A ce jour, RSF dénombre près d'une dizaine de journalistes et collaborateurs des médias appelés à comparaître devant la justice ou sujets à une enquête judiciaire, vraisemblablement à la suite de plaintes déposées par les forces de sécurité.
(RSF/IFEX) – le 18 juin 2011 – Reporters sans frontières condamne avec la dernière énergie les stratégies honteuses adoptées les forces de sécurité soudanaises pour mettre sous silence les médias et les journalistes, à Khartoum et dans le nord du pays. Gênées par les révélations de la presse sur les exactions dont elles se rendent coupables, les forces de sécurité resserrent l’étau sur les journalistes, les harcèlent, et les envoient devant la justice.
« Alors que l’attention des médias et de la communauté internationale est tournée vers la future indépendance du Sud-Soudan et les combats à Abyei et dans le Kordofan-Sud, la situation de la liberté de la presse et des droits de l’homme dans le nord du pays reste extrêmement préoccupante. Au pays d’Omar el-Béchir, où règne la censure préalable, les autorités et les forces de sécurité veulent désormais contraindre les journalistes à l’autocensure. Les récentes arrestations et procédures judiciaires lancées contre les journalistes peuvent en effet dissuader la presse de mener des enquêtes sur les sujets sensibles tels que les crimes commis par les forces de sécurité. Depuis le début de l’année, toute opinion ou toute critique émise contre ces dernières est passible de poursuites judiciaires », a déclaré Reporters sans frontières.
« Nous avions déjà dénoncé, en mars dernier, l’engrenage judiciaire et la campagne de harcèlement dont sont victimes les journalistes. La situation ne fait qu’empirer. Elle peut aboutir à un black-out médiatique sur les violations des droits de l’homme commises dans le nord du pays », a ajouté l’organisation.
A ce jour, Reporters sans frontières dénombre près d’une dizaine de journalistes et collaborateurs des médias appelés à comparaître devant la justice ou sujets à une enquête judiciaire, vraisemblablement à la suite de plaintes déposées par les forces de sécurité. Faisal Mohamed Salih, Babikir Omer Al-Garrai, Abdalla Al-Shaik, Mohamed Latif, Faiz Al-Selaik, Amal Habani, Fatima Ghazali, Saadeldin Ibrahim, Mohamed Osman, et le Dr. Nahid Al-Hassan figurent sur la liste, non officielle, dressée par les forces de sécurité soudanaises et présentée au ministère de la Justice. Tous ont écrit ou collaboré à des articles dénonçant le sort réservé, en février dernier, à la militante des droits de l’homme Safia Ishag, détenue, torturée et violée par plusieurs officiers des forces de sécurité (NISS – National Intelligence and Security Services).
Ces journalistes peuvent être poursuivis en vertu du Code Pénal (1991) et du Press Act (1999) pour « diffamation » et « diffusion de fausses informations » à l’encontre des forces de sécurité, elles-mêmes protégées par le National Security Act.
Entendue par la justice en mars dernier, Amal Habani, journaliste pour Al-Jarida, a été présentée devant la Cour de la presse, le 12 juin 2011, en première audience, en compagnie de Fatima Ghazali et Saadeldin Ibrahim, respectivement journaliste et rédacteur en chef du quotidien Al-Jarida. Amal Habani et Saddeldin Ibrahim ont été convoqués le 16 juin. Après avoir entendu les plaignants – deux représentants légaux du département des NISS et leurs avocats – et la défense, le juge Modather Al-Rasheed a décidé de poursuivre les deux journalistes en vertu de l’article 66 du Code Pénal condamnant la publication de fausses informations, de l’article 24 du Press Act sur les devoirs et les obligations de la presse, et de l’article 26 du même texte sur la responsabilité des rédacteurs en chef dans la publication des articles. La prochaine audience aura lieu le 30 juin. Fatima Ghazali, quant à elle, comparaîtra le 19 juin, en compagnie de Saadeldin Ibrahim.
Deux semaines auparavant, le 29 mai, Faisal Mohamed Salih, journaliste de renom pour le quotidien en langue arabe Al-Akhbar, l’écrivain Babikir Omer Al-Garrai, collaborateur du quotidien Ajras Alhurriya, et Abdalla Al-Shaik, rédacteur en chef du même quotidien, ont été présentés en première instance devant la Cour de la presse et des publications de Khartoum. Babikir Omer Algarrai et Abdalla Al-Sheik avaient publié un article, le 6 mars 2011, intitulé « Rape…Under Sharia law ». L’article sommait les autorités de faire la lumière sur les exactions commises contre Safia Ishag. Les deux journalistes comparaîtront en seconde audience le 21 juin.
Faisal Mohamed Salih sera, lui, à nouveau entendu le 28 juin. Il est poursuivi pour « diffamation », tout comme le rédacteur en chef du journal, Mohamed Latif, co-accusé en vertu du Press Act (art.26). Faisal Mohamed Salih avait écrit un article, le 1er mars, dans lequel il dénonçait l’impunité dont bénéficient les officiers des NISS, qui, en vertu du National Security Act, échappent à la justice, hors directive expresse du directeur général des forces de sécurité. Venu soutenir les journalistes le 29 mai, Abdelazeez Al-Nagar a été détenu quelques heures par les forces de sécurité pour avoir distribué les articles incriminés devant la Cour de la presse.
Malheureusement, la liste des journalistes dans le viseur des forces de sécurité s’allonge de jour en jour. Faisal Elbagir, journaliste actuellement en exil, fondateur de l’association Journalists for Human Rights et correspondant de Reporters sans frontières pour le Soudan, figure parmi les journalistes en ligne de mire. Mohamed Osman, rédacteur en chef du bureau de Khartoum du journal écrit en anglais The Citizen, et Nahid Al-Hassan, militante et collaboratrice de Ajras al-Hurriya et Al-Ayaam, font eux aussi l’objet d’une enquête. Nahid Al-Hassan est appelée à comparaître le 6 juillet prochain.
Enfin, le procès du journaliste du quotidien Alsahafa, Gafar Alsabki Ibrahim, détenu depuis le 3 novembre 2010 avec des collaborateurs de Radio Dabanga, s’est ouvert le 16 juin 2011. L’affaire est suivie par le juge Abdelmoniem Salim Mohamed Ali devant la Cour centrale criminelle de Khartoum. La prochaine audience est prévue le 21 juin.