Othmane Atik, dont les chansons et les clips dépeignent la vie difficile des jeunes chômeurs de Casablanca, est le deuxième interprète de la scène florissante du rap marocain à être envoyé en prison pour les paroles de ses chansons.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 11 novembre 2014.
Othmane Atik, un rappeur marocain âgé de 17 ans connu sous le nom de « Mister Crazy », est censé être libéré par les autorités marocaines le 12 novembre 2014, après avoir purgé une peine de trois mois de prison pour « insulte à corps constitué », « propos immoraux », ainsi que d’autres infractions liées aux paroles de ses chansons.
Atik, dont les chansons et les clips dépeignent la vie difficile des jeunes chômeurs de Casablanca, est le deuxième interprète de la scène florissante du rap marocain à être envoyé en prison pour les paroles de ses chansons, en violation des normes internationales de liberté d’expression.
« Le gouvernement marocain a envoyé un mauvais message en poursuivant un rappeur comme ‘Mister Crazy’ pour avoir exprimé pacifiquement ses opinions », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord. « Le fait d’incarcérer un jeune de 17 ans pour ses chansons n’a guère de sens dans un pays qui accueille régulièrement des festivals internationaux de musique et des conférences sur les droits humains. »
Atik, qui chante en arabe marocain, a été placé en détention depuis qu’il s’est rendu à une convocation du procureur de Casablanca le 8 août. Le 12 août le tribunal l’a transféré dans un établissement de détention pour mineurs à Ain Sbaa, où il a été détenu depuis lors. Le 17 octobre, une chambre des mineurs de la cour de Casablanca l’a condamné pour « insulte à corps constitué » en vertu du code pénal, « incitation à la consommation de drogue » en vertu de la loi sur les stupéfiants du 15 novembre 1958, et pour la production et la diffusion de contenu qui est « contraire à la moralité publique » dans le cadre du code de la presse, a déclaré Saâdia Harrab, l’avocate d’Atik, à Human Rights Watch.
Dans « Aqliya Mhabsa » (« État d’esprit de prisonnier »), Atik chante : « Dans mon pays / tu voles ou tu trafiques / un braquage par ci, une vente de drogue par là / tout préparé à l’avance / je me suis arrangé avec la police / acheté le marché dans mon quartier / fait du policier mon chien. »
Le clip de la chanson « Fatcha M’absa » (« Visage renfrogné ») montre des jeunes hommes se prélassant dans les rues de Casablanca : il contient des mots obscènes en anglais et des images de pilules et de cigarettes roulées.
Le clip pour « Aqliya Mhabsa » dépeint un jeune homme dans un milieu de trafic de drogue et de délinquance qui finit derrière les barreaux. Dans « Hyati naqsa » (« Ma vie est incomplète »), Atiq rejette comme « de simples mots » et « un rêve » les références de l’hymne national au Maroc comme un pays d’« hommes libres » et « une source de lumière ».
Saâdia Harrab, l’avocate d’Atik, a déclaré que « Hyati Naqsa », « Fatcha M’absa » et « Aqliya Mhabsa » faisaient partie des chansons produites par Atiq en tant que clips qui figuraient parmi les éléments de preuve du procureur, ainsi que « Brika Ma3ksa » (« Un briquet têtu »), « Casa Mkarfsa » (« Casa est sale »), Passé noir et « Amrek Tansa » (« Tu n’oublies jamais »). La plupart des clips sont disponibles sur la chaîne YouTube d’Atik.
Le délit d’outrage à une institution de l’État (« corps constitué ») figure dans les articles 263 et 265 du code pénal marocain. Le tribunal a ignoré l’affirmation d’Atik qu’il n’a pas insulté l’institution en question – les forces de police – mais critiquait plutôt les agents de police individuels qui étaient corrompus.
En avril 2013, un autre rappeur, Mouad Belghouat, connu sous le nom d’« Al-Haqed » (l’Indigné), a purgé une peine d’un an de prison pour une vidéo sur YouTube produite pour une de ses chansons, « Kilab ed-Dowla » (« Chiens de l’État »), que le tribunal a considérée comme insultante pour la police. Al-Haqed a également fait valoir en vain que sa chanson critiquait des agents de police individuels plutôt que la police en tant qu’institution.
Al-Haqed a également purgé deux peines plus courtes pour des délits de droit commun, notamment une peine de quatre mois de prison plus tôt en 2014, pour s’être prétendument trouvé en état d’ébriété sur la voie publique, ainsi que pour coups et blessures et outrage à agents des forces de l’ordre.
L’article 19 (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. »
Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’homme, l’organe d’experts indépendant qui veille au respect du pacte par les États, a déclaré dans une observation générale sur la liberté d’expression que les pouvoirs publics « sont légitimement exposés à la critique et à l’opposition politique. Par conséquent, le Comité s’inquiète de lois régissant des questions telles que … l’outrage à l’autorité publique. … [Les gouvernements] ne doivent pas interdire la critique à l’égard d’institutions telles que l’armée ou l’administration. »
La constitution du Maroc, dans l’article 25, garantit la liberté d’expression « sous toutes ses formes » et les « libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique… » Cependant, depuis l’adoption de cette constitution en 2011, les autorités n’ont pas encore modifié une série de lois qui imposent des peines de prison pour des délits d’expression non violents, tels que ceux utilisés pour poursuivre Atik en justice.