(JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED daté du 28 décembre 2004 : JED dénonce la tentative de vouloir enfermer la presse dans un « goulag » à la congolaise Un groupe de 11 journalistes de la presse privée de Kinshasa a effectué, du 20 au 24 décembre 2004, une mission sur terrain à Goma, […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de JED daté du 28 décembre 2004 :
JED dénonce la tentative de vouloir enfermer la presse dans un « goulag » à la congolaise
Un groupe de 11 journalistes de la presse privée de Kinshasa a effectué, du 20 au 24 décembre 2004, une mission sur terrain à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, en vue de réaliser des reportages sur le conflit armé qui sévit une fois encore dans cette partie de la République démocratique du Congo (RDC). En marge de cette mission, les journalistes congolais ont sollicité des rendez-vous et réussi à réaliser à Kigali des interviews avec des autorités rwandaises, notamment avec M. Charles Morigande, Ministre des Affaires étrangères et M. Paul Kagame, président du Rwanda.
Selon les témoignages de ces journalistes faits à JED, chacun d’eux a pu « poser toutes les questions possibles » sur la situation de guerre qui sévit et les relations entre la RDC et le Rwanda, aux autorités rwandaises autant qu’ils l’ont fait avec les autorités provinciales du Nord-Kivu.
Dès leur retour à Kinshasa, les journalistes concernés, accompagnés de leurs directeurs, ont été convoqués à la Haute autorité des médias (HAM) et certains responsables des médias concernés ont été entendus à l’Agence nationale des renseignements (ANR).
Dans un communiqué de presse déposé, dimanche 26 décembre 2004, à l’Agence France Presse (AFP) à la suite de la rencontre, le 24 décembre à Kigali (capitale du Rwanda), entre un groupe de journalistes congolais de Kinshasa et le président Rwandais, M. Paul Kagame, le Ministre de la Presse et information, M. Henri Mova Sakanyi s’est dit profondément indigné « suite à l’humiliation que vient de subir une certaine presse congolaise, instrumentalisée à outrance par le régime de Kigali ». Prenant l’opinion publique nationale et internationale à témoin, le Ministre a affirmé que « ce déplacement des journalistes congolais d’une certaine presse vers le Rwanda s’est opéré en toute illégalité par rapport aux règles régissant l’entrée et la sortie des congolais (particulièrement les journalistes) du territoire national ».
Le Ministre poursuit en trouvant « (. . .) inadmissible et regrettable que la presse congolaise serve de marchepied et de diffuseur de la propagande rwandaise au moment où les troupes rwandaises occupent une partie du territoire congolais et sèment la mort et la désolation au sein de nos compatriotes de l’est (. . .) L’instrumentalisation d’une certaine presse congolaise par le président rwandais est un acte perfide de haut volé et un coup de relations publiques qui est une première dans les annales de la guerre médiatique ». Pour le ministre Mova, la démarche des journalistes relève d’une « manipulation » visant à participer « à une stratégie savamment orchestrée par le président rwandais avec la complicité de certains fils égarés de la RDC dont certains font même partie des institutions de la République rwandaise (. . .) ».
Pour terminer, le Ministre a invité la presse congolaise à « faire preuve de lucidité et de patriotisme et à se joindre aux efforts que déploient le gouvernement et le peuple congolais pour la restauration de l’intégrité du territoire national et le retour de la paix (. . .) ».
Sans entrer dans des considérations politiciennes du ministre Mova sur le degré de « patriotisme » des uns et « l’instrumentalisation » des autres, JED exprime ses vives inquiétudes face à l’agitation provoquée par cette mission des journalistes et aux menaces à peine voilées qui s’en suivent.
De ce qui précède, JED fait les observations suivantes à la suite du communiqué de presse du Ministre de la presse et de l’information, tel que rendu par les quelques médias qui l’ont reçu :
1. JED est heureuse de constater que le Ministre confirme ce qu’elle a toujours dit et que les services d’immigration ont toujours nié, à savoir, que les journalistes congolais sont dans une sorte de goulag à la congolaise et que, pour en sortir, en mission ou en privé, ils doivent montrer « pattes blanches » en exhibant un ordre de mission ;
2. Contrairement à ce que dit le Ministre, JED dispose des documents attestant que le groupe de journalistes parti à Goma et à Kigali n’a violé aucune règle régissant l’entrée et la sortie, particulièrement des journalistes, du territoire congolais. Les journalistes sont passés par la multitude des services de contrôle à l’aéroport international de N’Djili, car ils ont voyagé par un régulier de la compagnie Hewa Bora à l’aller comme au retour. Pour se rendre à Kigali, ils ont obtenu un laissez-passer collectif N° DSR/DPNK/052/2004, signé le 21 décembre 2004, par le Directeur provincial de la Sécurité et des renseignements, M. Albert Semana, et que c’est le même M. Semana qui délivre les laissez-passer à tous ceux qui quittent le territoire national à partir de Goma ;
3. Sur le plan strictement professionnel, JED estime que les journalistes qui se sont rendus à Goma puis à Kigali n’ont commis aucune faute. Contrairement aux « annales de la guerre médiatique » consultées par le Ministre, rien n’interdit à un journaliste d’un pays en guerre contre un autre, d’aller dans le pays « ennemi » pour collecter de l’information. Et l’histoire récente des guerres et conflits entre Etats l’a abondamment montré: le célèbre Larry King de la chaîne américaine CNN qui tend son micro au « diable » Saddam Hussein au moment où les bombardements américains touchent déjà les faubourgs de Bagdad ; El Jazira qui arrache des interviews exclusives avec George W. Bush, Condoleezza Rice et Colin Powell alors que le monde arabe gronde contre l’invasion américaine et sa politique au Moyen Orient ; des journalistes palestiniens qui obtiennent des interviews avec Ariel Sharon, Premier ministre israélien ;
4. La RDC, ayant ratifié tous les instruments internationaux relatifs à la liberté de la presse, du reste garantie dans la Constitution de la Transition, au nom de quel principe démocratique voudrait-on dénier à M. Kagame le droit de s’adresser au public congolais au travers des médias congolais ? Au nom de quelle loi veut-on jeter l’anathème sur des journalistes qui ont rencontré et interviewé celui par qui, semble-t-il, tous les malheurs arrivent aux congolais ? N’est-ce pas cette vision étriquée de la communication et de l’information qui a fait que, pendant longtemps, la cause congolaise n’a pas été entendue là où elle devait l’être ? Serait-ce un mal que le président congolais Joseph Kabila s’adresse au public rwandais au travers des médias rwandais ? Pourquoi veut-on faire croire au public que les politiques congolais ont le droit de rencontrer les autorités rwandaises, en public et en privé, et non les journalistes ?;
5. Pour terminer, JED considère que les armes ayant montré leurs limites dans la résolution du conflit entre la RDC et le Rwanda, seul le dialogue pourra y arriver et que la presse, congolaise et rwandaise, a un rôle majeur à y jouer qui ne s’accommoderait pas des dictats et autres stéréotypes d’un autre âge.
Fait à Kinshasa, le 28 décembre 2004