Au Maroc, les journalistes sont toujours confrontés aux mêmes lignes rouges : l’islam, l’intégrité territoriale (Sahara occidental) et la monarchie, sujets hautement sensibles.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 17 septembre 2015.
A l’occasion de la visite du président François Hollande au Maroc les 19 et 20 septembre, Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la situation actuelle de la liberté d’information dans le pays, où la critique de sujets tabous tels que la monarchie ou l’intégrité territoriale peut amener à de lourdes condamnations.
Au Maroc, les journalistes sont toujours confrontés aux mêmes lignes rouges : l’islam, l’intégrité territoriale (Sahara occidental) et la monarchie, sujets hautement sensibles.
Depuis le début de l’année, RSF a recensé de nombreuses exactions envers les journalistes, objets de pressions diverses, souvent accusés de diffamation ou d’allégations mensongères dès lors qu’ils critiquent la politique du palais ou des affaires en lien avec des membres du gouvernement. Certains sont dans le collimateur des autorités depuis des années.
Harcèlement des journalistes
Condamné en 2005 pour diffamation à 10 ans d’interdiction de son métier, Ali Lmrabet a entamé fin juin 2015 une grève de la faim devant les Nations unies à Genève pendant plus d’un mois, pour protester contre l’administration marocaine qui refuse de lui délivrer ses papiers d’identité, documents essentiels à la reprise de son activité professionnelle. Harcelé par les autorités depuis l’an 2000, cet ancien directeur de publication de magazines satiriques avait également été condamné à trois ans de prison ferme en 2003 pour “outrage à la personne du roi”, “atteinte à l’intégrité territoriale” et “atteinte au régime monarchique”.
Le cas d’Ali Anouzla est également symptomatique de la pression judiciaire qui s’abat sur les journalistes qui osent aborder des sujets considérés comme tabous par la monarchie. Anouzla avait été placé en détention préventive pendant cinq semaines et inculpé pour « terrorisme » en 2013 pour avoir publié un lien qui renvoyait à un article d’El Paìs montrant une vidéo d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). L’affaire est toujours en cours. Anouzla a récemment lancé un site Lakome2, suite à la fermeture de son premier site d’information Lakome il y a deux ans.
Parmi d’autres cas, celui du jeune blogueur et journaliste pour la chaîne du Front Polisario Mahmoud Al-Haissan. Libéré en février dernier après huit mois de détention, il est toujours poursuivi par la justice pour « attroupement armé », « obstruction de la voie publique », « agression sur des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions » et « dégradation de biens publics ». Ce journaliste avait couvert des manifestations pacifiques, organisées à Laâyoune par des Sahraouis lors de la Coupe du monde de football au Brésil en juin 2014. Ces manifestations ont été dispersées violemment par les forces de l’ordre suite à des slogans politiques lancés en faveur de l’indépendance du Sahara occidental. Le journaliste a été arrêté après avoir filmé ces violences.
Pour avoir publié un article en janvier 2015 sur l’explosion d’une voiture à Meknès, le journaliste Hamid El Mehdaoui, directeur du site indépendant Badil.info, a été accusé de diffusion de « fausses nouvelles » en toute « mauvaise foi » troublant l’ordre public suite à une plainte déposée par le gouverneur de la région. Les autorités ont préféré la version selon laquelle la voiture avait pris feu toute seule. Le journaliste a donc été condamné à verser une amende en août dernier et son site a été suspendu pour une période de trois mois. Quelques semaines auparavant, il avait été condamné dans l’affaire Karim Lachkar, du nom du jeune homme décédé après son arrestation par des policiers. Accusé d’avoir publié des articles ”mensongers” à ce sujet, et suite à la plainte du directeur général de la Sûreté nationale (DGSN), il a été condamné avec sa source à quatre mois de prison avec sursis, une amende et des dommages et intérêts.
En juillet 2015, le journaliste Niny Rachid, directeur du quotidien arabophone Al-Akhbar, a été condamné à verser une lourde amende dans un procès en diffamation à l’encontre du ministre de l’Equipement et du Transport. Son crime ? Avoir publié deux articles dont un accusant une société d’avoir « utilisé des matériaux non conformes » pour la construction d’un tronçon d’autoroute. Le journaliste a fait appel du jugement. En juin, le site d’actualité Goud.ma ainsi que son directeur de publication Ahmed Najim ont été condamnés pour diffamation et « injure » envers le secrétaire particulier du roi, pour avoir repris un article qui l’accusait de corruption. S’il perd son appel, le site et le journaliste devront verser de lourds dommages et intérêts en plus d’une amende.
Silence, on surveille
Sur Internet, les journalistes, professionnels ou non, sont également surveillés. Dernièrement, Mâati Monjib, président de l’association Freedom Now et de l’Association marocaine du journalisme d’investigation (AMJI), a entamé une grève de la faim le 16 septembre pour protester contre l’acharnement des autorités. Il est recherché par la police pour “atteinte à la sécurité de l’Etat”. Sont mis en cause les activités de formation des journalistes multimédia au sein de l’association Freedom Now. Les membres de l’AMJI sont également traqués par les autorités. Pour rappel, Hicham Mansouri, chargé de projet au sein de l’AMJI a été condamné en mars dernier à dix mois de prison ferme pour “adultère” dans un procès douteux.
En juillet dernier, le ministère de l’Intérieur a porté plainte contre un rapport publié au printemps dernier par Privacy International et l’Association des droits numériques (ADN). Ce rapport dénonce les pratiques de surveillance des autorités marocaines contre des journalistes et net-citoyens. L’association ADN ainsi que les témoins interrogés risquent à tout moment d’être interpellés ou arrêtés. La vice-présidente de l’ADN, Karima Nadir, a subi un interrogatoire de cinq heures le 8 septembre au sein de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ).
La censure et les pressions des autorités s’abattent également sur la presse étrangère. En janvier et février derniers, des journalistes français de France Télévisions et France 24 ont été expulsés du pays pour avoir voulu travailler sans autorisation. Ces derniers avaient pourtant tenté d’obtenir au préalable ces documents auprès des autorités, en vain.
Les autorités marocaines contestent régulièrement nos rapports sur la liberté de la presse, estimant que celle-ci progresse dans le pays, RSF relève pourtant une lente mais régulière dégradation de cette liberté.
Pourtant, le projet de réforme du code de la presse et de l’édition était porteur d’espoir mais il peine à aboutir. Des avancées ont été saluées par notre organisation, tels que le projet d’abandonner les peines de prison pour les délits de presse, mais elles restent insuffisantes et le chemin semble encore long avant le vote du Parlement.
Le Maroc figure aujourd’hui à la 130e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par notre organisation en 2015.