Abdou Latif Coulibaly, directeur de l'hebdomadaire "La Gazette", a été condamné après avoir mis à jour une affaire douteuse de transferts de fonds impliquant un industriel proche du président Wade.
(RSF/IFEX) – Le 14 avril 2011, Abdou Latif Coulibaly, directeur de l’hebdomadaire « La Gazette », a été condamné à trois mois de prison avec sursis et dix millions de francs CFA d’amende (15 267 euros) pour « diffamation » après avoir mis à jour une affaire douteuse de transferts de fonds impliquant un industriel sénégalais proche du président Abdoulaye Wade.
Reporters sans frontières condamne l’acharnement des autorités sénégalaises et de plusieurs hauts responsables proches du pouvoir à l’endroit d’Abdou Latif Coulibaly, l’un des journalistes les plus respectés de Dakar. En multipliant les poursuites, ils exercent sur lui une pression inacceptable, en le condamnant à de la prison avec sursis, ils placent au-dessus de lui une épée de Damoclès susceptible de le décourager dans ses investigations.
Cette nouvelle condamnation relance pour la énième fois le débat sur la dépénalisation des délits de presse au Sénégal. Reporters sans frontières demande aux autorités de cesser de prononcer des peines de prison, même avec sursis, contre les professionnels de l’information. Ces sanctions, archaïques et disproportionnées, ne constituent jamais une réponse juste aux délits de diffamation.
Pourtant approuvée par le président Wade, la réforme tant attendue du Code de la presse visant à remplacer les peines de prison par des sanctions pécuniaires ne reste pour l’instant qu’au stade de la déclaration d’intention. La réforme est laissée pour morte depuis environ huit mois sur les bureaux de l’Assemblée nationale. Ces lenteurs traduisent un manque flagrant de volonté politique.
Abdou Latif Coulibaly est accusé de diffamation par l’industriel Abbas Jaber, patron de Suneor, pour des articles, publiés en mai 2010, dans les numéros 59 et 63 de « La Gazette ». Le premier article affirmait que l’Etat sénégalais avait « accordé une subvention de six milliards de francs CFA » à Abbas Jaber et « imposé une Taxe conjoncturelle d’importation (Tci) de 25% pour protéger l’industrie de l’ami personnel du chef de l’Etat ».
Dans le second numéro incriminé, Abdou Latif Coulibaly accusait Abbas Jaber d’avoir « violé les obligations contractuelles qui le liaient à l’Etat du Sénégal. » L’article publié en Une, intitulé « Vente du patrimoine foncier de Suneor, main basse sur 16 milliards », était illustré par une photographie du plaignant. Il révélait qu’Abbas Jaber avait vendu « 80% du patrimoine de Suneor à 165 milliards. Or, la convention avait prévu qu’il ne pouvait le céder avant 2012. »
Le journaliste est manifestement dans le collimateur de la justice sénégalaise. Il avait déjà été condamné à un mois de prison avec sursis et une amende de 20 millions de francs CFA (environ 30 000 euros) en novembre 2010.