Trois ans après que la Birmanie eut emprunté la voie de la démocratie et se fut éloignée de son passé militaire, l’évaluation que l’on se fait de son succès varie, surtout sur la question de la liberté des médias.
Les réformes en Birmanie vont-elles mener à des changements substantiels ? La question est répétée à satiété depuis que les initiatives politiques prises en 2011 sont vues comme en voie d’orienter le pays vers la démocratie et de le détourner de son passé militaire. Trois ans plus tard, l’évaluation des progrès réalisés par la Birmanie varie, surtout en ce qui concerne la liberté des médias.
Lors d’une récente visite dans le pays, Melinda Quintos de Jesus, directrice générale du Centre pour la liberté et la responsabilité des médias (Center for Media Freedom and Responsibility), basé aux Philippines, a fait part de son optimisme. « Il est certain que les dirigeants savent qu’une fois sorti de la bouteille, le génie de la liberté ne peut plus y retourner. Comme l’a dit un journaliste exilé rentré au pays : Le processus est peut-être lent, il peut même s’enliser. Mais il sera très difficile à arrêter », a-t-elle dit.
Par contre, Aung Zaw, le journaliste fondateur du magazine Irrawaddy, prévient que la perception de réforme rapide ne correspond pas nécessairement à la réalité. « Ce à quoi nous assistons à l’heure actuelle, c’est un sérieux recul », a déclaré Zaw le 6 mars 2014 tandis qu’il prenait la parole à l’occasion d’une table ronde aux États-Unis. « Les changements deviennent plus superficiels; il n’y a pas de véritables changements. »
Et trois ans après le début du processus de réforme, les quotidiens de Birmanie dirigés par l’État ne jouissent pas d’une complète liberté de rédaction, en particulier lorsqu’il est question de reportages sur les principaux dirigeants du pays.
Le cheminement de la Birmanie vers la démocratie devrait-il donc être envisagé avec optimisme ou avec inquiétude ? Peut-être une combinaison des deux, comme le laissent entrevoir les développements survenus dans la révision du cadre législatif qui soutient la liberté de réunion et la liberté des médias, entreprise récemment.
Développements législatifs – quelques bonnes nouvelles
Le 14 mars 2014, la Loi sur le droit de réunion pacifique et de défiler pacifiquement a reçu une modification qui était la bienvenue. À la suite des changements apportés à la tristement célèbre « Section 18 », les gens n’ont plus à demander d’autorisation à la police pour manifester, bien qu’ils doivent informer les autorités de la tenue de toute manifestation.
ARTICLE 19 a retracé 132 cas où le gouvernement a arrêté, poursuivi et incarcéré des gens qui avaient omis d’obtenir l’autorisation de manifester. Un grand nombre des personnes concernées avaient justement protesté contre la « Section 18 » elle-même.
« L’amendement de cette loi anti-démocratique constitue la première étape réussie d’une société civile de plus en plus influente qui s’efforce, en collaboration avec de nouveaux députés, à démocratiser le Myanmar dans un cadre politique passablement fermé », dit ARTICLE 19.
Et quelques autres, pas aussi agréables…
En même temps, malheureusement, d’autres lois problématiques font leur chemin.
Deux projets de loi qui concernent la liberté des médias ont été ratifiés lors d’une séance parlementaire conjointe le 4 mars, après de longues délibérations et divers remaniements. La Loi sur les médias et la Loi sur les entreprises d’impression et d’édition devraient être ratifiées sous peu par le Président Thein Sein. En dépit des prétentions du Ministre de l’Information U Aung Kyi selon lesquelles ces lois vont « donner une protection aux journalistes et aux médias », les adversaires expriment leur inquiétude. « Ces deux projets de loi sont loin de répondre aux attentes des journalistes locaux et des groupes de presse, qui espéraient que la législation dégagerait la presse de l’intervention et de la surveillance peu subtiles de l’État », de se plaindre le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
La Loi sur les médias a été rédigée par le Conseil de presse intérimaire du Myanmar, en consultation avec des journalistes et la communauté des médias. Elle souligne les droits et obligations des médias du pays et l’administration des entreprises d’édition.
Par contre, la Loi sur les entreprises d’impression et d’édition a été rédigée par le Ministère de l’Information sans consultation auprès de qui que ce soit. Elle est controversée depuis son dévoilement, en février 2013.
« Ces nouvelles lois remplacent efficacement la Loi draconienne de 1962 sur les imprimeurs et les éditeurs. La mise en œuvre d’un changement aussi spectaculaire de l’environnement médiatique du Myanmar constitue en soi une victoire », a déclaré la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Elle faisait allusion au fait que, jusqu’à tout récemment, toutes les publications en Birmanie étaient soumises à l’examen préalable du conseil de censure du pays, tristement célèbre lui aussi.
Cependant, prévient la FIJ, certains éléments des nouvelles lois s’avèrent « inutilement autoritaires ». Le projet de loi du Ministère de l’Information exige de toutes les entreprises de médias, sous peine d’amendes, qu’elles s’inscrivent auprès du gouvernement. Et il a créé un nouveau poste de chef du service des inscriptions, doté de pouvoirs extrêmement étendus pour accorder et révoquer les permis de publier. Des journalistes ont déclaré au CPJ que cette mesure était susceptible de mener à « l’autocensure chez les rédacteurs par crainte que les permis ne soient révoqués en raison d’une couverture des nouvelles perçue comme délicate, notamment les reportages sur les tensions ethniques qui se manifestent toujours et des tensions inter-religieuses à travers le pays ». La FIJ a exprimé sa préoccupation au sujet de la possibilité d’une autocensure accrue, étant donné l’accroissement récent du nombre des poursuites en diffamation intentées contre les journalistes.
Le projet de loi impose également certaines limites quant au contenu en interdisant la publication de matériaux qui « insultent la religion », qui « enfreignent la règle de droit » ou qui « incitent à troubler l’ordre public ». Ce projet de loi apporte toutefois une amélioration qu’il vaut la peine de relever : les délits seront punis par des amendes, alors que dans une version antérieure on prévoyait des peines de prison. Le Conseil de presse du Myanmar et d’autres groupes, dont le CPJ, avaient réclamé le retrait de cette disposition.
Dans une lettre au Président Thein Sein en date du 17 mars, le CPJ presse celui-ci de « rétablir la confiance dans ses intentions de réforme » en opposant son veto à la Loi sur les entreprises d’impression et d’édition et en révoquant les autres lois de la Birmanie qui servent à harceler, à menacer et à incarcérer les journalistes. La FIJ invite le gouvernement de Thein Sein à poursuivre son dialogue avec les journalistes s’il est déterminé à voir s’épanouir en Birmanie des médias libres et robustes.
Une longue transition vers la démocratie ?
La semaine dernière, environ 350 journalistes et artisans des médias se sont rassemblés à Yangon à la Conférence des médias Internationaux au Centre Est-Ouest sur le thème des « Défis d’une presse libre ». On y a beaucoup discuté de la question de savoir ans quelle mesure la Birmanie se trouve au tout début d’une longue transition vers la démocratie, selon ce que rapporte Barbara Trionfi, de l’Institut international de la presse (IIP).
« Si des gens me demandent “Avons-nous la liberté absolue des médias dans ce pays, je répondrais ‘Non’, pour la simple raison que nous ne disposons pas encore du genre de lois qui promeuvent une presse libre”, a déclaré la dirigeante d’opposition Daw Aung San Suu Kyi à Yangon le 9 mars, lors du déjeuner qui a précédé la conférence.
« À moins d’avoir une presse libre qui surveille ceux qui sont au pouvoir, nous ne pourrons pas défendre les droits et les libertés des gens », a déclaré Daw Suu, du nom sous lequel elle est connue en Birmanie. « Mais en même temps, cette presse doit être consciente… de la grande responsabilité qui lui incombe pour la stabilité de la nation », a-t-elle ajouté, soulignant la nécessité d’une formation appropriée pour les journalistes du pays.
Alors que l’insistance de Daw Suu sur la liberté de la presse était bien reçue, selon Trionfi, des gens dans l’auditoire ont estimé qu’elle insistait un peu trop souvent sur le fait que les journalistes doivent agir de manière responsable.
Quintos de Jesus fait remarquer qu’un cadre de responsabilité et d’obligation de rendre des comptes « ne devrait pas être imposé par le gouvernement. Ce cadre doit être adopté par une communauté de la presse libre. Il doit y avoir parmi ceux qui travaillent dans les médias un effort pour comprendre quel est leur but dans une démocratie. »
Alors que l’euphorie qui entoure les réformes en Birmanie peut être quelque peu atténuée, on a raison de célébrer quelques-unes des réalisations accomplies jusqu’ici. La lutte pour la démocratie est loin d’être terminée et doit être abordée autant avec prudence que détermination. La force grandissante de la société civile du pays et la clameur insistante en faveur d’un véritable changement politique donnent raison d’espérer.