(IFEX-TMG) – Ci-dessous, une lettre commune des membres de l’IFEX-TMG adressée à Philippe Douste-Blazy, ministre français des Affaires étrangères : M. Philippe Douste-Blazy Ministre des Affaires étrangères 37, Quai d’Orsay 75531 Paris France Fax: + 33 1 43 17 53 53 Le 2 septembre 2005 Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, En tant que membres […]
(IFEX-TMG) – Ci-dessous, une lettre commune des membres de l’IFEX-TMG adressée à Philippe Douste-Blazy, ministre français des Affaires étrangères :
M. Philippe Douste-Blazy
Ministre des Affaires étrangères
37, Quai d’Orsay
75531 Paris
France
Fax: + 33 1 43 17 53 53
Le 2 septembre 2005
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
En tant que membres du Groupe d’observation de la Tunisie (TMG), créé en juin 2004 dans le cadre de l’Échange international de la liberté d’expression (IFEX) pour évaluer les conditions de participation au Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI) en novembre, nous souhaitons exprimer par la présente notre profonde inquiétude face à la recrudescence des attaques contre la liberté d’expression en Tunisie depuis notre première mission d’enquête au mois de janvier 2005. A ce titre, nous vous demandons d’encourager les autorités tunisiennes à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces attaques qui, dans l’esprit de beaucoup, soulèvent la question même du lieu du SMSI qui doit se tenir à Tunis en novembre 2005. A notre sens, il convient d’exiger de la Tunisie qu’elle respecte ses engagements internationaux en matière de liberté d’expression. Comment en effet imaginer qu’un Sommet international sur la société de l’information se tienne dans un pays qui, à ce jour, bafoue allégrement l’une des valeurs essentielles de toute société de l’information, à savoir la liberté d’expression et ses principaux dérivés tels que la liberté de la presse et la liberté de publier ?
En janvier et en mai 2005, nous avons rencontré des Tunisiens de tous bords politiques et intellectuels, y compris des membres du gouvernement, et nous avons par ailleurs été les témoins d’attaques contre les libertés d’expression, d’association et de mouvement, attaques que nous avons recensées dans un rapport intitulé : « Tunisie : liberté d’expression assiégée » (1). Les membres du groupe d’observation de la Tunisie vont par ailleurs conduire en Tunisie une troisième mission du 6 au 10 septembre 2005 afin d’y rencontrer des officiels et des membres de la société civile tunisienne. Le TMG tient d’ailleurs à exprimer sa grande préoccupation face à la récente décision des autorités tunisiennes d’empêcher la tenue du congrès constitutif du Syndicat indépendant des Journalistes Tunisiens (SJT) les 7 et 8 septembre prochain à Tunis. Incontestablement, cette interdiction est bien mal venue à deux mois du SMSI. Par ailleurs, les membres du TMG espèrent que la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) sera en mesure de tenir son 6ème congrès à Tunis du 9 au 11 septembre 2005 sans la moindre interférence de la part des autorités tunisiennes.
Suite à de longs mois d’enquête et d’observation et de recensement des attaques contre la liberté d’expression en Tunisie, nous sommes parvenus à la conclusion que la crédibilité même du SMSI serait sérieusement compromise et que la communauté internationale dans son ensemble, au premier rang de laquelle votre gouvernement et l’Union Européenne assumeraient une large part de responsabilité, si les autorités tunisiennes n’étaient pas fermement encouragées à prendre les mesures suivantes dans les plus brefs délais avant la tenue du SMSI à Tunis (15-18 novembre 2005) :
1- Libérer de prison l’avocat des droits humains Mohamed Abbou et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire interdit Al-Fajr, Hamadi Jebali. Comme des centaines d’autres, ils sont emprisonnés pour avoir exercé leur droit à une libre expression et leur droit d’association.
Des ONG locales, régionales et internationales, de même que des gouvernements occidentaux maintiennent que ces prisonniers, qui sont vus au plan mondial comme des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion, n’ont jamais eu recours ou fait l’apologie de la violence et qu’ils n’ont pas eu droit à un procès équitable.
Abbou a été arrêté par les forces de police dans les rues de Tunis le 1er mars 2005, soit moins de 24 heures après avoir placé sur le net un article critiquant la décision du gouvernement tunisien d’inviter le Premier Ministre israélien Ariel Sharon au SMSI. Paradoxalement, suite à un procès inéquitable, il a été condamné par un tribunal correctionnel de Tunis, le 28 avril 2005, à 3 ans et demi de prison pour avoir publié des déclarations en 2004 « susceptibles de troubler l’ordre public », pour avoir « diffamé le processus judiciaire » et également pour « violence » présumée il y a près de 3 ans à l’encontre d’une avocate proche du gouvernement.
La peine a été confirmée par une Cour d’appel le 10 juin dernier suite à une audience qui n’a pas respecté les normes en vigueur d’un procès équitable selon les nombreux défenseurs des droits de l’Homme et les nombreux diplomates présents.
L’article d’opinion utilisé pour inculper Abbou n’est pas l’article qu’il avait placé sur la toile à la veille de son arrestation par la police, mais un autre posté en août 2004, dans lequel il comparait les conditions inhumaines de la prison américaine d’Abu Ghraib en Iraq à celles qui prévalent dans les prisons tunisiennes.
Arrêté en 1991 suite à la publication, dans l’organe de presse Al Fajr, d’une tribune de l’avocat des droits humains Mohamed Nouri sur l’inconstitutionnalité des tribunaux militaires, Jebali purge actuellement une peine de 16 ans de prison pour avoir prétendument été membre d’une « organisation illégale » (2) et pour avoir essayé de « changer la nature de l’Etat ».
2- Mettre fin aux sanctions administratives arbitraires et à l’implacable harcèlement policier qui obligent le journaliste Abdellah Zouari à vivre à quelque 500 km de sa femme et de ses enfants et qui l’empêchent de gagner sa vie ou encore d’utiliser les cybercafés.
3- Libérer tous les livres et toutes les publications interdites – y compris les livres de Mohamed Talbi et de Moncef Marzouki – et les publications d’institutions de droits humains comme l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’Institut arabe des droits de l’Homme ou la Fondation Temimi.
Le groupe d’observation de la Tunisie s’est félicité de l’annonce du Président Ben Ali, le 27 mai dernier, de l’abolition de la procédure de dépôt légal pour les organes de presse, tout en précisant que la libération de l’ensemble des livres et des publications bloqués en Tunisie constituerait « un pas dans la bonne direction ».
4- Reconnaître le droit inaliénable des groupes issus de la société civile d’agir librement dans un contexte de non-harcèlement de leurs membres et de leurs dirigeants. En particulier, nous appelons au respect et à la reconnaissance du droit à la liberté d’association du Conseil national pour les libertés en Tunisie, du Centre pour l’indépendance de la Justice, de l’Association pour la lutte contre la torture, de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, de la ligue des écrivains libres, de Raid-Attac Tunisie et des autres organisations issues de la société civile tunisienne.
Par ailleurs, la récente tentative de mise à pied de l’Association tunisienne des magistrats (ATM) par le pouvoir s’inscrit dans une longue tradition d’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire en Tunisie et nous inquiète particulièrement. Le bureau exécutif de l’ATM a fait état, le 5 juillet dernier, de la publication par des journaux tunisiens d’une pétition qu’a fait circuler une minorité de magistrats proches du Ministère de la Justice appelant au désaveu du Bureau exécutif et à l’organisation d’un congrès extraordinaire de l’ATM. Cette tentative d’éviction de la direction légitime de l’ATM constitue « une atteinte à la loi sur les associations et aux statuts de l’ATM ».
5- Mettre fin au harcèlement des éditeurs, écrivains, journalistes indépendants et des dirigeants du Syndicat indépendant des journalistes tunisiens, dont la création, en mai 2004, est conforme au code du travail tunisien.
6- Mettre fin à l’utilisation abusive de la loi sur le terrorisme promulguée le 10 décembre 2003 et qui est malheureusement utilisée – d’après les groupes de droits humains locaux et internationaux – comme un outil pour réduire au silence et punir les critiques du gouvernement.
7- S’assurer que le droit de créer des médias ne soit pas réservé aux seuls individus ou groupes proches du gouvernement et établir une procédure juste et transparente pour l’octroi des licences audiovisuelles par un organisme réglementaire indépendant.
8- S’assurer du respect du droit d’accès aux cybercafés et du respect du droit de surfer le web librement. Par ailleurs, mettre un terme à la pratique consistant à bloquer les sites web d’informations et/ou politiques.
Nous nous félicitons de l’adoption du plan d’action UE – Tunisie. Cependant, nous regrettons que la partie tunisienne ait cru bon d’apporter par écrit les réserves suivantes en ce qui concerne le sous-comité des droits de l’Homme : le sous-comité ne devrait pas empiéter sur les questions de souveraineté nationale, il ne doit pas soulever de cas individuels, il ne doit pas évoquer les affaires devant la Justice ou sur le point d’y être portées. Les termes de référence du sous-comité des droits de l’Homme seraient actuellement en négociations. Par conséquent, nous ne pouvons que vous appeler à agréer des termes de référence qui soient corformes à l’esprit et à la lettre de la Convention européenne des Droits de l’Homme et qui, par conséquent, rejettent les exigences de la partie tunisienne.
Le conflit évident entre les valeurs et les principes des Nations Unies et le bilan de la Tunisie en matière de liberté d’expression ne peut plus être ignoré. Si les mesures ci-dessus étaient prises avant la tenue du Sommet en novembre, la crédibilité de l’ONU et du SMSI serait renforcée.
Nous serions d’ailleurs très heureux de rencontrer vos services avant la tenue du SMSI, par exemple à l’occasion du Prepcom 3 qui aura lieu à Genève du 19 au 30 septembre 2005, afin de voir comment vous assister dans l’atteinte d’un tel objectif.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous remercions par avance de l’attention que vous voudrez bien donner à cette lettre.
Nous vous prions d’agréer nos sincères salutations.
Les membres du groupe d’observation de la Tunisie :
ARTICLE 19, Royaume-Uni
L’Association mondiale des journaux (AMJ), France
L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC), Canada
Le Centre PEN norvégien, Norvège
Le Comité des écrivains en prison du PEN international (WiPC), Royaume-Uni
La Fédération internationale des journalistes (FIJ), Belgigue
Index on Censorship, Royaume-Uni
International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA), Pays-Bas
Journalistes canadiens pour la liberté d’expression (CJFE), Canada
Journalistes en danger (JED), République démocratique du Congo
Media Institute of Southern Africa (MISA), Namibie
L’Organisation égyptienne des droits de l’homme (EOHR), Egypte
L’Union internationale des éditeurs (UIE), Suisse
World Press Freedom Committee (WPFC), États-Unis
CC:
Ambassadeur de France à Tunis, M. Serge Degallaix
serge.degallaix@diplomatie.gouv.fr
Ambassade de France en Tunisie, 1 Place de l´Indépendance, Tunis
Fax : (00 216) 71 105 100
* Une copie du présent courrier à été envoyée au Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, ainsi qu’à des représentants de l’Union européenne, de divers Ministères des Affaires étrangères et à des ambassadeurs auprès des Nations Unies, y compris celui des Etats-Unis.
1. Pour voir ce rapport ou pour de plus amples informations, veuillez voir le site du TMG : http://campaigns.ifex.org/tmg
2. Le droit inaliénable des groupes issus de la société civile de s’organiser, de se rencontrer et d’agir librement n’est pas respecté en Tunisie. Pour de plus amples informations, voir le point 4 de cette lettre ou le rapport sur la Tunisie du TMG intitulé : « Tunisie : liberté d’expression assiégée ».