Quatre journalistes avaient été convoqués par la Division des investigations criminelles suite à la publication d'un dossier critiquant l'entourage du président.
(RSF/IFEX) – Le 19 juin 2011 – Reporters sans frontières s’inquiète de la nette dégradation des relations entre le pouvoir et la presse au Sénégal alors que le pays est sujet à des mouvements de protestation contre le président Abdoulaye Wade.
En l’espace d’un mois, les pressions contre le groupe de presse Walfadjri se sont intensifiées, alors que le président de la République vient de déclarer, le 14 juillet, à Dakar, vouloir continuer à tenir « le gouvernail [du] pays contre vents et marées. » La veille, quatre journalistes du quotidien Walfadjri l’Aurore avaient été convoqués par la Division des investigations criminelles (DIC), suite à la publication d’un dossier critiquant l’entourage du président. Le 26 juin, un correspondant du quotidien avait été menacé par un policier lui reprochant sa couverture des manifestations. Le 14 juin, deux journalistes du quotidien Walf Grand-Place avaient été condamnés pour diffamation. Plus tôt, le gouvernement avait accusé le groupe de presse Walfajdri d’appeler au soulèvement et à la désobéissance.
« A sept mois de l’échéance prévue pour l’élection présidentielle et alors que le Sénégal est secoué, depuis un mois, par de sérieux mouvements de protestation contre le pouvoir, nous sommes inquiets de voir les autorités s’en prendre au groupe Walfadjri et à la presse en général. Au fond, nous ne sommes pas surpris. Depuis plusieurs années, le président Abdoulaye Wade et son gouvernement font preuve de mauvaise volonté vis-à-vis des médias, en promettant, par exemple, la dépénalisation des délits de presse, mais en ne donnant aucune suite à leurs propositions. Nous craignons que les autorités profitent du climat actuel, potentiellement déstabilisateur pour le pays, pour réduire au silence les journalistes critiques, d’autant plus qu’un projet proposé par l’instance de régulation de l’audiovisuel pourrait ouvrir grand la voie à la censure », a déclaré Reporters sans frontières.
Abdourahmane Camara, ancien directeur de publication du quotidien Walfadjri l’Aurore et les reporters Charles Gaïky Diène, Yakhya Massaly et Mohamed Mboyo ont été auditionnés pendant plus de dix heures, le 13 juillet 2011, à la Division des investigations criminelles. Les journalistes avaient tous signé le dossier paru la veille en Une et intitulé « Menteurs, agresseurs, détourneurs : Les voyous de la République! ». Ce dossier relatait les scandales dans lesquels sont impliqués neuf collaborateurs du président Abdoulaye Wade, dont certains ministres en fonction. Les journalistes ont été relaxés faute d’auteur principal du délit présumé, bien que le président directeur général du groupe Walfadjri, Sidi Lamine Niasse, se soit constitué directeur de publication et ait affirmé endosser la responsabilité des écrits.
Deux semaines auparavant, le 26 juin, le correspondant du groupe Walfajdri à Mbacké (190 km de Dakar), El Modou Guève, avait été malmené par un agent de police, Boly Gaye. Ce dernier avait reproché au correspondant sa couverture des manifestations du 23 juin contre le projet de modification constitutionnelle proposé par le président de la République.
Enfin, après plusieurs renvois, le tribunal correctionnel de Dakar a rendu, le 14 juin, son délibéré concernant le procès en diffamation contre le journal Walf Grand-Place, intenté par le chargé de la propagande du président et ancien ministre de l’agriculture, Farba Senghor. Le directeur de publication du quotidien, Jean Meissa Diop, et le journaliste et auteur de l’article intitulé « Centif : les limiers sur les traces de Farba Senghor », publié en Une le 14 janvier 2011, Ndiogou Cissé, ont été condamnés à un mois de prison avec sursis. Le groupe de presse Walfadjri, déclaré civilement responsable, a été condamné à payer trois millions FCFA de dommages et intérêts (4573 euros).
C’est dans ce contexte général mouvementé que le Conseil national de régulation de l’Audiovisuel (CNRA) a proposé un texte liberticide pour les radios et les télévisions. Malgré l’opposition du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Moustapha Guirassy, l’instance de régulation propose de modifier les articles 1, 4 et 26 de la loi du 4 janvier 2006 portant création du CNRA. Le CNRA souhaite renforcer ses pouvoirs afin de « prendre immédiatement toute mesure utile de nature à mettre fin aux dérapages, dérives et autres violations dont se rendent coupables certains organes ». L’article 26 modifié de la loi de 2006 stipule que le CNRA pourra « ordonner l’arrêt immédiat sans préjudice de sanctions allant de la suspension de tout ou partie des programmes, au retrait pur et simple de l’autorisation d’émettre en passant par les sanctions pécuniaires allant d’une amende de deux à dix millions ou une pénalité quotidienne de cent mille francs en cas d’inexécution de la décision du CNRA. » Ces décisions sont exécutoires. A ce jour, aucune décision n’a été prise et le projet est temporairement suspendu.
Le Sénégal se situe en 93ème position, sur 178 pays, dans le classement mondial 2010 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.