(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre de RSF au Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, à propos de la situation de la liberté de la presse dans le pays : Son Excellence Sheikh Hasina Premier ministre République du Bangladesh Dhaka Bangladesh Paris, le 29 mars 2001 Madame le Premier ministre, Vous avez maintes fois affirmé votre […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre de RSF au Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, à propos de la situation de la liberté de la presse dans le pays :
Son Excellence Sheikh Hasina
Premier ministre
République du Bangladesh
Dhaka
Bangladesh
Paris, le 29 mars 2001
Madame le Premier ministre,
Vous avez maintes fois affirmé votre attachement et celui de votre gouvernement à la liberté de la presse et au respect du pluralisme de l’information. Mais Reporters sans frontières et les organisations de journalistes bangladeshi ne peuvent que constater avec effroi la multiplication des attaques, parfois d’une brutalité sans nom, contre les journalistes et la liberté d’expression. L’impunité dont jouissent les auteurs et les commanditaires de ces atteintes à la liberté de la presse nous préoccupe tout particulièrement. Alors que votre pays s’engage dans une campagne électorale, nous vous demandons de traduire en actes cet engagement en faveur de la liberté de la presse.
Le choix de la justice, pour l’heure, n’a pas été fait. Alors que des responsables du gouvernement, de l’administration, ou des pouvoirs locaux affichent toujours plus ouvertement leur mépris pour la sécurité des journalistes et pour une information indépendante, il est de la responsabilité du chef du gouvernement de désigner désormais clairement la voie à suivre, conformément à l’engagement démocratique du Bangladesh. Deux événements qui vous donnent l’occasion d’enrayer une dérive inquiétante et de prendre des décisions conformes à vos engagements :
– Nous souhaitons tout d’abord attirer votre attention sur le cas du journaliste de l’agence de presse indépendante United News of Bangladesh, Tipu Sultan, dont les mains ont été brisées, le 25 janvier 2001. Plusieurs témoins ont identifié des proches du député de la Ligue Awami de la ville de Feni comme les auteurs de cet acte barbare. Le journaliste lui-même a identifié les coupables. Malgré la gravité de cette attaque et les protestations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, aucune enquête n’a été diligentée et les assaillants jouissent d’une totale impunité. Le journaliste, aujourd’hui hospitalisé à Dhaka, a perdu l’usage de ces mains. Certes vous avez donné cent mille takas (environ deux mille euros) au profit du journaliste blessé, mais les auteurs et le commanditaire ne méritent-ils pas d’être sanctionnés?
– Au sein de votre gouvernement, des voix se sont récemment élevées pour demander la suspension des retransmissions des journaux d’information de la BBC sur la radio nationale, tant que l’un des journalistes de la radio ne serait pas renvoyé de la rédaction. Certains de vos partisans accusent Syed Mahmud Ali d’avoir participé au coup d’Etat de 1975 contre le père de l’indépendance, Shiekh Mujibur Rahman. Ces accusations, qui selon plusieurs témoignages sont erronées, auraient pour but d’attaquer la BBC qui propose aux Bangladeshi une information indépendante. Un membre de votre gouvernement a affirmé que « Mahmud Ali ne travaillera pas de manière neutreâ¦depuis que ses affiliations politiques sont démasquées. » Suite à ces accusations, la BBC a réitéré sa confiance à Mahmud Ali et a affirmé qu’il n’avait jamais été mis en cause dans le cadre des enquêtes officielles sur ces évènements. De telles menaces contre un journaliste d’un média étranger sont incompatibles avec le respect du pluralisme de l’information. Elles rappellent également les méthodes des régimes militaires qui vous ont précédée, notamment celui du général Ershad qui avait emprisonné pendant plusieurs semaines un correspondant de la BBC, en 1989, et interdit l’entrée de journalistes de cette radio dans le pays.
Nous dénonçons par ailleurs la poursuite de la dégradation des conditions de travail des journalistes au Bangladesh. Depuis le début de l’année, Reporters sans frontières a recensé plus de vingt-quatre agressions contre des journalistes dont dix perpétrées par des militants politiques. Selon l’organisation Bangladesh Human Rights Bureau, ce sont vingt-six journalistes qui ont été victimes de violences physiques. A notre grand regret, des membres de votre parti, la Ligue Awami, et des mouvements de jeunesse qui le supportent, notamment la Ligue Chattra, sont à l’origine d’un nombre important de ces attaques d’une rare violence. Les forces de police ont également à leur actif des arrestations abusives et des violences au cours de détentions. Récemment, la police a arrêté, le 9 mars, Panthanibas Barua, le correspondant du quotidien Purbokone dans le Chittagong (sud-est du pays). Le journaliste est accusé d’avoir publié des articles sur les pratiques de corruption au sein de la police locale. Panthanibas Barua serait toujours détenu. Dans l’ouest du pays cette fois, le correspondant du quotidien Bhorer Kagoj à Rajbari a été arrêté, le 26 février 2001, par des policiers suite à une plainte déposée par des responsables d’un hôpital qui s’estimaient diffamés par des articles sur la corruption au sein de cet établissement. Le journaliste a été frappé, aspergé d’eau brûlante et contraint à dormir dans une pièce d’un mètre de large. Enfin, le 25 février, neuf journalistes ont été frappés par des policiers lors d’une conférence de presse organisée par des étudiants de la ville de Tangail (au nord de Dhaka). Trois reporters ont été hospitalisés suite à ces violences. Dans tous les cas, nous vous demandons de prendre les dispositions nécessaires pour que les auteurs de violences à l’encontre de professionnels de la presse soient sanctionnés dans les meilleurs délais.
Constatant que les violences contre la presse viennent de tous les partis politiques, de la majorité comme de l’opposition, nous vous suggérons d’intervenir auprès des responsables des principales formations politiques pour que soient trouvées des solutions concrètes afin de juguler cet accès de violence. Les responsables des partis d’opposition doivent également prendre leur responsabilité et faire cesser les violences contre les journalistes. Reporters sans frontières a maintes fois dénoncé les exactions des militants des mouvements de jeunesse d’opposition, telles que la Chattra Dal et la Chattra Shibir, qui harcèlent et agressent les reporters qu’ils jugent hostiles à leurs formations.
Nous vous rappelons enfin que l’enquête sur l’assassinat de Shamsur Rahman, correspondant du quotidien Janakantha et collaborateur de la BBC, n’a jamais abouti. Vous vous étiez pourtant avec le ministre de l’Intérieur personnellement engagés à donner les moyens nécessaires pour que soient identifiés les coupables. L’échec de l’investigation policière a encore une fois permis le triomphe de l’impunité. Cet assassinat qui avait suscité une très vive émotion dans le pays (des dizaines de milliers de personnes avaient assisté à son enterrement) semble être lié aux articles du journaliste sur les connivences entre les mafias locales, les groupes armés et certains journalistes. Jusqu’en septembre 2000, soit deux mois après le meurtre, la police a procédé à des interpellations et des interrogatoires. Des journalistes liés à des groupes politico-mafieux ont été mis en cause, mais les motifs exacts n’ont jamais été établis et aucun des assassins et des commanditaires ne sont derrière les barreaux.
Reporters sans frontières s’inquiète également de nouvelles pratiques de censure utilisées par les autorités. Ainsi, le 28 février, les responsables du site Internet banglarights.com ont pu constater que leur site avait été déconnecté, vingt quatre heures seulement après son lancement. Ce site consacré à la situation des droits de l’homme dans le pays aurait été déconnecté par le fournisseur d’accès public, dans l’attente d’une « investigation ». Par ailleurs, le musée national du Bangladesh, dépendant du ministère de la Culture, a tenté de censurer, en janvier 2001, certaines photographies de « La guerre que nous avons oublié », une exposition internationale consacrée à la guerre de libération de 1971. Selon les autorités, certains clichés montrant les corps de miliciens pro-pakistanais tués par des partisans de l’indépendance auraient pu choquer les mineurs.
A la veille des élections générales de juin 2001, nous vous exhortons à prendre la mesure de votre responsabilité pour l’avenir. Au-delà des enjeux de pouvoir, cette liberté est garante de l’avenir démocratique du Bangladesh. Nous attendons désormais, dans les prochaines semaines, les signes concrets de votre engagement en ce sens.
Je vous remercie de l’attention que vous voudrez bien accorder à nos demandes, et je vous prie d’accepter, Madame la Présidente, l’expression de ma très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général
Recommended Action
Veuillez envoyer des appels comparables à :Son Excellence Sheikh Hasina
Premier ministre
République du Bangladesh
Dhaka, Bangladesh
Téléc.: +88 02 811 3244Envoyer des copies de vos protestations à l’initiateur si possible.