(RSF/IFEX) – Dans une lettre du 19 décembre 2000 au ministre taliban de l’Information, Qudrutullah Jamal, RSF a protesté contre l’arrestation d’Abdul Saboor Salehzai, collaborateur afghan de la radio britannique BBC. Le journaliste est détenu par des miliciens taliban à Kaboul pour ne pas avoir « respecté la législation relative au travail des Afghans pour les […]
(RSF/IFEX) – Dans une lettre du 19 décembre 2000 au ministre taliban de l’Information, Qudrutullah Jamal, RSF a protesté contre l’arrestation d’Abdul Saboor Salehzai, collaborateur afghan de la radio britannique BBC. Le journaliste est détenu par des miliciens taliban à Kaboul pour ne pas avoir « respecté la législation relative au travail des Afghans pour les médias étrangers ». Un officiel a précisé qu’il « ne sera pas libéré tant que la BBC ne l’aura pas licencié ». RSF a demandé au ministre de l’Information d’intervenir auprès des autorités compétentes afin qu’Abdul Saboor Salehzai soit libéré sans conditions. « Cette arrestation montre la volonté du pouvoir taliban d’éliminer les collaborateurs afghans de la presse étrangère qui ne leur sont pas dévoués », a déclaré Robert Ménard, le secrétaire général de l’organisation. « A travers cette arrestation, les taliban tentent de mettre à mal la qualité de la couverture journalistique de la BBC, qui jouit d’une très large audience parmi la population afghane, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays », a ajouté Ménard.
Selon les informations obtenues par RSF, Salehzai, collaborateur et traducteur de la correspondante de la BBC en Afghanistan, a été arrêté, le 16 décembre, au bureau de la radio britannique à Kaboul, par des miliciens taliban. Il aurait été transféré dans un centre de détention des services de renseignement à Kaboul. Il est accusé d’avoir « violé la régulation sur le travail des Afghans pour les médias étrangers ». Selon les autorités, Salehzai, qui travaille depuis dix-huit mois pour la BBC, ne dispose pas de leur autorisation préalable comme le prévoit les règles mises en place cette année. Information que dément un responsable de la BBC. Le lendemain de son arrestation, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a affirmé que Salehzai sera « libéré quand la BBC l’aura licencié ».
Depuis plusieurs mois, les taliban font pression sur la station britannique pour qu’il soit renvoyé, l’accusant d’être un « communiste » et de travailler contre les taliban grâce à la radio. Selon certaines sources, il aurait refusé de céder aux pressions des autorités, qui lui auraient demandé de transmettre la nature des reportages de la BBC avant qu’ils ne soient diffusés. Son arrestation intervient au moment même où la chef du bureau de la BBC, Kate Clark, a obtenu des autorités un visa qui lui permet de continuer à travailler dans le pays alors que les taliban avaient conditionné le renouvellement de son visa au renvoi de son collaborateur. Salehzai, âgé d’une quarantaine d’années, a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères sous les régimes communiste et moudjahidin, au sein duquel il était chargé des relations avec les journalistes étrangers.
Dans un rapport intitulé « Les taliban et la presse. Un pays sans informations et sans images » et publié en septembre, RSF écrivait : « Les autorités ont imposé, au mois d’août 2000, une réglementation très stricte pour les correspondants de la presse étrangère et les envoyés spéciaux. Les reporters étrangers se voient distribuer, à leur arrivée à Kaboul, un dossier avec une liste de ‘vingt et un points à respecter’. La première de ces règles est de publier des informations qui « rendent compte de la réalité afghane » et ne choquent pas « le sentiment des gens ». (…) Selon ce texte issu du Département de l’information et de la culture (DIC), les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à « entrer dans des maisons privées », « interviewer une femme afghane sans la permission du DIC », « prendre des photos ou filmer un être humain ». Les reporters sont également obligés d’informer le DIC de leurs déplacements en dehors de Kaboul et de respecter les « zones interdites » du pays. Les autorités imposent également aux correspondants de la presse étrangère de ne travailler qu’avec des traducteurs ou des assistants locaux autorisés par le DIC, de faire enregistrer auprès du ministère compétent leurs équipements de travail et de renouveler leur autorisation de travail tous les ans. Enfin, les chefs des bureaux représentants des médias internationaux sont contraints d’assister aux conférences de presse des autorités et de vérifier que seul apparaisse le nom « Émirat islamique d’Afghanistan » dans les articles et dépêches. Les sanctions prévues en cas de non-respect de ces règles ne sont pas précisées dans le document transmis par les autorités.
Par ailleurs, certains journalistes pakistanais dénoncent le contrôle des autorités sur les traducteurs assignés aux reporters étrangers. « Ils sont presque tous affiliés au gouvernement. Les gens ont peur de parler devant eux car tout le monde sait qu’ils font des rapports au DIC », expose un journaliste de Peshawar. Il ajoute : « J’ai entendu des traducteurs rapporter au journaliste étranger l’inverse de ce que venait de dire la personne interrogée. » Autre moyen de contrôler les journalistes étrangers : seul l’Hôtel Intercontinental de Kaboul leur est accessible. Il leur est interdit de séjourner chez des particuliers.
Certains reporters pakistanais, habitués à couvrir le conflit afghan, éprouvent de grandes difficultés à obtenir des visas à Peshawar pour entrer en Afghanistan. « Les journalistes occidentaux obtiennent facilement des visas alors que nous, qui parlons la langue des Afghans, sommes empêchés d’entrer en Afghanistan », avance Ilyas Khan, reporter au mensuel pakistanais « The Herald ». Selon ce dernier, c’est une politique délibérée des taliban qui vise à masquer la détérioration rapide de la situation dans le pays. « Un journaliste étranger avec un traducteur ne peut pas saisir ces évolutions et trouver les bonnes informations », explique-t-il. Shamin Shahid, chef du bureau de Peshawar du quotidien « The Nation », s’est vu refuser vingt fois sa demande de visa par le Consulat afghan, depuis février 1999.