L’arrêt prématuré de l’émission satirique “Weekend” de la chaîne El Djazaira TV diffusée chaque vendredi soir a provoqué une indignation sur les réseaux sociaux.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 27 avril 2015.
Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète des nouveaux cas de censure en Algérie. Les autorités algériennes se sont acharnées sur une émission satirique, très populaire dans le pays, l’accusant de porter “atteinte aux symboles de l’Etat”, jusqu’à obtenir sa suspension. Au même moment, un caricaturiste a été interpellé par la police pour “diffamation et atteinte à la personne du président de la République”.
L’arrêt prématuré de l’émission satirique “Weekend” de la chaîne El Djazaira TV diffusée chaque vendredi soir a provoqué une indignation sur les réseaux sociaux. Cette émission de débat a été suspendue après que le gouvernement l’a accusée de “dérives répétitives” et d’ « atteinte aux symboles de l’Etat”.
Selon un des chroniqueurs de l’émission qui est également rédacteur en chef d’Algérie-Focus, Abdou Semmar, l’émission a dérangé les autorités lorsqu’il a été mention du patrimoine immobilier parisien de plusieurs ministres algériens, notamment l’appartement parisien de la fille du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le 17 avril. Toutefois, les propos rapportés reprenaient et commentaient des informations issues du livre “Paris-Alger, une histoire passionnelle”, une enquête journalistique réalisée par les journalistes français Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois sur la relation entre les dirigeants politiques algériens et français. Ce dernier s’interrogeait dans l’émission, à partir d’informations citées dans le livre, sur la richesse de ces dirigeants représentée par leurs biens immobiliers en France en révélant les adresses de ces appartements parisiens.
Les réactions n’ont pas tardé après la diffusion de l’émission avec un rappel à l’ordre du Premier ministre par téléphone. Le lendemain, le directeur de l’émission, Karim Kardache, a été convoqué par l’Autorité de la régulation de l’audiovisuel qui lui a notifié un avertissement verbal avant de sortir un communiqué public accusant les dérives à répétition de cette émission qui verse dans le “sarcasme et persiflage à l’encontre de personnes dont des symboles de l’Etat”. Ces dérives violeraient l’éthique de la profession, selon le communiqué et sont passibles des sanctions prévues par les lois sur l’information et l’audiovisuel.
Les pressions se sont accentuées contre l’équipe de l’émission, composée également du journaliste Mustapha Kessaci et du comédien Merouane Boudiab, avec des appels du ministère de la Communication. Il a été demandé à la direction de la chaîne de changer la forme et le contenu de l’émission ainsi que de licencier le chroniqueur Abdou Semmar. Les journalistes ont préféré abandonner l’émission et ont préparé leur dernier numéro paru le 24 avril.
“RSF condamne fermement la censure de cette émission. Il est du devoir des journalistes d’avoir un esprit critique, de s’intéresser et de questionner les choix et pratiques du gouvernement afin d’engager un débat public sur des questions qui concernent toute la population, déclare Virginie Dangles, adjointe à la direction des programmes de l’organisation. RSF demande la reprise immédiate de l’émission et la fin des pressions sur des journalistes qui ne font que leur travail au nom de la liberté d’information et d’expression”.
Contacté par Reporters sans frontières, Christophe Dubois a réagi à la nouvelle de la suspension de l’émission, expliquant que cela est “représentatif de la manière dont fonctionne ce gouvernement envers les médias”. Pour leur enquête, le journaliste français avait tenté d’obtenir en vain pendant plus d’un an un visa pour se rendre en Algérie et interroger des dirigeants ainsi que des acteurs de la société civile.
Un rassemblement de soutien est prévu le 1er mai et est organisé par les professionnels des médias ainsi que des activistes pour dénoncer la censure et les formes de pressions récurrentes sur la presse.
Interpellation d’un caricaturiste
Le caricaturiste Tahar Dhejiche a été interpellé par la police dans la wilaya d’El Oued (sud-est de la capitale) le 20 avril 2015 après avoir partagé des dessins sur sa page Facebook autour de la problématique de l’exploitation du gaz de schiste. Une de ses caricatures a été jugée insultante pour le président Bouteflika car elle le représente à l’intérieur d’un sablier croulant sous le sable d’In Salah. Dans cette région du sud de l’Algérie, les Algériens se sont mobilisés contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.
“RSF dénonce cette nouvelle tentatives de faire taire les voix libres dans le pays et rappelle aux autorités que la caricature est un moteur essentiel de la liberté d’expression et d’information”, poursuit Virginie Dangles.
Tahar Dhejiche est connu pour ses dessins critiques envers le gouvernement et pour son soutien aux citoyens qui s’opposent à l’exploitation du gaz de schiste. Son cas rappelle celui du caricaturiste Djamel Ghanem qui risquait 18 mois de prison pour la même accusation, conformément à l’article 144 bis du code pénal qui punit les outrages au président de la République. Ce dernier y a échappé suite à une mobilisation nationale et internationale.
L’Algérie figure à la 119ème place sur 180 au Classement 2015 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.