(RSF/IFEX) – Ci-dessous un communiqué de presse de RSF du 23 mars 2000 Pérou Elections générales du 9 avril 2000 RSF dénonce les pressions sur les chaînes de télévision et le risque de voir le plus important quotidien péruvien passer sous le contrôle du gouvernement Dans deux lettres adressées séparément à Eduardo Stein et à […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous un communiqué de presse de RSF du 23 mars 2000
Pérou
Elections générales du 9 avril 2000
RSF dénonce les pressions sur les chaînes de télévision et le risque de voir le plus important quotidien péruvien passer sous le contrôle du gouvernement
Dans deux lettres adressées séparément à Eduardo Stein et à Charles Costelo, respectivement chef de la mission des observateurs de l’Organisation des Etats américains (OEA) et président de la mission du Centre Carter, deux organisations qui ont le statut d’observateur pour les élections générales (élections présidentielle et parlementaires) du 9 avril prochain, Reporters sans frontières (RSF) attire leur attention sur la partialité des chaînes de télévision en faveur d’Alberto Fujimori et la menace de voir le quotidien privé « El Comercio » passer sous le contrôle de personnalités proches du gouvernement. L’organisation demande aux observateurs présents sur place de prendre en compte les problèmes de la liberté de la presse dans leurs conclusions sur le déroulement de la campagne électorale. RSF prie également Eduardo Stein de recommander à l’OEA de prendre des sanctions contre le Pérou si des mesures concrètes n’étaient pas prises par les autorités péruviennes pour garantir l’indépendance de la presse.
Le 12 mars, l’émission Contrapunto, diffusée sur Frecuencia Latina, a repris les affirmations de Luís García Miro, ancien actionnaire et ancien directeur général du quotidien « El Comercio ». Ce dernier accuse le journal d’avoir commis des irrégularités dans la gestion de fonds au préjudice de l’Etat péruvien en 1990. Il prétend également que la revente de ses actions en 1994 s’est faite contre sa volonté et que ses indemnités de licenciement ne lui ont pas été payées. Luís García Miro réclame 20 millions de dollars (autant d’euros) de dommages et intérêts au quotidien. Quelques jours plus tôt, « El Comercio » avait révélé que, sur les deux millions de signatures de soutien à la candidature d’Alberto Fujimori, plus d’un million seraient fausses. Le quotidien avait mis en cause plusieurs membres de la coalition politique qui soutient le Président. La famille Miro Quisada, propriétaire de « El Comercio », estime que « les indices sont suffisants pour penser que le risque existe de voir le quotidien passer sous le contrôle du gouvernement ». Ces méthodes rappellent celles utilisées en 1997 contre Baruch Ivcher actionnaire majoritaire de Frecuencia Latina. À l’époque, elles avaient abouti à retirer à ce dernier le contrôle de sa chaîne de télévision au profit d’actionnaires minoritaires après que Frecuencia Latina avait mis en cause les services de renseignements péruviens (Servicio de Inteligencia Nacional – SIN). La chaîne affiche, depuis, une ligne progouvernementale.
Jusqu’à la fin du mois de février, les sept chaînes de télévision non payantes ont refusé de diffuser les spots publicitaires des partis de l’opposition. D’après l’organisation Transparencia, fin 1999, ces mêmes chaînes de télévision consacraient 76% de leur temps d’antenne dédié à l’actualité politique à Alberto Fujimori, contre 24% à l’ensemble de l’opposition. Si la tendance s’est inversée au début de l’année – 65% pour l’opposition contre 35% à Alberto Fujimori -, leur « manque d’objectivité » en faveur de l’actuel Président a été dénoncé par plusieurs observateurs internationaux présents sur place. La décision, le 29 février 2000, de contraindre les chaînes de télévision à consacrer un quart d’heure d’antenne aux programmes des formations politiques a été jugée insuffisante par les d’observateurs présents sur place.
La télévision sous contrôle?
Parce qu’elle touche plus de 80 % de la population sur l’ensemble du territoire, la télévision est de loin le média le plus populaire au Pérou. La partialité dont fait preuve la majorité des chaînes de télévision pourrait être le résultat de pressions exercées par le gouvernement par le biais de la publicité publique, de l’attribution des fréquences ou de menaces de poursuites judiciaires.
Pour les propriétaires de ces médias, le risque existe de se voir confisquer leur chaîne de télévision par décision de justice. Depuis 1997, deux d’entre eux ont perdu la direction de leur station après avoir critiqué le gouvernement ou les méthodes du SIN. En septembre 1997, c’est une décision de la Cour supérieure de Lima qui privait définitivement Baruch Ivcher de ses prérogatives sur Frecuencia Latina. Depuis, Genaro Delgado Parker, directeur de la chaîne de télévision Red Global, s’est lui aussi vu privé du contrôle de sa chaîne. En décembre 1999, un mandat d’arrêt a été lancé contre lui pour « détournement de fonds »: il avait affirmé que le chantage à la publicité permettait au gouvernement de contrôler le contenu des journaux télévisés. Deux mois plus tard, les émetteurs de sa radio, Radio 1160, sont saisis sur ordre d’un tribunal. Cette dernière avait commencé à diffuser une émission de César Hildebrandt, connu pour ses critiques du gouvernement. Le 13 mars, fait sans précédent, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a demandé aux autorités péruviennes de restituer ses émetteurs à la radio et la direction de Red Global à Genaro Delgado Parker.
Aujourd’hui, sur les sept chaînes existantes, trois sont administrées par des personnes désignées par le pouvoir judiciaire et une quatrième affronte actuellement un procès. Parmi les trois autres chaînes, l’une est publique et une deuxième appartient à Domingo Palermo, un ancien ministre d’Alberto Fujimori.
D’après Jorge Santistevan, le Défenseur du peuple, la publicité publique représenterait aujourd’hui plus des deux tiers (69%) de l’ensemble des dépenses publicitaires. Or, selon l’Association nationale des annonceurs du Pérou (Asociacion Nacional de los Anunciantes del Perú – ADAN), le premier annonceur public ne serait autre que le ministère de la Présidence. Autre moyen de pression: les fréquences de télévision sont une concession de l’Etat que ce dernier peut remettre en cause.
Menaces sur la presse écrite
Les attaques dont est l’objet « El Comercio » pourraient marquer une nouvelle étape dans la mise en cause de la liberté de la presse. Ce quotidien, le plus ancien et le plus respecté des quotidiens péruviens pour son ton modéré et son inscription au centre de l’échiquier politique, avait été jusqu’alors relativement préservé, les attaques visant surtout la presse d’opposition.
En octobre 1999, le quotidien d’opposition « Referendum » a été contraint de fermer. Fernando Viaña, son directeur, a dénoncé des pressions du fisc. Six semaines plus tard, le quotidien reparaît sous un autre nom, « Liberacion ». Au même moment, le titre Referendum refait son apparition dans les kiosques mais avec une ligne éditoriale nettement progouvernementale. Le 21 décembre, les pressions reprennent: la police tente de saisir les équipements de l’imprimerie du nouveau quotidien. Une semaine plus tôt, « Liberacion » avait mis en cause le conseiller présidentiel et chef du SIN, Vladimiro Montesinos, dans une affaire d’enrichissement illicite. Le quotidien avait également pris position contre la candidature d’Alberto Fujimori à l’élection présidentielle.
Quant au principal quotidien d’opposition, « La República », il est depuis deux ans la cible répétée des attaques de la presse populaire contrôlée, de l’aveu même de certains de ses journalistes, par les services de renseignements. Depuis 1998, Gustavo Mohme, directeur du quotidien et membre de l’opposition parlementaire, se voit régulièrement traité de « conspirateur », « d’homosexuel » ou de « trafiquant d’armes » par la dizaine de quotidiens de cette presse « jaune » (« prensa amarilla ») qui l’accuse également d’être proche des groupes armés Sentier lumineux et MRTA. Ángel Páez et Edmundo Cruz, journalistes d’investigation de La República, sont qualifiés de « traîtres à la patrie », « d’enragés de la presse antipéruvienne » et menacés de mort. Le 27 octobre 1999, Hugo Borjas ancien responsable de la rubrique société de l’un de ces journaux populaires, El Chato, est agressé quelques jours après avoir révélé que le quotidien touchait de l’argent d’une personnalité proche du gouvernement pour publier des articles diffamatoires ou insultants.
L’implication des services secrets
En mai 1999, Santiago Canton, rapporteur spécial pour la liberté d’expression de l’OEA, s’était inquiété de l’existence d’un plan contre la presse organisé par les services secrets péruviens (SIN). Le « Plan Octavio » aurait été lancé en 1996 pour répondre à la « menace » que feraient peser sur la sécurité nationale les journalistes enquêtant sur les méthodes de l’armée. Les détails du plan, publiés par la presse, recoupent les informations qu’avait collectées Reporters sans frontières en 1997 et 1998 concernant les pressions exercées sur une quinzaine de journalistes d’investigation: écoutes téléphoniques, menaces de poursuites judiciaires, menaces de mort, etc. En juin 1998 Alberto Fujimori s’était publiquement engagé à ouvrir des enquêtes sur ces faits mais leurs conclusions n’ont jamais été rendues publiques.
De nombreux observateurs s’accordent à dire que ce plan s’est progressivement transformé en une tentative du pouvoir de contrôler la presse dans l’optique de la réélection d’Alberto Fujimori. Les derniers événements en seraient une nouvelle démonstration. D’après Hugo Guerra Arteaga, du quotidien « El Comercio », les écoutes téléphoniques, dénoncées dès 1997, continueraient. Et les attaques de la presse populaire contre les journalistes d’opposition sont maintenant relayées sur Internet. Cinq d’entre eux figurent sur une « liste noire » des personnalités péruviennes sur le site de l’Aprodev, une mystérieuse organisation dont le directeur serait lié au SIN.
Une justice aux ordres
Pour défendre leurs droits face à ces attaques, les journalistes péruviens ne peuvent plus compter sur la justice. L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est plus garantie depuis l’instauration, en 1992, d’un système de « juges provisoires » contrôlé par le gouvernement. En mai 1999, deux juges qui avaient accepté d’instruire une plainte déposée par sept journalistes connus pour leurs enquêtes sur le SIN ont été « mutés ». De plus, le 9 juillet 1999, le gouvernement d’Alberto Fujimori a décidé de ne plus reconnaître la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ce qui prive les justiciables péruviens de tout recours devant une juridiction internationale. Cette décision, qualifiée « d’inadmissible » par la Cour interaméricaine elle-même, survient alors que cette dernière devait étudier la plainte déposée par Baruch Ivcher contre l’Etat péruvien.
Pour plus de renseignements, contacter Régis Bourgeat, RSF, 5, rue Geoffroy Marie, Paris 75009, France, tel: +33 1 44 83 84 84, téléc: +33 1 45 23 11 51, courrier électronique: ameriques@rsf.fr, Internet: http://www.rsf.fr,/inf>