Reporters sans frontières (RSF) condamne ces procédés dégradants, que la polarisation des médias dans le conflit ne saurait justifier.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 4 mars 2020.
Parce qu’elle couvre les combats dans le dernier bastion rebelle du pays, une journaliste syrienne basée à Idlib est aujourd’hui l’objet de rumeurs et d’insultes sexistes de la part des milieux pro-gouvernement. Reporters sans frontières (RSF) condamne ces procédés dégradants, que la polarisation des médias dans le conflit ne saurait justifier.
“Voilà ce qui arrive à qui trahit son pays” : depuis le début du mois de mars, des dizaines de comptes syriens loyalistes, dont celui d’un député du Parlement, ont annoncé que la journaliste indépendante Merna Alhasan, l’une des premières femmes de la région à avoir été médiatisée avec son implication dans la couverture de la situation à Idlib, avait été violée par des terroristes et laissée pour morte. Une fausse information, démentie avec humour par l’intéressée sur sa page Facebook : “Tous les jours une nouvelle rumeur ! Je vais bien, merci !”.
Ce n’est pas la première fois que la journaliste subit une campagne de dénigrement. Mais depuis que les combats se sont intensifiés dans la région d’Idlib, et que la Syrie et la Turquie en sont arrivées à l’affrontement militaire direct, les menaces, les insultes et les railleries vont crescendo. Contactée par RSF, Merna Alhasan explique que des informations mensongères sont régulièrement partagées à son sujet par des comptes de médias et de personnalités soutenant Bachar Al-Assad. Une rumeur parmi d’autres : son propre père aurait décidé de la tuer car elle aurait sali son honneur en exposant son image à la télévision. La journaliste s’était par ailleurs filmée sur une place de Saraqeb prise par les rebelles, en train de défier un journaliste proche de Bachar Al-Assad très suivi sur Facebook. L’armée loyaliste a par la suite repris la localité et la réponse n’a pas tardé : le 2 mars, un autre journaliste loyaliste s’est filmé au même endroit et l’a interpellée à son tour avec une remarque sexiste.
“Se réjouir du supposé viol d’une journaliste et la ramener sans cesse à sa condition de femme pour attaquer son travail est insupportable, dénonce Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient à Reporters sans frontières (RSF). La polarisation des médias en Syrie donne lieu à des dénigrements mesquins et dégradants – d’autant que dans ce cas précis, on porte atteinte à l’intégrité morale d’une femme.”
Selon le Centre syrien des médias (SCM), la région d’Idlib compte environ une soixantaine de femmes journalistes. Certaines, contactées par RSF, confirment les difficultés rencontrées sur ce terrain de guerre. En premier lieu, le regard de la société : “Quand je suis en reportage et que je tiens une caméra, je vois le mépris dans les yeux des hommes”, explique Shadia Tataa, journaliste indépendante.
Pour sa part, la journaliste Jehan Haj Bakri a été menacée par le groupe djihadiste HTS car elle ne se voilait pas : “J’ai été contrainte de porter le hijab pour pouvoir gagner la confiance des gens, de la société, et ne pas subir de violence de la part des groupes islamistes”, confie-t-elle.
De même, Hadia Mansour a dû écrire sous pseudonyme, et en changer plusieurs fois, en raison de la situation sécuritaire : “Ça m’a beaucoup frustrée, parce que je ne pouvais pas apparaître sous mon vrai nom et que tout mon travail était dissimulé”.
La Syrie occupe la 174e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.