Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Politiciens, élections et internet
Des élections générales sont en cours au Royaume-Uni et Reporters sans frontières a mis en garde les dirigeants des Partis Conservateurs et Travaillistes (respectivement Theresa May et Jeremy Corbyn) pour respecter la liberté de la presse pendant leurs campagnes. Tous les deux dirigeants ont fait preuve d’attitudes inquiétantes et/ou comiques à l’égard de la presse. May, qui de notoriété publique est maladroit avec les journalistes, évite généralement les questions des journalistes, préférant plutôt se présenter à des événements rigoureusement organisés d’avance et filtrés. Ceci a entraîné une série d’incidents étranges, dont un au début du mois où les journalistes ont été empêchés de filmer Mme May et ont été enfermés dans une pièce. Corbyn, dont une étude de la London School of Economics a conclu qu’il a été la cible d’une campagne « d’assassinat du personnage » sans précédent et prolongée de la part de la presse du Royaume-Uni (principalement) proche du parti conservateur, ne s’est pas bien comporté non plus. Bien qu’il se soit rendu plus disponible aux médias que May, BuzzFeed News a rapporté que l’accès aux événements de la campagne du Parti Travailliste lui avait été refusé, après qu’il a exposé des contradictions autour de la ligne officielle des Travaillistes concernant la question de savoir si, oui ou non, Corbyn resterait leader en cas d’échec aux élections.
En termes de politique, le manifeste de la campagne du Parti Conservateur contient quelques bonnes nouvelles et certaines autres potentiellement très mauvaises pour les défenseurs de la liberté d’expression. La bonne nouvelle est une promesse bien accueillie de supprimer l’article 40 de la Loi sur les crimes et les tribunaux de 2013 (qui a potentiellement menacé les petits éditeurs avec des frais de justice exorbitants en cas de poursuites judiciaires) et contre lequel se bat vigoureusement Index on Censorship. La mauvaise nouvelle est l’annonce menaçante, vaguement formulée, selon laquelle un gouvernement conservateur « contrôlerait » l’Internet. Une suggestion de la façon dont ils pourraient faire cela est venue après l’horrible attentat suicide à Manchester le 22 mai, lorsque les ministres auraient déclaré qu’un gouvernement conservateur (s’il était réélu) prendrait des mesures sévères contre les applications de messagerie cryptées. Les aspects pratiques de la façon dont cela fonctionnerait ne sont pas clairs.
L’Allemagne est déjà à une législative en avance sur le Royaume-Uni en termes de « régulation » de l’Internet. Le récent projet de loi sur l’amélioration de l’application des droits sur les réseaux sociaux a été rigoureusement analysé et contesté par ARTICLE19. En résumé, le projet de loi impose aux réseaux sociaux de supprimer et de bloquer le « contenu incriminé » mais sans possibilité de « détermination de la légalité du contenu mis en cause par un tribunal et sans aucune directive … sur le respect du droit à la liberté d’expression ». La peur évidente est que les réseaux sociaux se trompent par prudence excessive en bloquant tout ce qui pourrait être potentiellement offensant.
En Ukraine, le président Poroshenko a signé un décret à la mi-mai interdisant aux médias russes et aux sites de réseaux sociaux d’opérer à l’intérieur des frontières ukrainiennes. Ce changement était en fait une extension des sanctions imposées en réponse à l’annexion illégale de la péninsule de Crimée en 2014 par la Russie (S.V.P voir le résumé de l’IFEX sur ce que les interdictions impliquent). Le décret a été contesté par Human Rights Watch, le Comité pour la protection des journalistes, Reporters sans frontières, ARTICLE 19 et Institute of Mass Information (IMI), qui ont tous parlé d’une atteinte à la liberté d’expression et à l’accès à l’information. IMI a rapporté que Poroshenko a déclaré qu’il lèverait l’interdiction lorsque « la Russie aura mis fin à son agression contre l’Ukraine ».
Délinquants permanents: la Turquie, l’Azerbaïdjan, la Russie
En Turquie, la persécution des voix discordantes se poursuit: Reporters sans frontières a protesté contre la première peine de prison (18 mois) prononcée dans le procès de ceux qui ont participé à une campagne de solidarité pour le quotidien pro kurde Özgür Gündem. PEN International a soulevé des préoccupations au sujet d’une grève de la faim de deux universitaires turcs contre leurs licenciements après le coup d’Etat. Bianet a signalé que les autorités ont pris d’assaut la Maison d’édition indépendante Belge, emportant 2 000 livres. Le journal Sozcu a publié une première page vierge pour protester contre la détention de certains membres de son personnel.
Les membres de l’IFEX continuent de consacrer des ressources à leur travail en Turquie. À la fin du mois, dans une manifestation de solidarité avec tous les journalistes emprisonnés en Turquie, Reporters sans frontières s’est associée à l’artiste parisien de rue C215 alors qu’il peignait, à travers le paysage urbain de Paris, les portraits de dix journalistes emprisonnés.
Àu milieu du mois, PEN International, ARTICLE 19, le Comité pour la protection des journalistes, Human Rights Watch, International Press Institute (IPI) et Reporters sans frontières ont publiquement appelé le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à s’attaquer à la « détérioration continue de la liberté d’expression et des autres droits humains » en Turquie. Des jours plus tard, Cartoonists Rights Network International et Human Rights Watch ont exhorté les dirigeants de l’UE à « traiter le plus sérieusement cette question » lorsqu’ils ont rencontré le président Erdogan à Bruxelles le 25 mai. Donald Tusk, président du Conseil européen, a annoncé qu’il a fait exactement cela. Une image vaut mieux que mille mots:
We discussed the need to cooperate . I put the question of human rights in the centre of our discussions with @RT_Erdogan. pic.twitter.com/HECdxEcS3P
— Donald Tusk (@eucopresident) May 25, 2017
Des bonnes nouvelles sont arrivées avec la Journée mondiale de la liberté de la presse (3 mai), lorsque Presseclub Concordia de l’Autriche a décerné le Prix Concordia aux quelque 150 journalistes emprisonnés en Turquie. Le jury, dont IPI est membre, a remis le prix en argent à un fonds mis en place pour soutenir les familles des journalistes.
La répression de l’Azerbaïdjan contre des journalistes indépendants et des activistes n’a montré aucun signe de ralentissement. Parmi les nombreux cas préoccupants de détention et / ou d’abus, l’un des plus pénibles – comme l’a signalé l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes – était le prétendu suicide en prison de l’activiste des droits humains Mehman Galandarov. Les rapporteurs spéciaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont appelé l’Azerbaïdjan à mener une enquête urgente. Un autre cas de emblématique – celui du blogueur et membre de l’IFEX, Mehman Huseynov – a été le point de mire de la Journée mondiale de la liberté de la presse de cette année, lorsque plus de 30 groupes de défense des droits (dont de nombreux membres de l’IFEX) ont publié une déclaration conjointe demandant sa libération immédiate de prison. Il purge une peine de deux ans pour les accusations de diffamation fallacieuses.
Comme l’a déclaré Freedom House à la fin du mois d’avril, il n’y a pas de fin en vue pour les violations des droits de l’homme en Russie. En mai, la persécution des personnes LGBTQ + en Tchétchénie a continué. Human Rights Watch a lancé une campagne en ligne – #Chechnya100 – pour protester contre les horribles abus. Il y avait des articles de presse disant que le président Poutine avait renforcé les restrictions concernant les manifestations sur la voie publique (en prévision d’une manifestation de masse prévue pour le 12 juin), et les journalistes ont continué d’être battus et pire encore: à la fin de mai, comme l’ont rapporté le Comité pour la protection des journalistes et la Fédération européenne des journalistes, Dmitry Popkov, rédacteur en chef du journal local indépendant Ton-M, a été abattu en Sibérie; Popkov était bien connu pour ses dénonciations de la corruption et il est le deuxième journaliste à être assassiné en Russie en 2017.
Bonnes et mauvaises nouvelles en bref: le Kazakhstan, la Hongrie, la Pologne et les Balkans
Le 14 mai, Ramazan Yesergepov, président de Journalists in Trouble, a été poignardé dans un train lorsqu’il voyageait pour rencontrer l’ambassadeur de Lituanie à Astana, au Kazakhstan, pour discuter du cas de Zhanbolat Mamay. Mamay était détenu depuis février pour des accusations très invraisemblables de blanchiment d’argent. Yesergepov a subi opération chirurgicale d’urgence suite au coup de poignard reçu. ARTICLE 19 a exigé une enquête complète sur l’attaque, qui, selon l’organisation, avait des motifs politiques. Dans un cas séparé, Adil Soz a rapporté que l’employé de l’État qui a menacé de mort le journaliste Lukpan Akhmedyarov a été révoqué après une enquête.
La Hongrie est soumise à une pression internationale croissante à cause de sa récente législation répressive visant l’Université d’Europe centrale (CEU) et des organisations non gouvernementales (ONG) financées de l’extérieur du pays. Cette répression contre des organisations indépendantes se déroulait depuis un certain temps et il semble que la majeure partie de l’Europe en avait eu assez: à la fin du mois d’avril, le député européen Guy Verhofstadt a donné au Premier ministre Orbán un sévère avis public qui peut être vu ici (à ne pas manquer!). Au début de mai, Nils Muižnieks, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a officiellement appelé la Hongrie à rejeter la loi sur les ONG; à la mi-mai, les députés européens ont appelé à la mise en œuvre de l’article 7 (qui comporte un avertissement formel donné à l’État en question, avec des sanctions possibles et suivi d’une suspension des droits de vote). Reporters sans frontières et Human Rights Watch avaient écrit au Parlement européen en avril pour demander que des mesures soient prises contre la Hongrie. En public, la Hongrie donne l’impression de résister et elle semble avoir le soutien de la Pologne (qui est elle-même observée à la loupe pour ses actions de sape de l’Etat de droit et des droits fondamentaux).
Les organisations de droits expriment continuellement leurs inquiétudes concernant les menaces pesant sur la presse indépendante dans les Balkans. Plus particulièrement inquiétante est la situation en Macédoine où Index on Censorship rapporte que 21 attaques contre des journalistes ont été enregistrés depuis le début de l’année 2016. Le Réseau sud-européen pour la professionnalisation des médias (SEENPM) a cité une étude qui a déclaré que les autorités macédoniennes tentent de contrôler la presse en usant de financements généreux ou de la violence.
L’impunité a longtemps été un problème dans les Balkans, et les Journalistes canadiens pour la liberté d’expression ont mis en évidence le cas du journaliste Dušan Miljuš (sauvagement battu en 2008 et toujours en attente de justice) pour protester contre l’impunité ambiante actuelle en Croatie.
Portraits de journalistes par C215, Reporters sans frontières