Un an après le début des manifestations d'Al Hoceima, dans le Nord du Maroc, les médias du pays affrontent toujours les intimidations et les menaces judiciaires du pouvoir marocain pour couvrir la contestation.
Cet article a été initialement publié sur globalvoices.org le 2 novembre 2017. Il est publié ici sous le permis Creative Commons license CC-BY 3.0.
Un an après le début des manifestations d’Al Hoceima, dans le Nord du Maroc, les médias du pays affrontent toujours les intimidations et les menaces judiciaires du pouvoir marocain pour couvrir la contestation.
Le mouvement de protestation dans la région marocaine du Rif a commencé avec la mort du vendeur de poisson Mohsin Fekri le 29 octobre. Le jeune homme est mort écrasé par un camion à ordures en essayant de récupérer son poisson confisqué par la police locale. Les manifestations se sont amplifiées en un “Hirak”, ou mouvement pour des emplois et le développement économique, et contre la marginalisation et la corruption. Malgré l’interdiction des rassemblements, des manifestations ont eu lieu durant le week-end pour commémorer la mort de Fekri.
Alors que l’agitation se poursuit, les journalistes se heurtent à une multitude de restrictions, avec interdictions de médias, expulsions et menaces de poursuites.
Le journaliste marocain indépendant Omar Radi, qui couvre lui-même les manifestations, a dit à Global Voices qu’en ce qui concerne la couverture de l’agitation sociale dans le Rif, « il y a un climat de terreur ».
« Ceux qui parlent à la presse peuvent se retrouver en prison », dit-il. « Les gens ont peur de sortir de chez eux et les flics sont partout ».
A l’heure actuelle, au moins sept professionnels des médias sont derrière les barreaux pour leurs articles sur les manifestations du Rif.
Le journaliste et commentateur Hamid Mahdaoui, habitué du franc-parler, et dirigeant du site web indépendant Badil.info, a été arrêté à Al Hoceima, où il s’était rendu pour couvrir le mouvement protestataire. Le 20 juillet 2017, les autorités marocaines avaient décrété une interdiction de manifester. Lorsque des passants qui le reconnaissaient le hélèrent et commencèrent à discuter avec lui du Hirak, Mahdaoui critiqua l’interdiction. Il a été accusé et reconnu coupable d’ « incitation » à manifester.
En appel, la condamnation de Mahdaoui fut allongée en septembre dernier de trois mois à un an, ce qui l’a conduit à commencer une grève de la faim de deux semaines.
Badil.info, qui traite d’une multitude de sujets au Maroc, dont la politique, les droits humains et la corruption, est l’un des rares sites web indépendants à avoir pu parler des manifestations. Mais le 22 octobre 2017, ses collaborateurs annonçaient que le site allait cesser de publier, à cause de ce qu’ils ont appelé des contraintes financières.
Mahdaoui est aussi connu pour critiquer ouvertement en ligne le pouvoir marocain. Il s’exprime essentiellement par sa chaîne YouTube, où il analyse la situation politique et des droits humains dans le pays.
Dans une affaire distincte, Mahdaoui a été accusé de « non-dénonciation d’un crime mettant en danger la sécurité de l’État », à cause d’une conversation téléphonique (dont un enregistrement officiel a été obtenu par écoute) entre lui-même et un militant anti-monarchiste marocain installé aux Pays-Bas, au cours de laquelle le militant détaillait un plan pour introduire des armes dans le pays.
Outre Mahdaoui, six journalistes-citoyens arrêtés pour leur couverture des manifestations dans le Rif sont actuellement derrière les barreaux. Parmi eux, Mohamed El Asrihi et Jawad Al Sabiry de Rif24.com, un site web local de média citoyen qui a fourni une couverture extensive du mouvement de protestation à Al Hoceima et dans d’autres villes.
El Asrihi, rédacteur en chef et directeur de Rif24.com est accusé de « pratique illégale du journalisme » parce qu’il ne possède pas de carte de presse. Si le site n’est plus mis à jour depuis mi-juin, la page Facebook de Rif 24 continue à donner des informations sur le Hirak et les manifestations.
Même si les effets ont été pour eux moins rigoureux, la répression a aussi touché les professionnels étrangers des médias. Le 27 septembre, la police a interpelé le journaliste britannique d’origine iranienne Saeed Kamali Dehghan à Al-Hoceima et l’a expulsé du pays au prétexte qu’il n’avait pas d’ « autorisation » de travailler depuis le Maroc. Dehghan, qui travaille pour le Guardian, s’était rendu dans le Rif pour un reportage sur le mouvement protestataire et des interviews de militants.
Le Maroc est classé 133ème dans l’édition 2017 de l’Index mondial de la liberté de presse de Reporters Sans Frontières. RSF y a noté « un lent mais régulier déclin de la liberté des médias” dans ce pays où “les autorités du royaume usent de pressions politiques et économiques pour dissuader les médias indépendants locaux de couvrir des sujets hautement sensibles ».
La fin de Badil et la répression de divers professionnels des médias qui ont joué un rôle essentiel dans la couverture du mouvement protestataire dans le Rif, laisse les Marocains – et ceux hors du pays – avec encore moins de moyens de rester informés sur le mouvement social.