la discrimination politique »;
- une enquête criminelle lancée par la Lituanie contre des responsables du régime bélarussien pour torture présumée de militants de l’opposition détenus;
- 42 Etats à la session du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur la Biélorussie condamnant la répression par les autorités de la presse indépendante et appelant à la mise en œuvre des recommandations du rapport du Mécanisme de Moscou de l’OSCE sur la liberté d’expression et les médias;
- le lancement d’une plateforme en ligne – une initiative du chef de l’opposition Svetlana Tikhanovskaya – pour collecter des preuves qui seront utilisées dans les futures poursuites contre ceux qui sont impliqués dans les violations des droits humains perpetrées par le régime.
Nous nous félicitons de la décision de @Olympiques de suspendre Loukachenka « de toutes les activités olympiques, y compris les Jeux de Tokyo l’année prochaine ». Nos athlètes sont victimes de répressions parce qu’ils dénoncent la violence et la terreur d’État. Nous devons lutter ensemble contre toute injustice au #Belarus.
Les membres de l’IFEX ont continué de réclamer justice au Bélarus. PEN America et PEN International ont collaboré à une déclaration avec PEN Belarus, que la présidente de ce centre, l’écrivain Svetlana Alexievich, a diffusé par video lors de la session susmentionnées du CDH. PEN America a également lancé une série de déclarations vidéo de personnalités politiques américaines exprimant leur solidarité avec les personnes ciblées par le régime biélorusse.
.@SenRubioPress rejoint @penamerica, @pen_belarus et d’autres organisations de défense des droits humains pour réclamer des élections libres et équitables au #Belarus. Il rappelle au peuple bélarussien qu’en luttant pour ses droits, il n’est pas oublié. Il n’est pas seul. #HumanRightsDay #PressFreedom
Afin de mieux faire connaître les événements en Biélorussie, Reporters sans frontières a publié des vidéos d’entretiens avec trois journalistes biélorusses: Natalya Lubneuskaya, Ihar Karnei et Marina Zolotova, rédactrice en chef du site d’information populaire TUT.by.
#Belarus: RSF diffuse 3 vidéos pour alerter les gens sur la situation de la liberté de la presse dans le pays. Voici le témoignage de Marina Zolotova, rédactrice en chef de http://TUT.by,le site d’information le plus populaire du Bélarus.
Ce mois-ci, ARTICLE 19 a continué à compléter sa propre série de vidéos d’entretiens avec des militants des droits et des membres des médias indépendants.
Lors de la Journée des droits humains (le 10 décembre), Des membres de IFEX ont publié une déclaration publique conjointe appelant le Bélarus à mettre fin à la persécution de la presse, des militants et du secteur culturel, à adhérer à toutes les recommandations contenues dans le rapport du Mécanisme de Moscou de l’OSCE et à autoriser l’accès au pays au Bureau du Haut-Commissaire aux droits humains et aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales.
Fin décembre, l’Association polonaise des journalistes, en coopération avec l’Union nationale des journalistes d’Ukraine, l’Association bélarussienne des journalistes et la Fédération européenne des journalistes, a lancé un livre en ligne intitulé « Je suis journaliste. Pourquoi me battez-vous? ». Au travers des entretiens avec des journalistes biélorusses, ce livre documente la persécution des médias indépendants par le régime.
Focus sur le genre
En Roumanie, la Cour constitutionnelle a annulé une loi de juin 2020 interdisant « les activités visant à diffuser la théorie ou les opinions de l’identité de genre » dans les établissements d’enseignement. La loi définit la « théorie de l’identité de genre » comme la croyance selon laquelle « le genre est un concept différent du sexe biologique et les deux ne sont pas toujours les mêmes ». Le genre est largement accepté comme étant une construction sociale, plutôt que déterminé biologiquement (comme le voudrait la loi de juin 2020). Cette législation a été vivement critiquée par les groupes de défense des droits. Cristian González Cabrera de Human Rights Watch a déclaré à ce propos:
« Une interdiction de discuter du genre dans le cadre de l’enseignement limiterait de manière injustifiée les droits des élèves et des enseignants à la libre expression et à l’information, y compris sur le genre. La loi menaçait également le droit à la santé, en particulier pour les enfants transgenres, non binaires et intersexes, pour lesquels la privation de l’accès à des informations sur le genre pourrait avoir des conséquences pernicieuses sur la santé physique et mentale ».
En Hongrie, les législateurs ont voté pour modifier la constitution afin que les couples de même sexe soient effectivement interdits d’adopter les enfants. En vertu de la nouvelle législation, seuls les couples mariés hétérosexuels (le mariage homosexuel n’est pas autorisé en Hongrie) peuvent adopter. Les célibataires pourront toujours présenter une demande d’adoption, mais devront demander une autorisation spéciale à la ministre ultraconservatrice, Katalin Novak, des Affaires familiales.
Ce mois-ci, la commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a appelé la Pologne à inverser la tendance actuelle à l’homophobie qui sévit à la fois dans la politique polonaise et dans la société en général. « Les fonctionnaires et les faiseurs d’opinion devraient cesser de promouvoir une atmosphère de haine et d’intolérance à l’égard des personnes LGBTI », a-t-elle déclaré, « et à la place, améliorer le respect de leurs droits humains. La stigmatisation et le discours de haine comportent un risque réel de légitimation de la violence. Les LGBTI sont des personnes, pas une idéologie ». Le Parti de droite Law and Justice Party (PiS), au pouvoir en Pologne, promeut ouvertement depuis des années l’homophobie et les attitudes et politiques misogynes, y compris la création de prétendues « zones sans LGBT » (qui couvrent actuellement environ un tiers du pays).
The Council of Europe Commissioner for Human Rights, Dunja Mijatović, called on Poland this month to reverse the current trend of homophobia that is rife in both Polish politics and the wider society. “Public officials and opinion makers should stop promoting an atmosphere of hate and intolerance vis-à-vis LGBTI people,” she said, “and instead, improve respect for their human rights. Stigmatisation and hate speech carry a real risk of legitimising violence. LGBTI are people, not an ideology”. Poland’s ruling right wing Law and Justice Party (PiS) has for years openly promoted homophobia and misogynistic attitudes and policies, including the creation of so-called “LGBT-free zones” (which currently cover approximately one third of the country).
Brièvement
Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a lancé, ce mois-ci, un appel public au président américain Donald Trump pour qu’il pardonne au fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Le lanceur d’alerte Assange, actuellement détenu dans la prison britannique de Belmarsh, risque jusqu’à 175 ans de prison s’il était condamné aux États-Unis pour espionnage.
Le 4 janvier 2021, un juge britannique a rejeté une demande américaine, au motif que les conditions de détention aux États-Unis créeraient un risque de suicide pour Assange. Le 6 janvier, la demande d’Assange de mise en liberté sous caution a été rejetée.
Si le président @realDonaldTrump est fidèle à ses valeurs déclarées de lutte contre la corruption gouvernementale et la mauvaise conduite, il devrait accorder la grâce présidentielle à #Assange, qui défend précisément ces valeurs et a suffisamment souffert pour les intérêts du public dans le monde!
À l’occasion du 38e mois d’anniversaire du meurtre à Malte de la journaliste Daphne Caruana Galizia, des membres de l’IFEX et d’autres groupes de la liberté de la presse ont appelé publiquement le Premier ministre Abela à mettre fin aux tentatives de son gouvernement de saper l’enquête indépendante sur les circonstances de la mort de la journaliste. Leur déclaration est intervenue deux semaines après que le rapporteur spécial du Conseil de l’Europe, Pieter Omtzigt, ait publié son rapport de suivi sur la corruption à Malte et le meurtre de Caruana Galizia. Omtzigt a déclaré que la mise en œuvre par Malte des recommandations de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la justice pour la journaliste assassinée avait été « fondamentalement insatisfaisante ». Il a également déclaré que le gouvernement maltais (qui fait l’objet de l’enquête) ne devrait pas « imposer une échéance arbitraire à ses travaux, ni critiquer ses activités ».
Comme prévu, l’UE a adopté un régime général de sanctions relatives aux droits humains (sa propre loi Magnitsky), lui permettant de « cibler les individus, les entités et les organes – y compris les acteurs étatiques et non étatiques – responsables, impliqués ou associés à de graves violations des droits humains. »
Alors que le mouvement vers la lutte contre les poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP) prend de l’ampleur, les membres de l’IFEX et d’autres groupes de presse ont publié une proposition de législation européenne qui protègera les journalistes de ces poursuites cyniques et visant à bâillonner.
Le 16 décembre en France, un tribunal a déclaré quatorze personnes coupables d’implication dans une série d’attentats perpétrés par des terroristes islamistes en 2015, dont la fusillade de masse dans les bureaux du magazine Charlie Hebdo à Paris. Quelques jours plus tard, quatre hommes ont été accusés d’avoir participé à un complot terroriste en relation avec l’attaque au couteau de deux personnes en septembre 2020 par un extrémiste islamiste devant les anciens bureaux de Charlie Hebdo. Le principal suspect, qui a été arrêté à la suite de l’attaque, aurait déclaré à la police qu’il était motivé par la publication une nouvelle fois par le magazine des caricatures du prophète Mahomet.
Toujours en France, le mois de décembre a vu de nouvelles manifestations de masse contre le soi-disant projet de loi « Sécurité générale », qui, s’il était adopté, interdirait de prendre des photos de policiers avec des intentions malveillantes. En novembre, face aux manifestations massives des citoyens et aux protestations des membres de l’IFEX et d’autres groupes de la liberté de la presse, les législateurs ont déclaré qu’ils réécriraient la section parlant de la prise de photos. Cependant, les rapporteurs spéciaux de l’ONU ont déclaré en décembre que le projet de loi est « incompatible avec le droit international des droits humains et devrait être révisé en profondeur ».