Juin 2023 en Europe et en Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Journalistes et LGBTQI+ ciblés en Turquie ; attaque législative de la Russie contre l’espace civique ; moins de journalistes à persécuter en Biélorussie ; des nouvelles sur les procès-bâillons au Royaume-Uni et dans l’UE.
« Courez Tayyip, courez. Les pédés arrivent ! »
Le mois de juin s’est terminé avec des membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense des droits appelant l’UE à accorder la priorité à la liberté des medias et aux droits humains dans ses relations avec la Turquie.
Les quatre semaines précédentes ont offert plusieurs exemples de cette nécessité :
Le 8 juin, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a de nouveau appelé la Turquie à mettre en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et à libérer immédiatement Osman Kavala, le dirigeant de la société civile injustement emprisonné ainsi que Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du Parti démocratique populaire pro-kurde (HDP). La Turquie ignore depuis des années les décisions de la CEDH demandant la libération de ces deux hommes.
Le 17 juin, le journaliste kurde Sinan Aygül a été violemment agressé par deux hommes qu’il a identifiés comme des gardes de corps du maire de la ville de Tatvan. Aygül, qui a fait face à des dizaines de poursuites en justice au fil des ans en raison de ses enquêtes anti-corruption, a été mis en garde par ses agresseurs à propos de ses reportages sur le maire.
Le 22 juin, la journaliste Sedef Kabaş a de nouveau été jugée pour « outrage au président ». L’affaire contre elle est basée sur des tweets dans lesquels elle a remis en question la validité du diplôme universitaire du président Recep Tayyip Erdoğan et a fait diverses allégations de corruption.
Le 26 juin, Merdan Yanardağ, journaliste en ligne et de télévision, a été arrêté pour avoir « fait de la propagande pour une organisation terroriste » après avoir critiqué à l’antenne les conditions de détention d’Abdullah Öcalan, chef emprisonné du parti interdit, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
[Traduction; Turquie: @sinanaygul agressé violemment à Tatvan
En savoir plus go.coe.int/HVtCL
Une alerte de @globalfreemedia ##EuropeForFreeMedia ]
Les craintes que le président Erdoğan continue de promouvoir un sentiment anti-LGBTQI+ après les élections se sont avérées fondées. Son utilisation continue du terme « pro-LGBT » au sens péjoratif dans ses attaques contre l’opposition, et ses discours homophobes décrivant les personnes LGBTQI+ comme « perverses », ont créé un climat de peur pour lequel certaines personnes LGBTQI+ disent envisager de quitter le pays.
Juin était le mois de la Fierté et au moins 160 personnes ont été arrêtées dans toute la Turquie alors qu’elles participaient à plusieurs marches interdites de la Fierté et à des événements connexes. Bien que des décisions judiciaires de ces dernières années aient jugé ces interdictions illégales, les pouvoirs publics continuent de les imposer. Les marcheurs d’Istanbul ont défié l’interdiction en scandant « Courez Tayyip, courez. Les pédés arrivent ! » Plus de 90 d’entre eux ont été détenus.
PEN America a publié ce mois-ci une déclaration condamnant les attaques des autorités turques contre l’espace civique LGBTQI+ ; le personnel de Bianet a publié un message vidéo de solidarité, dans lequel il s’est engagé à amplifier les voix LGBTQI+ et à « mettre en lumière les violations des droits humains auxquelles sont confrontés les LGBTQI+ ».
« Organisations indésirables »
La restriction de l’espace civique fait partie intégrante de la politique intérieure du président Poutine depuis plusieurs années. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une série de lois ont été adoptées pour faire taire l’opposition anti-guerre et d’autres types de dissidence.
Ce mois-ci, la Fédération internationale des droits de l’Homme et MediaZona ont publié une analyse de 50 lois adoptées depuis 2018 pour réprimer la société civile. Vous pouvez en savoir plus sur ces lois – qui restreignent les LGBTQI +, les organisations de la société civile, Internet, le droit de manifester, la liberté d’expression et plus encore – en utilisant l’impressionnant outil interactif en anglais de MediaZona.
Diverses personnalités publiques ont été visées par ces lois ces dernières semaines. L’un d’eux est Oleg Orlov, éminent défenseur des droits humains et coprésident de l’association Memorial. Il a été jugé ce mois-ci pour avoir « discrédité » à plusieurs reprises l’armée russe et risque jusqu’à trois ans de prison s’il est reconnu coupable. Les accusations sont basées sur les manifestations anti-guerre individuelles d’Orlov et ses critiques de la guerre qu’il a publiées sur les réseaux sociaux.
Une autre cible de ces lois est l’ONG environnementale World Wildlife Fund (WWF), qui est désormais interdite en Russie après avoir été classée comme « organisation indésirable » en juin. WWF a été accusé de « menacer » l’économie russe et de financer des « agents étrangers ».
Le média indépendant Noyava Gazeta Europe a également été déclaré « organisation indésirable » en juin et il lui est interdit de travailler en Russie. Il a été accusé de diffuser du « matériel extrémiste » et de « fausses informations ».
En mai, Greenpeace Russia avait mis fin à ses opérations en Russie après avoir également été qualifiée d’« organisation indésirable ».
Biélorussie : moins de journalistes à persécuter…
La répression de la société civile en Biélorussie se poursuit.
En juin, l’Association biélorusse des journalistes (BAJ) a signalé que son logo avait été répertorié comme un contenu « extrémiste », exposant ceux qui l’utilisent – ou ont des articles l’arborant – à un risque de poursuites. BAJ, qui a été étiqueté « extrémiste » par les autorités plus tôt cette année et qui a été mise en liquidation en 2021 par la Cour suprême biélorusse politisée, a averti tous les journalistes en Biélorussie d’enlever tout objet portant ce logo de leurs domiciles et bureaux.
En juin, l’accès au site Web de BAJ a également été bloqué en Russie.
Le nombre de prisonniers politiques en Biélorussie continue d’augmenter. A la fin du mois de juin, 1 496 personnes languissaient derrière les barreaux pour des accusations politiques. Parmi ces prisonniers se trouve Tatsiana Pytsko, qui a été arrêtée au début du mois et inculpée de « création ou participation à une organisation extrémiste ». Les accusations portées contre elle sont fondées sur l’aide qu’elle aurait apportée à son mari caméraman (emprisonné en février) dans le cadre de son travail ; sa détention porte à 34 le nombre de travailleurs des médias détenus en Biélorussie.
Plusieurs membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense des droits ont souligné les cas de deux prisonniers politiques de premier plan en juin (la figure de proue de l’opposition Maria Kalesnikava et la défenseuse des droits humains Nasta Loika) et ont appelé à leur libération immédiate.
Kalesnikava, qui a été condamné à 11 ans de prison en 2021, est actuellement détenue à l’isolement et s’est vu refuser un accès adéquat à des soins médicaux et à une représentation juridique. Loika, qui a été torturée en détention, a été condamnée à sept ans de prison lors d’un procès à huis clos ce mois-ci ; les poursuites étaient fondées sur son travail d’enquête sur les violations des droits humains commises par des responsables de l’application des lois.
Un aperçu utile de la situation des journalistes indépendants en Biélorussie a été publié ce mois-ci par BAJ et Justice for Journalists. Leur rapport, qui se concentre principalement sur la période 2021-2022, examine plusieurs outils de persécution employés par les autorités contre les médias critiques. Il s’agit notamment du harcèlement judiciaire, de la violence, des mauvais traitements en détention et des cyberattaques (ces dernières ont fortement augmenté en 2020-2021). Dans l’ensemble, le nombre de cas de persécution signalés a diminué depuis 2020, non pour une raison positive mais plutôt en raison des emprisonnements, de l’exil forcé et des abandons d’une profession aussi risquée. Il y a maintenant tout simplement moins de journalistes à persécuter.
Du nouveau pour les poursuites stratégiques contre la participation du public (SLAPP)
Le mois de juin a connu des développements salués par les militants anti-SLAPP au Royaume-Uni, mais des nouvelles décourageantes pour leurs homologues de l’UE.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a ajouté un amendement anti-SLAPP au projet de loi sur la criminalité économique et la transparence des entreprises (the Economic Crime and Corporate Transparency Bill) qui est actuellement en cours d’examen au parlement. S’il est adopté, l’amendement sera la première mesure anti-SLAPP au Royaume-Uni.
La UK Anti-SLAPP Coalition a salué le projet de loi comme un premier pas vers la résolution du problème des « procès-baîllons ». Parmi les aspects positifs de l’amendement que la Coalition met en évidence dans son aperçu, il y a : un seuil solide pour déposer une réclamation (c’est-à-dire qu’elle doit avoir plus de chances de réussir que d’échouer) et une protection financière pour les accusés des « procès-baillons » s’ils perdent le procès. Du côté négatif, l’amendement ne peut être appliqué que dans les cas liés à « l’intérêt public à protéger la société contre les crimes économiques ». Sa portée est donc limitée.
[ Traduction: Un autre jour en lettres rouges pour l’anti-#SLAPP au Royaume-Uni ! Le gouvernement britannique a annoncé un amendement au projet de loi sur la criminalité économique et la transparence des entreprises, qui fournirait une protection en Angleterre et au Pays de Galles contre les #SLAPP liés aux crimes économiques. ]
De l’autre côté de la Manche, les gouvernements du Conseil de l’UE se sont mis d’accord sur une « approche générale » (une position commune) sur la directive européenne anti-bâillon (SLAPP) tant attendue, et pour laquelle il a beaucoup été fait campagne. Frustrant : leur position affaiblit considérablement la proposition initiale, adoptant une approche restrictive de plusieurs de ses dispositions clés.
Coalition Against SLAPPS in Europe (CASE) souligne les cinq « inconvénients les plus préoccupants » : elle limite le champ d’application de la directive aux cas « transfrontaliers » ; elle exclut du champ d’application de la directive les actions civiles intentées dans le cadre de procédures pénales ; elle affaiblit le mécanisme de rejet anticipé ; elle supprime la disposition relative à l’indemnisation des dommages en faveur des cibles des procès-baîllon; elle prolonge la période de transposition à 3 ans (c’est-à-dire qu’elle retarde la mise en œuvre dans les différents pays membres).
Le projet de directive anti-SLAPP de l’UE devrait être finalisé d’ici la fin 2023.