(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières a relevé avec intérêt les déclarations des autorités de Sierra Leone affirmant que le président Ahmad Tejan Kabbah était enfin disposé à modifier la loi sur la « diffamation criminelle », dite « Public Order Act », datant de l’époque coloniale, qui a valu au fondateur et directeur de publication du quotidien « For Di […]
(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières a relevé avec intérêt les déclarations des autorités de Sierra Leone affirmant que le président Ahmad Tejan Kabbah était enfin disposé à modifier la loi sur la « diffamation criminelle », dite « Public Order Act », datant de l’époque coloniale, qui a valu au fondateur et directeur de publication du quotidien « For Di People », Paul Kamara, d’être condamné, en octobre 2004, à quatre ans de prison.
« Il est devenu urgent que la situation s’améliore dans ce pays, a déclaré l’organisation. Nous serions évidemment heureux que la Sierra Leone se soumette enfin aux standards démocratiques de la liberté de la presse en réformant en profondeur une législation rétrograde. Pour montrer sa bonne volonté et créer les meilleures conditions pour que s’ouvrent des négociations apaisées, le gouvernement devrait d’abord permettre la remise en liberté de Paul Kamara, qui, dans sa cellule de la prison de Pademba Road, vient de purger la première des quatre années de la peine abusive que la justice lui a infligée ».
Au lendemain d’un séminaire entre le gouvernement et les principales publications privées de Sierra Leone sur le rôle des médias, organisé le 6 octobre 2005 à Aberdeen (Ouest) par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la présidente de la Commission indépendante des médias (IMC), Bernadette Cole, a annoncé avoir reçu une lettre du président Kabbah, dans laquelle il demandait une réforme de la loi sur la « diffamation criminelle ».
Au cours de sa conférence de presse, la présidente de l’organisme sierra-leonais de régulation des médias a ajouté : « Mes chers collègues, quelles que soient nos différences d’opinions sur le Public Order Act, (. . .) nous devons saisir cette opportunité de faire en sorte que les lois draconiennes sur la diffamation soient abrogées ». Au cours d’une rencontre avec des journalistes, le porte-parole du président, Alhaji Kemoh Kanji, a confirmé que cette démarche était motivée par « une nouvelle manière de penser du président Kabbah sur la liberté d’expression et la liberté de la presse ». Le ministre de la Justice et procureur général, Frederick Carew, qui a été l’un des promoteurs les plus zélés de cette loi maintes fois dénoncée par les organisations internationales de défense de la liberté de la presse, a expliqué : « Mon bureau est ouvert. Comme la présidence, je suis prêt à coopérer avec les journalistes pour promouvoir la liberté de la presse ».
De son côté, le chef du ministère public (« director of public prosecution »), Oladipoh Robin Mason, a affirmé qu’une fois le « feu vert » reçu par son service, il serait disposé à procéder à cette réforme. Toutefois, il a précisé que les modifications ne concerneraient que les dispositions légales sur la diffamation, et non pas le reste du Public Order Act. Cette loi controversée, datant de 1965, punit notamment d’une peine allant jusqu’à sept ans de prison et d’une possible suspension, la publication, la distribution ou la possession de contenu susceptible de provoquer la « désaffection du public » envers le Président ou d’autres officiels. L’Association des journalistes de Sierra Leone (SLAJ), qui a attaqué la loi devant la Cour suprême, a fait savoir qu’elle n’entendait pas renoncer.
Paul Kamara a été condamné le 3 octobre 2004 à deux fois deux ans de prison dans un procès qui l’opposait au chef de l’Etat. Le président Kabbah avait attaqué le journaliste en justice, après la publication dans l’édition du 3 octobre 2003 de « For Di People » d’un article intitulé : « Speaker of Parliament challenge! Kabbah is a true convict! » (« Défi au président du Parlement ! Kabbah est un vrai inculpé ! »). Celui-ci rapportait qu’en 1968, une commission d’enquête avait reconnu l’actuel président de la République, alors secrétaire permanent au Commerce, coupable de fraudes. « For Di People » avait alors qualifié d’anticonstitutionnelle la position du président du Parlement, selon laquelle le statut du chef de l’Etat lui garantit l’impunité contre toute condamnation. Les demandes de mise en liberté provisoire déposées par les avocats de Paul Kamara ont été rejetées (consulter des alertes de l’IFEX du 3 août, 4 juillet, 22 juin, 2 mai et 25 février 2005, 29, 11 et 7 octobre et 19 mars 2004, 14 et 9 octobre 2003).
Le 28 juillet 2005, le directeur par intérim de « For Di People », Harry Yansaneh, a succombé à ses blessures, deux mois après avoir été sévèrement tabassé par les hommes de main de Fatmata Hassan Komeh, une députée du parti au pouvoir. Bien que reconnus coupables d’homicide, les agresseurs du journaliste ont été relâchés sous caution (consulter des alertes des 31 et 5 août, 29 et 21 juillet et 16 mai 2005).