Janvier 2025 en Europe et en Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique, réalisé à partir de rapports des membres de l'IFEX et d'informations de la région par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Une élection présidentielle en Biélorussie ; des violences misogynes et des atteintes à la liberté de la presse en Turquie ; les avocats de Navalny emprisonnés en Russie ; un journaliste chevronné condamné à dix ans de prison au Tadjikistan ; un journaliste américano-palestinien arrêté et expulsé de Suisse ; le vice-président en exil de la BAJ placé sur la liste des personnes recherchées en Biélorussie et en Russie ; une année de violations de la liberté de la presse en Ukraine et un appel à « défendre les dessinateurs de presse et leur droit de créer sans crainte ».
Biélorussie : les prisonniers politiques sous les projecteurs pendant les élections
Une élection présidentielle s’est tenue en Biélorussie le 26 janvier. La décimation par le régime de toute forme d’opposition politique viable et la répression continue de la dissidence ont fait en sorte que le résultat – la réélection du président sortant Loukashenko – ne soit jamais remis en question.
Les mois précédant le scrutin de janvier ont vu les attaques contre les voix critiques s’intensifier. Dans son Rapport mondial 2025, Human Rights Watch (HRW) décrit la persécution des critiques par le gouvernement Loukachenko comme ayant atteint « de nouveaux sommets » en 2024. Parmi les nombreuses violations des droits humains en cours que HRW met en évidence figurent : la persécution (tant dans le pays qu’en exil) de journalistes, d’avocats, de défenseurs des droits humains et de détracteurs de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ; et la torture et les mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques (au nombre d’environ 1 240).
La seconde moitié de 2024 a été marquée par plusieurs développements concernant les prisonniers politiques biélorusses. Beaucoup de ces événements doivent être considérés comme faisant partie des efforts déployés par le régime de Loukachenko avant l’élection présidentielle pour affaiblir les opposants et servir d’avertissement à quiconque envisage de se présenter comme un opposant politique :
- Entre juillet et décembre 2024, les autorités ont libéré 237 prisonniers politiques. Au moins 20 autres ont été libérés en janvier 2025. Selon HRW, nombre d’entre eux « ont été contraints de signer une demande officielle de grâce, qui comprend un aveu de culpabilité ».
- Début janvier, l’ancien candidat à la présidentielle emprisonné Viktar Babaryka a été vu pour la première fois depuis son arrestation en 2020. Il était détenu au secret depuis lors. L’« observation » s’est faite sous la forme d’une courte vidéo dans laquelle il adressait ses salutations à sa famille et de trois photos. Une « observation » similaire a eu lieu en novembre 2024 pour la cheffe de l’opposition emprisonnée Maria Kalesnikava, bien que l’on soit sans nouvelles de sa situation depuis lors
- Mi-janvier, quatre journalistes emprisonnés de Radio Free Europe Radio Liberty (RFE/RL) – Yuras Zyankovich, Ihar Losik, Andrei Kuznechyk et Ihar Karnei – – ont été « interviewés» dans une émission de la télévision d’État qui les accusait d’avoir « tenté de mettre le feu à la Biélorussie ». Les « interviews » ont été menées par un propagandiste du régime connu, qui a souvent accompagné des agents de la sécurité de l’État lors des arrestations politiques. Les quatre journalistes de RFE/RL font partie des plus de 30 professionnels de la presse toujours derrière les barreaux fin 2024, ce qui fait de la Biélorussie l’un des quatre principaux geôliers de journalistes au monde, selon le recensement récemment publié par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Avant l’élection présidentielle, Reporters sans frontières (RSF) a déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI), accusant Loukachenko de crimes contre l’ humanité en raison de la persécution systématique des journalistes par son régime.
Début janvier, les membres de l’IFEX ont commémoré le quatrième anniversaire de la détention du journaliste Andrei Aliaksandrau, qui purge actuellement une peine de 14 ans de prison sur la base d’accusations mensongères. Index on Censorship a lancé une action en ligne (#FreeAndrei) – avec un poème écrit par le journaliste – pour mettre en lumière son cas.
À la fin du mois, il a été signalé que Barys Haretski, vice-président en exil de l’Association biélorusse des journalistes (BAJ), a été placé sur la liste des personnes recherchées par la Biélorussie et la Russie. La nature exacte des accusations portées contre lui n’a pas été précisée.
Turquie : une année éprouvante pour les femmes et les journalistes
Attaques contre la liberté de la presse
Le gouvernement turc a fait de la vie des journalistes « un véritable enfer » en 2024, selon le Rapport de surveillance des médias récemment publié par Bianet.
Le rapport révèle qu’au moins 25 journalistes et cinq médias ont été agressés l’année dernière, et que 82 autres professionnels des médias ont reçu des menaces. La plupart de ces atteintes à la liberté de la presse ont été perpétrées par des individus et des groupes liés au parti d’extrême droite, le Parti du mouvement nationaliste (MHP).
Selon les recherches de Bianet :
- Au moins dix journalistes ont purgé des peines de prison en 2024 ;
- 57 journalistes ont été détenus, « souvent confrontés à la violence policière et ensuite libérés sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction de voyager, l’obligation de signer (((de pointer dans un commissariat))) ou l’assignation à résidence » ;
- 36 journalistes ont été condamnés pour « insulte à un fonctionnaire », « insulte au Président », « ciblage de fonctionnaires impliqués dans la lutte contre le terrorisme », « propagande terroriste » et « appartenance à une organisation terroriste » ;
- Des blocages d’accès ont été imposés sur 3 136 reportages d’actualité et autres contenus journalistiques ;
- Trois interdictions de diffusion ont été imposées.
En janvier, le projet « Free Turkey Journalists » de l’Institut international de la presse (IPI) a également publié une fiche d’information très utile sur les violations de la liberté de la presse en Turquie en 2024.
Selon les données recueillies par IPI, au moins 378 journalistes ont été jugés en 2024. Comme les années précédentes, les accusations les plus courantes contre ces membres de la presse étaient liées au terrorisme (38 %), à la diffamation/calomnie (27 %) et à « l’insulte au président » (7 %).
IPI souligne également le rôle inquiétant joué par la loi turque dite de « désinformation » (adoptée par le Parlement en 2022), dont les membres de l’IFEX avaient averti qu’elle serait utilisée comme arme contre les journalistes travaillant dans l’intérêt public. L’année dernière, six enquêtes ont été ouvertes contre des journalistes en vertu de cette législation, menant à trois détentions et une condamnation.
Cependant, en janvier, des députés du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir ont également fait valoir que la loi sur la « désinformation » ne va pas assez loin, notamment en ce qui concerne les menaces à la cybersécurité. Ce mois-ci, ils ont présenté un “projet de loi sur la « cybersécurité » qui pourrait faire de la dénonciation d’une fuite de données une infraction pénale. Les détracteurs du projet de loi – qui prévoit des peines de prison allant jusqu’à cinq ans pour les personnes reconnues coupables de créer une « fausse perception » d’une fuite de données – soutiennent que cette législation au libellé vague pourrait être utilisée pour cibler les journalistes d’investigation. Fait révélateur, le projet de loi fait suite aux révélations très embarrassantes sur une fuite massive de données en 2024, qui a soulevé des doutes sur la capacité du gouvernement turc à protéger les informations privées des citoyens turcs.
La violence misogyne
Le problème de la violence misogyne en Turquie a également été mis en lumière ce mois-ci dans le rapport annuel inquiétant de Bianet sur son suivi de la violence masculine. Les statistiques présentées pour 2024 sont horribles : l’année dernière, des hommes ont tué 378 femmes, blessé 645 femmes et forcé 772 femmes à se prostituer. Selon les recherches de Bianet, les meurtriers étaient le plus souvent des maris/partenaires (70 %) ou des membres de la famille (17 %). La plupart des femmes (60 %) ont été tuées par balle.
La Turquie connaît depuis longtemps un grave problème de violence contre les femmes : au cours des près de 15 ans allant de janvier 2010 à novembre 2014, des hommes ont tué au moins 4 179 femmes et en ont blessé 7 221 autres. La réponse des autorités au problème a été pour le moins inadéquate, les auteurs de ces violences bénéficiant de l’impunité pour la plupart. Ironie du sort, les marches de femmes marquant la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre) sont régulièrement interdites, et les femmes qui défilent sont souvent arrêtées. Au moins 169 femmes ont été appréhendées à Istanbul en novembre 2024.
La Turquie s’est retirée de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes en 2021. Depuis lors, les groupes de défense des droits des femmes appellent la Turquie à revenir sur cette décision. Il est très peu probable que cela se produise de sitôt : en octobre 2024, le président Erdoğan a déclaré que son retrait de la Convention n’avait eu aucun « impact négatif sur les droits des femmes ».
En bref
Au Tadjikistan, le journaliste chevronné Ahmad Ibrohim, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant Payk, a été condamné à dix ans de prison pour des accusations très douteuses de corruption, d’extorsion et d’extrémisme. Le CPJ a appelé les autorités tadjikes à « libérer immédiatement Ibrohim, ainsi que sept autres journalistes purgeant de longues peines pour des accusations qui étaient des représailles, et à réformer l’environnement médiatique répressif du pays ».
Depuis fin 2023, les autorités de certains États européens ont fait preuve d’une intolérance marquée et générale à l’égard de l’expression pro-palestinienne. En janvier, un autre exemple très médiatisé de cette intolérance a été l’arrestation du journaliste américano-palestinien Ali Abunimah à Zurich, en Suisse, et sa détention pendant trois jours avant d’être expulsé. Selon Abunimah, qui se rendait à un séminaire sur la Palestine lorsqu’il a été arrêté, on ne lui a jamais communiqué les charges retenues contre lui (seulement qu’il avait « enfreint la loi suisse ») et on lui a refusé tout contact avec sa famille. Pendant sa détention, il a été interrogé par des agents des services secrets suisses. La rapporteure spéciale des Nations-Unies sur la liberté d’opinion et d’ expression, et la rapporteure spéciale des N.U. sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, ont condamné l’arrestation d’Abunimah.
Dans son bilan de 2024, l’Institute of Mass Information (IMI) a indiqué avoir enregistré 268 atteintes à la liberté d’expression en Ukraine au cours de l’année. La plupart d’entre elles (155) ont été commises par des Russes, dont des meurtres, des blessures, des enlèvements, des cyberattaques et des menaces.
Ces dernières semaines, les législateurs russes ont commencé à étendre la portée des lois répressives relatives aux « agents étrangers », aux « fausses nouvelles » et au « discrédit » de l’armée : à la mi-décembre, la chambre basse du parlement a adopté un projet de loi qui, s’il est adopté, ajoutera à la liste des « terroristes et extrémistes » tenue par la Russie les individus reconnus coupables d’avoir diffusé de « fausses nouvelles » ou d’avoir « discrédité » l’armée russe ; fin décembre, le président Poutine a promulgué une loi qui renforce les restrictions financières sur les « agents étrangers » ; et à la mi-janvier, le président de la commission de la Douma d’État russe « sur la prévention de l’influence étrangère » a annoncé que le parlement préparerait une loi visant à « traduire en justice les agents étrangers vivant à l’étranger ».
En janvier, trois avocats qui avaient défendu le leader de l’opposition Alexeï Navalny (mort en détention en Russie en 2024) ont été condamnés à des peines de prison pour de fausses accusations d’« extrémisme » : Vadim Kobzev, Alexeï Liptser et Igor Sergunine ont été condamnés à des peines de prison allant de trois ans et demi à cinq ans et demi.
Début janvier, plusieurs membres de l’IFEX ont commémoré les dix ans de l’attaque terroriste qui a tué 12 employés et en a blessé quatre autres dans les bureaux du magazine satirique Charlie Hebdo à Paris, en France. Cartoonists Rights a publié une déclaration réaffirmant son engagement à « défendre les dessinateurs de presse et leur droit de créer sans crainte ». La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a appelé à une plus grande protection des journalistes. RSF et l’association Cartooning for Peace ont lancé une campagne pour mettre en lumière les risques auxquels les dessinateurs de presse sont confrontés dans le monde entier uniquement en raison de leur travail créatif.