(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une mise à jour d’alerte de RSF, suivi d’une lettre ouverte à la présidente Chandrika Kumaratunga, sur l’assassinat du journaliste Mylvaganam Nimalarajan : Dans une lettre ouverte à la Présidente et ministre de la Défense, Chandrika B. Kumaratunga, RSF s’est inquiétée des « graves manquements commis au cours des derniers mois par les […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une mise à jour d’alerte de RSF, suivi d’une lettre ouverte à la présidente Chandrika Kumaratunga, sur l’assassinat du journaliste Mylvaganam Nimalarajan :
Dans une lettre ouverte à la Présidente et ministre de la Défense, Chandrika B. Kumaratunga, RSF s’est inquiétée des « graves manquements commis au cours des derniers mois par les autorités civiles et militaires » en charge de l’enquête sur l’assassinat du journaliste Mylvaganam Nimalarajan. RSF s’est inquiétée du manque de volonté du gouvernement sri lankais de « faire la lumière sur cette affaire. »
Nimalarajan, collaborateur de la BBC et de plusieurs publications sri lankaises, a été assassiné le 19 octobre 2000 à son domicile de Jaffna (nord du pays). Des inconnus ont mitraillé son bureau et lancé une grenade. La police de Jaffna n’a, pour l’instant, transmis aucune information au juge en charge de l’affaire.
RSF a demandé à la Présidente de « mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires afin que la police puisse véritablement mener une enquête. « Nous vous demandons également de veiller à ce que le juge R. T. Vicknarajah, en charge de l’affaire à Jaffna, puisse procéder à une instruction indépendante de ce dossier. » Reporters sans frontières a indiqué être « prête à participer à une enquête internationale sur l’assassinat de M. Nimalarajan ».
« Le journaliste avait reçu des menaces de la part de responsables du parti pro-gouvernemental Eelam People’s Democratic Party (EPDP) mise en cause dans de nombreux articles et reportages pour ses violations des droits de l’homme. Les enquêteurs doivent se pencher sérieusement sur cette piste », a ajouté Robert Ménard, secrétaire général de l’organisation.
Son Excellence Chandrika B. Kumaratunga
Présidente de la République du Sri Lanka
Presidential Secretariat
Secretariat Building
Colombo 01
Sri Lanka
Paris, le 19 avril 2001
Madame la Présidente,
Le 19 octobre 2000, Mylvaganam Nimalarajan, journaliste sri lankais, était assassiné à son domicile de Jaffna. Le lendemain de sa mort, vous vous êtes engagée à faire ouvrir une enquête pour établir les mobiles de cet acte et en identifier les auteurs. Mais Reporters sans frontières ne peut que constater, six mois après cet assassinat, que l’enquête est au point mort. Récemment, la police a même rejeté la demande d’un juge de Jaffna de présenter pour le 4 avril dernier les premiers résultats de l’enquête et reporté la remise de ce document au 29 mai 2001, soit plus de sept mois après les faits. Notre organisation considère que de graves manquements ont été commis au cours des derniers mois par les autorités civiles et militaires en charge de l’affaire et s’inquiète du manque de volonté de votre gouvernement de faire la lumière sur ce crime. Tout laisse indiquer que certains officiels ont intérêt à étouffer cette affaire.
M. Nimalarajan, âgé de trente-huit ans et père de trois enfants, était le dernier journaliste indépendant à travailler, malgré la censure et l’état d’urgence, pour un média international dans la région de Jaffna, les services en cinghalais et en tamoul de la BBC. Il était également le correspondant à Jaffna du quotidien en tamoul Haraya, et écrivait régulièrement des articles pour les journaux en tamoul Athavan et Virakesari et l’hebdomadaire en cinghalais Ravaya. Responsable de l’Association des journalistes du Nord, M. Nimalarajan a été à l’origine de plusieurs initiatives pour la défense de la liberté de la presse. Sa mort a suscité de vives réactions au sein de la profession et de la société civile.
Selon les informations recueillies par RSF, M. Nimalarajan a été assassiné le 19 octobre 2000 vers 20h00 alors que le couvre-feu en vigueur dans la ville venait d’être imposé. Des inconnus ont mitraillé le bureau dans lequel le journaliste travaillait puis lancé une grenade dans son salon. Il est mort à 22h30 à l’hôpital de Jaffna. Ses parents et son neveu de onze ans ont été grièvement blessés au cours de l’attaque qui n’a pas été revendiquée.
Nous souhaitons tout d’abord attirer votre attention sur certains éléments qui ne semblent pas avoir été pris en compte par les autorités compétentes. Tout d’abord, l’assassinat du collaborateur de la BBC intervient dix jours après les élections législatives du 10 octobre. M. Nimalarajan avait dénoncé dans ses articles et reportages la violence et la fraude qui ont marqué la campagne électorale à Jaffna. Le journaliste mettait notamment en cause le parti tamoul Eelam People’s Democratic Party (EPDP, progouvernemental). Il faut signaler que le leader de ce parti a été nommé ministre des Affaires tamoules du Nord-Est de votre gouvernement, le jour même de l’assassinat de M. Nimalarajan. Plusieurs organisations non gouvernementales ont confirmé les accusations du journaliste et mis en cause l’EPDP dans des pratiques d’intimidation, de fraude et d’abus de biens sociaux au cours de la campagne.
Quelques jours avant sa mort, M. Nimalarajan avait confié à des amis avoir reçu des menaces de mort liées à son travail, et notamment suite à la publication d’un article dans Athavan mettant en cause l’EPDP.
Selon des informations recueillies par la BBC, une bicyclette a été trouvée, peu après le meurtre, à proximité du domicile du journaliste. Dans une lettre adressée aux autorités de Jaffna, un certain Kandasamy Jegadeeshwaran a affirmé avoir remis, le 20 janvier 2000, cette même bicyclette au secrétaire du bureau du EPDP à Jaffna.
Reporters sans frontières est d’autant plus préoccupée que, selon certaines sources à Jaffna, la police n’a pas procédé à l’audition des militaires sri lankais en charge de la sécurité de la zone où résidait la famille Nimalarajan. En effet, le journaliste vivait dans un quartier dit de « haute sécurité », protégé par les forces sri lankaises. Un poste militaire est situé à moins de cinquante mètres du lieu du crime. Au moins trois autres postes sont proches de la maison du journaliste. Il semble difficile de croire que les militaires n’ont rien vu ni entendu de l’attaque ou de la fuite des assaillants, armés de mitraillettes, grenades et couteaux.
Reporters sans frontières est également très inquiète de certaines déclarations de responsables gouvernementaux sur l’assassinat de M. Nimalarajan. Ainsi, en novembre 2000, Douglas Devananda, ministre et leader du EPDP, a déclaré que le journaliste de la BBC avait des liens avec les combattants du LTTE. Selon d’autres informations, le commandant des forces armées, Lionel Balagalle, a affirmé publiquement que M. Nimalarajan aurait fait parvenir au LTTE des photographies de certains candidats aux dernières élections législatives de Jaffna.
Depuis plusieurs mois, Reporters sans frontières a constaté une dégradation des conditions de travail des journalistes sri lankais, notamment tamouls. Des journalistes ont été interrogés, menacés, détenus abusivement et agressés, notamment par les forces de sécurité. Ainsi, à Jaffna, le quotidien Uthayan a fait l’objet de nombreuses menaces et d’attaques de la part de groupes armés tamouls. Son directeur, N. Vithyatharan, a échappé à une tentative d’assassinat, au début du mois d’octobre 2000. Bien que le journaliste ait identifié les suspects, la plainte qu’il a déposée auprès des autorités militaires n’a toujours pas été instruite.
Comme vous le savez, les journalistes sri lankais payent le prix fort pour exercer leur profession. Au moins trente et un d’entre eux ont été tués ou assassinés depuis 1988. Dans la grande majorité de ces cas, les meurtriers n’ont jamais été arrêtés ni jugés.
Six mois jour pour jour après l’assassinat du journaliste M. Nimalarajan, nous vous prions instamment à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires afin que la police puisse véritablement mener une enquête. Nous vous demandons également de veiller à ce que le juge R. T. Vicknarajah, en charge de l’affaire à Jaffna, puisse procéder à une instruction indépendante de ce dossier. Nous vous demandons enfin de nous tenir informés de l’avancée de l’enquête. Reporters sans frontières est prête à participer à une enquête internationale sur l’assassinat de M. Nimalarajan. Au-delà des enjeux de pouvoir, la vérité sur la mort de ce journaliste doit être une priorité pour votre gouvernement. Nous attendons désormais, dans les prochaines semaines, les signes concrets de votre engagement dans ce sens.
Je vous remercie de l’attention que vous voudrez bien accorder à nos demandes, et je vous prie d’accepter, Madame la Présidente, l’expression de ma très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général
Recommended Action
Envoyez des lettres de protestation comparables à:Son Excellence Chandrika B. Kumaratunga
Présidente de la République du Sri Lanka
Presidential Secretariat
Secretariat Building
Colombo 01
Sri Lanka
Téléc.: +94 1 333 703Envoyer des copies de vos protestations à l’initiateur si possible.