"Nous avons décidé de déposer plainte contre Alexandre Loukachenko lui-même, car il est l’instigateur direct de cet acte de détournement à des fins terroristes, et ce terme n’est pas excessif".
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 25 mai 2021.
À la suite du détournement de l’avion de Ryanair, dans lequel se trouvaient 126 passagers, dont le journaliste biélorusse Raman Pratasevich, RSF porte plainte auprès du parquet général de Lituanie. L’organisation lui demande une enquête pénale pour “détournement d’avion avec intention terroriste” contre Alexandre Loukachenko et toute personne que l’enquête pourrait identifier.
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Dans un courrier officiel, adressé ce mardi 25 mai au parquet général de Lituanie, Reporters sans frontières (RSF) porte plainte pour « crime de détournement à des fins terroristes, tel que défini par les articles 251 et 252-1 du code pénal lituanien » commis par les forces biélorusses le 23 mai 2021 et visant le vol RyanAir RF4978 Athènes-Vilnius à l’instigation directe et évidente d’Alexandre Loukachenko.
Après un rappel détaillé des faits, l’organisation remet en cause la thèse de “l’alerte à la bombe” avancée par Minsk pour justifier le détournement de l’aéronef et dénonce une mise en scène. De nombreux éléments fournissent « des raisons crédibles de croire que l’alerte à la bombe était une fausse alerte, utilisée par le régime bélarusse pour forcer l’avion à atterrir dans le but d’arrêter le journaliste », indique la plainte.
« Nous avons décidé de déposer plainte contre Alexandre Loukachenko lui-même, car il est l’instigateur direct de cet acte de détournement à des fins terroristes, et ce terme n’est pas excessif, » explique le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Le code pénal lituanien punit le détournement d’avion « par la menace sur la vie ou la santé de l’équipage ou des passagers », et le « but terroriste » est caractérisé par “l’intention d’intimider le public ou une partie du public ». Par cet acte inouï, Alexandre Loukachenko a voulu amplifier l’intimidation de la population, notamment des journalistes. »
Les faits qui se sont déroulés dimanche 23 mai sont en effet qualifiables pénalement en droit lituanien. La menace de recours à la force armée contre un aéronef civil, par un avion militaire, pour le forcer à changer de route sous le faux prétexte d’une alerte à la bombe, constitue le crime de « détournement d’un aéronef au moyen d’une arme à feu, d’un explosif ou d’un autre moyen mettant en danger la vie ou la santé de l’équipage ou des passagers de l’aéronef », sanctionné par l’article 251 du code pénal. La plainte démontre que l’envoi d’un Mig 29 de l’armée de l’air bélarusse sur ordre du président Loukachenko, pour intercepter l’avion de RyanAir le 23 mai, constitue une menace « sur la vie ou la santé de l’équipage ou des passagers ». La plainte expose également les nombreuses raisons de considérer que l’alerte à la bombe, justification apportée par les autorités biélorusses à ce détournement, était une fausse alerte, utilisée comme prétexte pour forcer l’avion à atterrir et arrêter le journaliste Raman Pratasevich.
La plainte démontre enfin que l’arrestation n’avait pour autre but que d’intimider la population, en particulier l’ensemble des journalistes critiques au Bélarus et à l’étranger. RSF constate qu’« il ne fait aucun doute que l’arrestation de Pratasevich, à la suite d’un détournement sans précédent d’un avion international, a pour but d’intimider tous les journalistes biélorusses, en Biélorussie comme à l’extérieur du pays. Cet événement est destiné à leur montrer que, où qu’ils soient, ils peuvent être appréhendés par le régime et mis en prison. Cela démontre que le régime ne s’arrêtera en aucun cas pour arrêter quiconque le critique. » Les aveux forcés de Pratasevich, diffusés à la télévision biélorusse le 24 mai, où il reconnaît être coupable des accusations d' »organisation d’émeutes de masse », confirment cette stratégie cynique.
Tentative de déstabilisation de l’Union européenne
Au-delà, l’organisation relève que ce détournement a eu pour objectif de déstabiliser l’Union européenne, « en attaquant un avion européen volant entre deux capitales européennes, un avion immatriculé dans un État membre de l’UE (Pologne), et appartenant à une société basée dans un autre État membre de l’UE (Irlande). Une telle attaque a mis à l’épreuve l’UE, comme l’a souligné la réaction du Conseil européen du 25 mai. »
Selon l’article 7 du code pénal lituanien, en effet, « les personnes sont tenues pour responsables en vertu du présent code indépendamment de leur nationalité et de leur lieu de résidence, également du lieu de commission d’un crime et de la question de savoir si l’acte commis est puni en vertu des lois du lieu. de la commission du crime, lorsqu’ils commettent (…) des actes de terrorisme et des crimes liés à une activité terroriste (article 252.1 (1) et (2) ».
La plainte vise le président Bélarus Alexandre Loukachenko, et toute autre personne que l’enquête pourrait identifier comme responsable. RSF souligne que le procureur devra déterminer si Loukachenko peut ou non se prévaloir d’une immunité en tant que chef d’Etat en exercice, dès lors que les actes reprochés sortent du champ de l’exercice normal de son mandat. Une jurisprudence récente de la Cour fédérale de justice allemande laisse à penser que Loukachenko ne pourrait pas se prévaloir d’une immunité.
Le Bélarus a perdu 5 places (158e sur 180) au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF.