(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 14 septembre 2000 : Paris, 14 septembre 2000 Rwanda Ouverture du procès des médias devant le TPIR Reporters sans frontières demande la condamnation des responsables des « médias de la haine » rwandais Maintes fois annoncée et repoussée, l’ouverture du procès des principaux responsables des « médias […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 14 septembre 2000 :
Paris, 14 septembre 2000
Rwanda
Ouverture du procès des médias devant le TPIR
Reporters sans frontières demande la condamnation des responsables des « médias de la haine » rwandais
Maintes fois annoncée et repoussée, l’ouverture du procès des principaux responsables des « médias de la haine » rwandais est prévue pour le 18 septembre 2000, à Arusha, en Tanzanie. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) va juger Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze, accusés d’avoir, par la voix de leur média respectif, appelé au meurtre de milliers de personnes en 1994 au Rwanda. Une centaine de témoins sont appelés à comparaître.
Reporters sans frontières (RSF) appelle le TPIR à sanctionner les trois prévenus par de lourdes peines de prison. Le jugement du TPIR constituera ainsi un précédent de nature à dissuader d’autres initiatives similaires au Rwanda ou dans d’autres pays. L’organisation espère également que ce procès mettra en lumière les mécanismes qui ont permis la création et le développement d’une presse extrémiste particulièrement odieuse et dangereuse.
RSF rappelle qu’en 1994, avant et pendant le génocide, ces « médias de la haine », notamment Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) et le bimensuel Kangura, diffusaient les noms et les adresses des futures victimes des miliciens, commentant parfois en direct l’élimination des « ennemis ». Un exemple parmi d’autres, Hassan Ngeze écrivait dans Kangura, en janvier 1994 : « Ce qu’on ne dit pas aux inyenzi [cafards – nom donné par les « médias de la haine » aux Tutsis], c’est que s’ils relèvent encore la tête, il ne sera plus nécessaire d’aller se battre avec l’ennemi resté dans le maquis. On commencera plutôt par faire un nettoyage de l’ennemi intérieur. (…) Ils disparaîtront. » De son côté, RTLM surnommée « Radio-Télé-la-Mort » invitait la population, en avril 1994, à pourchasser « les étrangers » du Front patriotique rwandais (FPR – aujourd’hui au pouvoir). La radio demandait également aux militaires d' »intensifier l’élimination des inkotanyi [soldats du FPR] et de leurs complices, pour ne pas laisser survivre des gens qui pourraient ensuite les accuser ».
Dès leur création, ces deux médias allaient à l’encontre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui interdit « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse » et « toute propagande en faveur de la guerre ». Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze se voyaient comme des combattants aux côtés des milices et non pas comme des journalistes qui font un travail d’information.
Au début du génocide, en avril 1994, RSF avait demandé, en vain, à l’Organisation des Nations unies (ONU), présente sur place dans le cadre de la MINUAR, d’intervenir afin de faire cesser les émissions de RTLM. Quelques mois plus tard, RSF est intervenue pour empêcher la reparution des journaux extrémistes dans les camps de réfugiés. Depuis, RSF n’a cessé de dénoncer les journalistes les plus impliqués dans le génocide, collectant des témoignages et des documents. L’organisation a coopéré avec les enquêteurs du TPIR qu’elle a régulièrement rencontrés depuis cette date.
Les trois accusés du procès des « médias de la haine » sont :
– Jean-Bosco Barayagwiza, ancien directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères et ancien membre du comité d’initiative de RTLM. Les émissions de cette radio ont incité au meurtre de Tutsis et de certains Hutus. Jean-Bosco Barayagwiza aurait été convoqué à une réunion au ministère de l’Information, dès novembre 1993, où on lui aurait ordonné d’arrêter la diffusion de messages destinés à attiser la haine et la division interethnique. Une deuxième réunion relative au même problème se serait tenue le 10 février 1994. Cependant, RTLM aurait continué à diffuser des émissions appelant à la haine jusqu’à fin juillet environ.
– Ferdinand Nahimana, ancien directeur de l’Office rwandais d’information et ancien directeur de RTLM. On lui reproche d’être l’un des idéologues du génocide et d’avoir rassemblé autour de lui l’équipe rédactionnelle qui incita directement, sur les ondes de RTLM, à l’assassinat des Tutsis et des Hutus d’opposition. Ferdinand Nahimana aurait planifié, dirigé et défendu les émissions de la radio. Selon le procureur du TPIR, il avait « connaissance des émissions et des effets des émissions sur la population ».
– Hassan Ngeze, ancien rédacteur en chef du bimensuel extrémiste Kangura. Il a été avant, pendant et après le génocide l’un des propagandistes les plus radicaux de l’extrémisme hutu. Durant les événements, Hassan Ngeze était rédacteur en chef et donc responsable éditorial du périodique. Selon le TPIR, certains articles et éditoriaux publiés dans le magazine Kangura auraient « contribué à la préparation du génocide contre les Tutsis, incité au meurtre ou à de sérieuses atteintes à l’intégrité mentale des Tutsis et persécuté les Tutsis et certains Hutus ». Hassan Ngeze aurait également produit des émissions pour Radio Rwanda et RTLM.
Les trois hommes sont accusés d' »incitation directe et publique à commettre le génocide » et de « crimes contre l’humanité ». Ils ont décidé de plaider « non coupable » lors du procès.
A l’origine, un autre journaliste était cité à comparaître en même temps que les trois précédents. Georges Ruggiu, un Belge d’origine italienne, qui avait pris part aux activités de RTLM et qui, sur ses ondes, avait notamment appelé aux meurtres de soldats belges, a finalement reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Passé aux aveux, condamné à 12 ans de prison en juin 2000, il a livré au TPIR un témoignage essentiel qui sera utilisé contre les trois autres accusés.