(RSF/IFEX) – Deux mois jour pour jour avant les élections générales du 15 mai 2005, RSF exprime sa « très grande inquiétude » quant au sort de Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira, deux journalistes éthiopiens du service en langue oromo de la télévision publique Ethiopian Television (ETV), emprisonnés par les autorités pour leurs liens supposés avec un […]
(RSF/IFEX) – Deux mois jour pour jour avant les élections générales du 15 mai 2005, RSF exprime sa « très grande inquiétude » quant au sort de Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira, deux journalistes éthiopiens du service en langue oromo de la télévision publique Ethiopian Television (ETV), emprisonnés par les autorités pour leurs liens supposés avec un groupe séparatiste.
« Alors que les Ethiopiens s’apprêtent à voter, deux journalistes croupissent dans une prison où des cas de tortures et de mauvais traitements sont régulièrement rapportés par des organisations internationales, a déclaré RSF. A quelques kilomètres du siège de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, l’Ethiopie déroge impunément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Quels que soient les chefs d’accusation retenus contre eux, ces deux journalistes ont des droits. Ceux-ci ont été manifestement bafoués par les autorités éthiopiennes, qui ne se sont pas soumises aux décisions de la Haute Cour fédérale. Selon le droit éthiopien, Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira doivent être relâchés immédiatement. Par ailleurs, le contexte dans lequel ils ont été jetés en prison nous incite à penser que l’accusation de terrorisme portée à leur encontre est totalement dénuée de fondement », a conclu RSF.
Insermu et Wakjira ont été arrêtés pour la première fois à leur domicile d’Addis-Abeba, le 22 avril 2004. La Haute Cour fédérale a ordonné leur libération sous caution le 9 août suivant, mais seul Insermu a été relâché. Arrêté de nouveau le 17 août, le journaliste a été libéré sur ordre de la Haute Cour fédérale à la mi-octobre. La chaîne ETV ayant refusé de l’autoriser à reprendre son emploi, il tentait de retrouver une activité professionnelle lorsqu’il a été arrêté une troisième fois, le 11 janvier 2005. Wakjira, lui, est détenu sans interruption depuis près d’un an sans que l’administration pénitentiaire obéisse aux différents ordres de libération provisoire de la justice. Selon les informations recueillies à Addis-Abeba par RSF, les deux journalistes ont comparu le 7 mars devant un tribunal, qui a reporté l’audience à une date ultérieure. A ce jour, tous deux sont emprisonnés à la prison centrale d’Addis-Abeba, dite « Kerchiele ».
Selon nos informations, ils ont été inculpés en vertu des articles 32, 252 et 522 du code pénal éthiopien. Ils sont accusés de « transmission d’informations gouvernementales à la direction du Front de libération oromo (Oromo Liberation Front, OLF) », « planification d’attentats », « association à caractère terroriste » et « levée de fonds en vue de perpétrer des actes terroristes ». Il est spécifiquement reproché à Insermu d’avoir transmis des informations gouvernementales à la Sagalee Bilisummaa Oromoo (Voix de la libération oromo, SBO), la radio de l’OLF, « par e-mail ou d’autres moyens ».
Selon le témoignage d’un ancien collègue des deux journalistes, aujourd’hui en exil, ils ont été interpellés, en compagnie d’autres employés oromos de ETV aujourd’hui libérés, suite à la diffusion d’un reportage sur la violente répression d’une manifestation d’étudiants oromos sur le campus de l’université d’Addis-Abeba, le 4 janvier 2004. L’intervention des forces de l’ordre avait donné lieu à des brutalités policières et à de nombreuses arrestations, notamment de membres de l’association d’aide sociale Macha Tulema, qui souhaitait protester contre la décision du gouvernement éthiopien de déménager les institutions régionales de la région oromo d’Addis-Abeba à Adama (également connue sous le nom de Nazret) à 100 km à l’est de la capitale.
L’OLF, fondé en 1974, est un mouvement insurrectionnel du Sud qui s’oppose à la mainmise des Amharas et des Tigréens sur le pays et milite pour l’instauration d’un pays indépendant, rassemblant les Oromos éthiopiens et ceux vivant dans le nord du Kenya. Les Oromos représentent, selon les experts, de 35 à 40 % de la population éthiopienne. L’OLF est soutenu par l’Erythrée, ancienne province éthiopienne où une coalition de guérilla a livré une guerre d’indépendance contre le gouvernement d’Addis-Abeba entre 1962 et 1991. Après l’indépendance de l’Erythrée en 1993, les deux pays se sont livrés une guerre territoriale meurtrière entre 1998 et 2000. Les organisations communautaires et les fonctionnaires oromos en Ethiopie subissent régulièrement la répression du gouvernement, qui les accuse d’être des espions de l’OLF. Le 28 février 2005, le département d’Etat américain, d’habitude plutôt favorable à l’Ethiopie, a publié un rapport très critique sur la situation des droits de l’homme dans le pays, « notamment envers les personnes suspectées d’être membres de l’OLF ».
Les difficultés éprouvées par RSF pour obtenir des informations en Ethiopie sur le cas de ces deux journalistes montrent à quel point ce sujet est sensible. Selon les recoupements effectués par l’organisation, au moins douze journalistes oromos ont fui la répression en Ethiopie depuis le début de l’année 2004 et ont trouvé refuge dans les pays avoisinants.
Entre 1997 et 2001, Garuma Bekele, Tesfaye Deressa et Solomon Nemera, respectivement directeur de publication, rédacteur en chef et journaliste de l’hebdomadaire « Urji », avaient passé près de quatre ans en prison pour « participation à des activités terroristes » et « fabrication de fausses nouvelles ». Ils avaient simplement remis en cause une déclaration officielle, selon laquelle trois hommes tués par les forces de sécurité étaient membres de l’OLF.