Par ailleurs, les autorités ont interdit, le 26 février dernier, la diffusion du quotidien espagnol "El Pais" au motif qu’il contenait des propos diffamants qui “portent atteinte à l’image de sa Majesté et aux institutions du pays”.
(RSF/IFEX) – Le 29 février 2012 – Reporters sans frontières s’inquiète des récentes mesures de censure prises contre des médias et de la répression sur le Net. Les autorités marocaines ont une nouvelle fois interdit, le 26 février dernier, la diffusion du quotidien espagnol El Pais. Deux net-citoyens, Walid Bahomane et Abdelsamad Haydour, ont également été condamnés pour avoir formulé des critiques du Roi sur les réseaux sociaux.
“Alors que le pays s’est engagé sur la voie de réformes politiques, avec la tenue d’un référendum constitutionnel le 1er juillet 2011 et d’élections législatives le 25 novembre dernier, la question de la liberté d’informer se heurte toujours aux fameuses lignes rouges que sont la figure du Roi et l’islam, a déclaré Reporters sans frontières. Sans liberté d’informer, les efforts de démocratisation récemment entrepris resteront sans effet. Nous appelons les autorités à appliquer à la presse le même esprit d’ouverture que dans le domaine politique.”
El Pais interdit au Maroc
Le numéro du 26 février 2012 d’El Pais a été interdit par les autorités marocaines, au motif qu’il contenait des propos diffamants qui “portent atteinte à l’image de sa Majesté et aux institutions du pays”. L’article mis en cause comportait des extraits de l’ouvrage co-écrit par Catherine Graciet et Eric Laurent, intitulé “Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc”, informant sur l’enrichissement du roi Mohammed VI, dont la fortune aurait, d’après les auteurs, doublé ces cinq dernières années.
Le ministère de la Communication a justifié cette décision en vertu de l’application de l’article 29 du code de la presse qui bannit tout propos portant atteinte à la personne du roi. Le 16 février, le quotidien espagnol avait déjà été interdit sur le territoire marocain en raison d’une illustration caricaturale du roi.
L’organisation dénonce une absence d’évolution dans le domaine de la législation punissant les propos offensants pour la monarchie et la nation. Les textes de lois doivent être réformés pour ne plus entraver la liberté d’expression et la liberté d’information fondamentales dans une démocratie. La Constitution marocaine, réformée à l’été 2011, ne prévoit aucune sanction contre la liberté d’expression, mais la sacralité du monarque est inscrite à l’article 46 : “la personne du Roi est inviolable”. Le code pénal prévoit tout un arsenal de sanctions sévères pour quiconque enfreint cet article. Reporters sans frontières déplore cette instrumentalisation du crime de lèse-majesté, qui entrave la liberté de l’information.
L’organisation avait manifesté ses préoccupations face à la recrudescence des actes de censure au Maroc. Dans une lettre adressée aux autorités marocaines, le 9 février 2012, elle avait dénoncé les interdictions successives de publication de plusieurs magazines et journaux, sous prétexte de ne pas heurter les sensibilités religieuses. L’agence de presse espagnole EFE fait état de 29 journaux étrangers interdits entre janvier 2011 et février 2012, dont 22 journaux et magazines français censurés.
Par ailleurs le directeur de publication du quotidien Al-Massae, Rachid Nini, arrêté le 28 avril 2011, a été condamné en appel, le 24 octobre 2011, à un an de prison ferme pour “désinformation”. Le journaliste paie le prix fort pour des articles qui dénonçaient des affaires de corruption au sein du pouvoir marocain. L’organisation réitère la demande de libération immédiate et sans contrepartie de Rachid Nini.
Censure en ligne
Walid Bahomane, étudiant de 18 ans, a été jugé à huis clos pour “piratage informatique” et “insulte aux valeurs sacrées du Maroc et au Roi”, pour avoir publié sur Facebook des vidéos et dessins humoristiques, et notamment la caricature de Mohammed VI qui a valu au journal El Pais d’être interdit au Maroc le 16 février 2012. Un tribunal de Rabat l’a condamné, le 16 février, à un an de prison et une amende de 10 000 dirhams (environ 1 000 euros) en vertu du premier chef d’accusation, considérant qu’il ne s’agissait pas d’une affaire de liberté d’expression, mais de cybercriminalité. Le net-citoyen était en détention provisoire depuis son arrestation, le 24 janvier dernier, au cours de laquelle les forces de l’ordre avaient saisi “deux pages Facebook (sic) contenant des phrases et des images insultantes pour les valeurs sacrées, ainsi qu’un ordinateur IBM”. Il fera appel de ce verdict mais la date de la prochaine audience reste à ce jour inconnue.
Le 13 février 2012, un autre étudiant a été condamné par un tribunal à Taza pour avoir critiqué le roi dans une vidéo postée sur Youtube. Abdelsamad Haydour, 24 ans, a écopé de trois ans de prison et une amende de 10 000 dirhams pour “atteinte aux valeurs sacrées de la nation”, à l’issue d’un procès expéditif à huis clos. Dans une vidéo de quatre minutes filmée lors d’une manifestation à Taza, le jeune homme fustige le régime de Mohammed VI (et qualifie le monarque de “chien de dictateur”). Il n’a pas eu accès à un avocat, et la cour n’a pas désigné de commis d’office pour assurer sa défense.
Mohamed El Boukili, membre du comité administratif de l’Association marocaine des Droits Humains (AMDH), a déclaré à Reporters sans frontières que ces deux procès inéquitables étaient entachés d’irrégularités. Les deux net-citoyens ont signé le procès verbal de leur mise en accusation sans présence de leur avocat et sous pression policière à l’issue de leur garde à vue. “Ces procédés sont malheureusement la norme au Maroc, et dans les cas d’atteinte à la sacralité du Roi, les poursuites judiciaires aboutissent trop souvent à des peines de prison”, a-t-il déclaré à l’organisation.
Par ailleurs, Reporters sans frontières constate un redoublement d’activité des cybermilitants pro-gouvernement sur la Toile marocaine. Le groupe Kingdom Morrocan Attack pirate les pages Facebook et les boîtes mails de journalistes indépendants et de militants du Mouvement du 20 février. La cyberpolice n’hésite pas à lancer des campagnes de désinformation à des fins de propagande pro-régime. D’après le blog VoxMaroc, elle pilote certaines de ces campagnes. Elle disposerait également d’outils de surveillance du Net très sophistiqués, notamment grâce à un logiciel espion fourni par l’entreprise française Amesys.
Le Maroc a perdu trois places dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011/2012, et se situe désormais au 138ème rang.