À quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle de la Côte d’Ivoire, 15 organisations appellent l'ensemble des acteurs politiques ivoiriens à s'engager en faveur d'un scrutin apaisé. Les groupes expriment leur préoccupation quant au traitement de nombreux militants de l'opposition détenus pour leur participation à des manifestations non autorisées.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 21 octobre 2015.
À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle de la Côte d’Ivoire, 15 organisations ivoiriennes et internationales appellent l’ensemble des acteurs politiques ivoiriens à s’engager en faveur d’un scrutin apaisé. Les groupes expriment leur préoccupation quant au traitement de nombreux militants de l’opposition détenus pour leur participation à des manifestations non autorisées.
Le scrutin du 25 octobre sera le premier depuis la crise post-électorale de 2010-2011, au cours de laquelle au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes violées.
Si le climat est relativement calme à l’approche du premier tour, l’élection se tiendra néanmoins dans un contexte de contestation, par certains candidats, de ses modalités d’organisation par le gouvernement.
Deux des dix candidats, Essy Amara et Mamadou Koulibaly, se sont ainsi retirés du processus électoral, les conditions n’étant pas réunies, selon eux, pour garantir un scrutin transparent. Les affrontements ayant opposé, en juin et en septembre, les militants du parti au pouvoir et ceux de l’opposition, particulièrement les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo, ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés.
Le 7 octobre, quatre des dix candidats ont signé un code de bonne conduite les engageant à « adhérer aux principes de la non-violence » et à faire preuve de retenue dans leurs discours et leur comportement. Aucune violence n’a été signalée depuis le début officiel de la campagne le 9 octobre.
« Le scrutin présidentiel constitue une étape clé de la vie démocratique de la Côte d’Ivoire », a déclaré Patrick Baudouin, présidente d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH). « Nous appelons l’ensemble des candidats à s’engager ne pas recourir à la violence et à privilégier, pour toute contestation, les voies légales et pacifiques. »
En août 2015, faisant suite à l’arrestation de membres de l’opposition pour leur participation à des manifestations, plusieurs des 15 organisations, dont Human Rights Watch, avaient demandé au gouvernement ivoirien de garantir le respect de la liberté de réunion à l’approche de l’élection présidentielle.
A partir du 9 septembre 2015, à la suite de l’appel à manifester lancé par certains membres de l’opposition pour protester contre la validation de la candidature du Président Ouattara à l’élection présidentielle, les forces de sécurité ont dispersé par la force des personnes qui ont tenté de se rassembler à Abidjan et dans certaines villes à l’intérieur du pays, où des actes de violence ont été enregistrés. Les forces de sécurité ont arrêté des dizaines de personnes, dont des membres de l’opposition, pour leur rôle dans ces manifestations, considérées comme « non autorisées » par le gouvernement ivoirien. D’autres arrestations ont eu lieu le 26 septembre après l’interdiction d’une nouvelle manifestation à Abidjan. Au moins 51 personnes, en majorité des sympathisants et membres de l’opposition, y compris quatre mineurs, sont toujours détenues.
Le gouvernement ivoirien a justifié l’interdiction de certaines manifestations de l’opposition par la nécessité de maintenir l’ordre public. En vertu du droit international, les restrictions à la liberté de réunion ne sont justifiées que lorsqu’elles sont absolument nécessaires, de sorte que la restriction soit proportionnelle au risque.
Les 15 organisations, y compris Human Rights Watch, demandent donc au gouvernement de privilégier des solutions alternatives à l’interdiction des rassemblements et à l’arrestation de manifestants, à travers des mesures en faveur du dialogue et un dispositif de maintien de l’ordre approprié, pour éviter les violences. Le fait que plusieurs manifestations pacifiques de l’opposition aient pu avoir lieu, notamment le 28 septembre à Abidjan, facilitées par un dialogue entre le gouvernement et l’opposition au sujet de l’itinéraire notamment, est un bon exemple et indique la voie à suivre.
Parmi les membres de l’opposition arrêtés, au moins trois ont été détenus au secret pendant des semaines dans des lieux de détention non autorisés et sans possibilité d’obtenir une assistance juridique. Cela constitue une violation flagrante des droits à un procès équitable, garantis par le droit international et les obligations internationales de la Côte Ivoire.
Richard Kouamé Apkelé et Judas Douadé ont été arrêtés à Abidjan le 9 septembre en rapport avec la manifestation interdite du 10 septembre. Après avoir été détenus à la préfecture de police d’Abidjan-Plateau, ils ont été détenus, à partir du 17 septembre, dans un endroit secret et sans possibilité de communiquer avec l’extérieur.
Ils ont été jugés le 14 octobre par le Tribunal de Première Instance de Yopougon et condamnés à six mois de prison ferme pour trouble à l’ordre public, assortis de la privation de leurs droits civiques et l’interdiction de paraître en dehors de leur lieu de naissance pour une durée de cinq ans. Leurs avocats n’étaient pas informés de leur procès et n’ont donc pas pu les assister.
Douyou Nicaise, alias David Samba, un autre cadre de l’opposition, est détenu dans un lieu secret depuis le 17 septembre et a été condamné le 2 octobre à six mois d’emprisonnement ferme pour complicité de trouble à l’ordre public.
Aucun argument sécuritaire ne justifie les détentions dans des lieux secrets et sans possibilité d’assistance judiciaire. Les autorités judiciaires ivoiriennes devraient donc réexaminer les conditions et motifs de détention des manifestants arrêtés et libérer les détenus, à moins que ne soient démontrés le fondement juridique et la nécessité de la détention.
« La crainte de violences, fût elle compréhensible au regard de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, ne peut jamais justifier les privations de liberté dans des endroits non surveillés et en l’absence d’assistance juridique », a déclaré Corinne Dufka, directrice de l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les autorités ivoiriennes doivent s’assurer que les droits de tous les Ivoiriens soient respectés pendant cette période sensible, quelle que soit leur orientation politique. »
Organisations signataires:
Action des chrétiens pour l’abolition de la torture –ACAT Côte d’Ivoire
Actions pour la protection des droits de l’Homme (APDH)
Agir pour la démocratie, la justice et la liberté en Côte d’Ivoire (ADJL-CI)
Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI)
Centre féminin pour la démocratie et les droits humains (CEFCI)
Club Union Africaine
Coalition de la société civile ivoirienne pour de développement démocratique et la paix en Côte d’Ivoire (COSOPCI)
Convention de la société civile ivoirienne (CSCI)
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
Human Rights Watch (HRW)
Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO)
Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH)
Observatoire ivoirien des droits de l’Homme (OIDH)
Organisation des femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI)
Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains (RAIDH)