Reporters sans frontières (RSF) appelle le parlement à rétablir les compétences de l’organe de surveillance des médias publics et les institutions européennes à inclure la liberté de la presse dans la procédure de sanctions contre la Pologne pour violation des valeurs européennes.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 24 juin 2020.
Alors que les Polonais s’apprêtent à élire le 28 juin prochain leur président, la chaîne publique Telewizja Polska (TVP) trahit ouvertement sa mission de service public en se faisant le porte-parole quasi exclusif du président et du gouvernement. Reporters sans frontières (RSF) appelle le parlement à rétablir les compétences de l’organe de surveillance des médias publics et les institutions européennes à inclure la liberté de la presse dans la procédure de sanctions contre la Pologne pour violation des valeurs européennes.
A en croire la télévision publique polonaise, le président sortant Andrzej Duda n’a aucun défaut, alors que le plus populaire candidat d’opposition, le maire de Varsovie Rafał Trzaskowski, est au service des plus grands ennemis d’une Pologne conservatrice et patriote. De même, dans un pays qui sort de la crise sanitaire et frôle une crise économique, les menaces principales découlent des revendications des LGBTI.
Depuis le début de la campagne présidentielle, le chef d’État a été présenté par le principal programme d’actualité de la TVP, “Wiadomości”, sous un angle positif dans 97% des cas, 3% le montrant en posture neutre, selon un rapport de l’agence Press-Service Monitoring Mediów du 19 juin dernier. Son adversaire, Rafal Trzaskowski – déjà sous-représenté (moins de 31% d’apparitions) – souffre quant à lui d’une image négative à 87%, les 13% restant étant réservés à une présentation neutre.
Au-delà d’un accès inéquitable des candidats aux médias publics et d’un manque de pluralisme d’informations avant le scrutin du dimanche prochain, le débat présidentiel diffusé par la TVP le 17 juin dernier laisse craindre une intervention politique directe dans les choix éditoriaux : la majorité des questions ont été taillées sur mesure pour le candidat du gouvernement ultra-conservateur et nationaliste (mariage gay, éducation religieuse, relocalisation de réfugiés) et une enquête menée en direct auprès des téléspectateurs, qui donnait le maire de Varsovie gagnant, a été invalidée par la TVP sous prétexte d’un problème technique. Pas moins de cinq plaintes ont été déposées contre le média public auprès du Conseil national de la diffusion (KRRiT) le soupçonnant, entre autres, d’avoir divulgué à Andrzej Duda les questions du modérateur au préalable. Cependant, le pouvoir n’a rien à craindre : le Conseil est réputé pour son incapacité à assurer l’indépendance de l’audiovisuel public.
L’anti-campagne de la TVP contre le principal candidat d’opposition a été tellement violente, qu’il en est venu à porter plainte pour “violation des droits privés” après la diffusion, le 9 juin dernier, d’un reportage l’accusant de “représenter […] un puissant lobby étranger”, parce qu’il “avait soutenu l’entrée des migrants sans papiers en Pologne” et “n’avait pas voulu défendre les Polonais contre des accusations trompeuses de complicité dans la Shoah”.
Calquant la ligne politique de la majorité, et ce au détriment de sa mission de service public, la TVP s’est fait l’écho du discours de haine gouvernemental à l’occasion des dernières élections. A l’approche des législatives d’octobre dernier, la télévision publique a ainsi diffusé le documentaire “Invasion” sur “les “objectifs, les méthodes et l’argent” derrière la communauté polonaise LGBTI, avant que la justice n’ordonne, enfin, son retrait du YouTube le 8 juin dernier. Or, pour Andrzej Duda, ce sont les médias étrangers qui diffusent des “fausses informations”. Leur seule faute : avoir correctement rapporté, le 13 juin dernier, les propos du président sur les LGBTI n’étant pas des personnes, mais “une idéologie” comparable à une “sorte de néo-bolchevisme”.
“Au lieu de servir l’intérêt public, la TVP sert le gouvernement, au lieu de combattre la désinformation, elle la diffuse,” s’inquiète Pavol Szalai, responsable du Bureau UE/Balkans à RSF qui en appelle au parlement afin qu’il rétablisse les compétences et l’indépendance du KRRiT en vertu du verdict de la Cour constitutionnelle de 2016. “L’abus systématique de la télévision publique par l’Etat démontre que la liberté de la presse devrait être incluse dans la procédure sous l’article 7 du Traité de l’UE, débattue au Conseil de l’UE, qui peut déboucher sur des sanctions contre la Pologne pour violation des valeurs européennes. »
La Pologne se situe à la 62e place dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.