Le gouvernement turkmène détient toujours dans des conditions très dures deux journalistes condamnés pour "possession de munitions illégales".
(RSF/IFEX) – Il y a trois ans, le 12 septembre 2006, Ogoulsapar Mouradova, correspondante de Radio Free Europe / Radio Liberty au Turkménistan, trouvait la mort après avoir reçu des coups très violents de ses geôliers à la prison de haute sécurité d’Ovodan Depe (au nord de la capitale, Ashgabat). Alors que le gouvernement turkmène détient toujours dans des conditions très dures deux de ses collègues condamnés en même temps qu’elle, Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev, il multiplie les offensives de charme tous azimuts.
Dépendant des revenus tirés de l’exportation de son gaz, le Turkménistan cherche activement à diversifier ses débouchés et améliorer son image sur la scène internationale. Récemment, le président Gourbangouly Berdymoukhamedov a rencontré plusieurs chefs d’Etat de pays riverains de la mer Caspienne, scellé des retrouvailles avec le président russe Dmitri Medvedev le 13 septembre, puis aussitôt rencontré le président ukrainien Viktor Iouchtchenko. Dans un discours prononcé le 12 septembre, Gourbangouly Berdymoukhamedov a lancé un appel à tous les partenaires potentiels. Mentionnant l’ouverture d’ici la fin de l’année d’un gazoduc vers la Chine, il a également évoqué un projet de taille similaire – bien que beaucoup plus hypothétique – qui conduirait le gaz turkmène jusqu’à l’océan Indien. Surtout, il a rappelé que son pays était déterminé à rejoindre le projet de gazoduc européen Nabucco.
« Cette offensive diplomatique a été préparée de longue date par le successeur du ‘Turkmenbashi’. Mais le changement de ton du régime turkmène ne doit pas faire illusion. A l’heure où il entend acheter par cette posture l’indulgence de la communauté internationale, nous incitons plus que jamais ses partenaires potentiels à se pencher sur la situation concrète de ce pays, qui reste placé 171e sur 173 dans notre classement mondial de la liberté de la presse », a déclaré Reporters sans frontières.
« Au début de l’année 2009, le limogeage de deux importantes figures de la censure officielle avait pu donner des espoirs de libéralisation. Mais derrière la façade, rien n’a vraiment changé, et le Turkménistan reste l’un des pays les plus répressifs du monde pour les journalistes. Le paysage médiatique est exempt de toute critique envers le régime. Des cybercafés ont été autorisés, mais l’accès aux sites d’opposition est bloqué, les courriers électroniques sont surveillés, et visiter des sites d’informations alternatifs peut se révéler extrêmement dangereux. Comment prendre au sérieux les velléités réformatrices d’un régime qui exhorte les journalistes locaux à prendre exemple sur les médias étrangers, tout en refusant arbitrairement de laisser journalistes et étudiants sortir du territoire? », poursuit l’organisation.
Les personnes collaborant avec des médias étrangers risquent de graves ennuis. L’intimidation est telle que les journalistes locaux sollicités par des médias étrangers opposent le plus souvent un refus catégorique. Les exemples de Sapardourdy Khadjiev et Annakourban Amanklytchev contribuent à maintenir la chape de plomb. Les deux journalistes ont été condamnés à 6 et 7 ans de prison en 2006 pour « possession de munitions illégales », après avoir travaillé avec la société audiovisuelle française Galaxie-Presse qui préparait un reportage sur le Turkménistan pour la chaîne France 2. Selon des témoignages récents, la santé des deux journalistes s’est dégradée: ils souffrent de multiples infections, en particulier de l’estomac et des reins, et de douleurs aux jambes et aux articulations. Leur accès aux soins est très limité, et aucune organisation internationale, pas même le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), n’est autorisée à leur rendre visite. En outre, leurs proches ainsi que ceux d’Ogoulsapar Mouradova sont privés de sortie du territoire, placés sur écoutes téléphoniques, et entravés dans leur accès à l’emploi et l’éducation supérieure. « Si le Président Gourbangouly Berdymoukhamedov veut transformer ses paroles en actes, il doit libérer Annakourban Amanklytchev et Sapardourdy Khadjiev », a rappelé Reporters sans frontières.
« A l’occasion du triste anniversaire de la mort d’Ogoulsapar Mouradova, nous en appelons aux membres de l’Union européenne pour qui il doit être clair que l’ouverture commerciale et diplomatique vers le Turkménistan ne peut faire l’impasse sur la situation des droits de l’homme et de la liberté de la presse », a conclu l’organisation.