(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 26 juin 2000 : En Tchétchénie, la Russie continue de violer la Convention européenne des droits de l’Homme Alors que la guerre dans la République de Tchétchénie dure depuis près de neuf mois, la Russie n’a satisfait aucune des exigences posées par l’Assemblée parlementaire […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 26 juin 2000 :
En Tchétchénie, la Russie continue de violer la Convention européenne des droits de l’Homme
Alors que la guerre dans la République de Tchétchénie dure depuis près de neuf mois, la Russie n’a satisfait aucune des exigences posées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans sa résolution 1201 (novembre 1999) et dans ses recommandations 1444 (janvier 2000) et 1456 (avril 2000).
Le gouvernement russe refuse toujours d’engager un dialogue politique avec les autorités tchétchènes élues et d’instaurer un cessez-le-feu. Le 8 juin 2000, sans l’aval de la Douma, le président Vladimir Poutine a instauré un régime d’administration présidentielle directe à durée indéterminée. Les organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que les organisations intergouvernementales ont, ces derniers mois, confirmé le caractère massif, généralisé et systématique des violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire perpétrées contre la population civile en Tchétchénie. Aujourd’hui, les forces russes continuent à se livrer à des exactions, comme peuvent en attester les récents témoignages recueillis par les ONG internationales et nationales, telle l’association Mémorial. Les passages aux postes de contrôle s’accompagnent toujours d’extorsions de fonds et de disparitions, les opérations de « nettoyage » continuent de se solder par des arrestations arbitraires. Tortures et mauvais traitements sont toujours pratiqués dans les camps de filtration. Des bombardements massifs se poursuivent dans le sud et l’est de la Tchétchénie. Plus de deux cent mille réfugiés sont recensés dans la République voisine d’Ingouchie. Des centaines de milliers de personnes vivent dans une Tchétchénie dévastée, à l’image de Grozny, totalement rasée.
Par ailleurs, la Tchétchénie est plus que jamais une zone de non-droit où la guerre peut se dérouler sans témoins. Alors qu’il n’y a plus de média tchétchène indépendant, l’accès à la République est depuis plusieurs mois soumis à l’attribution d’une accréditation, délivrée par les forces militaires et quasiment impossible à obtenir. Depuis le début du conflit en octobre 1999, une dizaine de journalistes étrangers ont été interpellés, interrogés par les services secrets russes et éloignés des zones de combats. Le journaliste Andrei Babitsky, correspondant en Russie de la radio internationale Radio Free Europe, arrêté le 25 janvier 2000 puis détenu dans un camp de « filtration », est toujours assigné à résidence, sans qu’aucun jugement n’ait été prononcé contre lui. Dans le Caucase Nord, considéré comme l’une des régions les plus dangereuses pour les journalistes, au moins 14 représentants de la presse ont trouvé la mort depuis 1994. Une vingtaine de journalistes ont été enlevés depuis 1997. Le photographe français Brice Fleutiaux a été retenu en otage pendant plus de huit mois. Sa libération, le 12 juin 2000, a fait l’objet d’une médiatisation soigneusement préparée par les autorités russes qui ont déclaré que cet enlèvement servirait « d’avertissement » à tous les journalistes qui voulaient pénétrer en Tchétchénie sans autorisation militaire.
Dans le reste du pays, les autorités multiplient les mesures d’intimidation pour faire taire les voix discordantes sur la couverture de la guerre. Après avoir interdit, le 15 mars, aux médias russes d’ouvrir leurs antennes aux leaders tchétchènes, le gouvernement a menacé au mois de mai de suspendre les médias « hostiles aux intérêts russes » et de préparer une nouvelle loi visant à limiter « les abus de la liberté de la presse ». Le 11 mai, la police fiscale s’est livrée à des perquisitions au siège du groupe de presse d’opposition Media-Most à Moscou. Un mois plus tard, Vladimir Goussinski, le propriétaire du groupe a été arrêté et inculpé d’escroquerie.
En outre, on ne peut que déplorer l’absence de résultats concrets des institutions russes chargées de protéger les droits de l’Homme en Tchétchénie, dont la création avait été saluée comme une avancée par la communauté internationale. Il s’agit au premier chef de la Commission de la Douma et de la nomination, en février 2000, de Vladimir Kalamanov, représentant spécial du président de la fédération de Russie. Ce dernier a publiquement mis en cause les conclusions des organisations de défense des droits de l’Homme, considérant que celles-ci ne recouraient pas à des « témoins professionnels » et qualifiant « d’hystériques » leurs exigences. S’il faut se féliciter de la nomination d’experts du Conseil de l’Europe au sein du bureau de Vladimir Kalamanov, ces derniers auront bien du mal à « restaurer la confiance de la population » envers cette institution. Les plus grandes interrogations demeurent sur les possibilités d’exercice de leur mandat. S’agissant des procureurs militaires chargés d’enquêter sur le comportement de l’armée, sur les soixante-douze cas instruits jusqu’à présent un seul concerne un meurtre. On peut douter de la marge d’action de ces enquêteurs sous les ordres d’un procureur militaire général qui n’a pas hésité à déclarer que, contrairement aux conclusions d’enquêtes internationales, l’armée russe n’avait « rien à voir » avec les massacres dans le village d’Aldi (faubourg de Grozny) qui ont fait plus de 80 victimes, le 5 février 2000.
Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, au premier rang desquels le rapporteur spécial sur la torture et le rapporteur sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ont demandé à pouvoir se rendre sur le territoire tchétchène conformément au terme de la résolution adoptée par la Commission en avril 2000. Il leur a été répondu que leur visite était impossible dans l’immédiat, « pour des raisons de sécurité ».
Dans ce contexte, le refus par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, réuni les 10 et 11 mai 2000, d’engager les procédures prévues par le statut de cette organisation et la Convention européenne des droits de l’Homme apparaît chaque jour davantage comme un signe manifeste de démission des Etats européens. Pourtant, la vocation première du Conseil de l’Europe est la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et la promotion de l’Etat de droit. Des crimes contre l’humanité ont été commis et continuent d’être perpétrés par les forces russes sur le territoire tchétchène. Les promesses des autorités russes en matière de justice semblent en tous points identiques à celles formulées lors de la première guerre en Tchétchénie, promesses qui n’avaient débouché sur aucune condamnation.
Face à la persistance des violations des droits de l’Homme en Tchétchénie, nous demandons au Comité des ministres du Conseil de l’Europe – dont une mission séjourne actuellement en Russie – de se conformer dans les plus brefs délais à la résolution adoptée par son Assemblée, le 14 avril 2000, et de suspendre immédiatement la Russie des institutions communes, tant que les conditions d’un respect effectif de la Convention européenne des droits de l’Homme n’auront pas été réunies.
Nous demandons également aux Etats membres qu’ils initient une requête interétatique contre la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme pour manquement aux dispositions de la convention européenne et de ses protocoles.
Nous appelons, en outre, les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en session du 26 au 30 juin 2000, à continuer d’user de tous les moyens dont ils disposent pour demander au Comité des Ministres qu’il adopte une position conforme à ses recommandations.
Reporters sans frontières
FIDH
Comité Tchétchénie