Les agissements du régime djiboutien contre ce journaliste sont d’une extrême gravité et témoignent de l’ampleur de la répression qui s’abat sur celles et ceux qui tentent de produire des informations indépendantes, déclare RSF.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 4 août 2020.
Reporters sans frontières (RSF) condamne les méthodes d’intimidation et la répression qui s’abat sur un journaliste djiboutien arbitrairement détenu depuis trois semaines, dont le domicile vient d’être perquisitionné et le compte Facebook a fait l’objet d’une intrusion.
Un sol jonché de vêtements et d’effets personnels, un clavier d’ordinateur débranché, des armoires vidées, et l’impression d’une habitation qui vient d’être cambriolée… Les images tournées à la suite de la perquisition de la police djiboutienne dimanche 2 août au domicile du correspondant de La Voix de Djibouti (LVD), Charmarke Saïd Darar, témoignent de la violence de la répression qui s’abat sur le journaliste et sa famille. Depuis son arrestation le 15 juillet, il n’a eu accès à ni à son avocat, ni à ses proches qui l’ont revu pour la première fois depuis son arrestation, menotté, lors de la perquisition. Interrogée par RSF, la soeur du journaliste a indiqué que son frère était “faible” et qu’il n’avait pratiquement rien mangé depuis le début de sa détention. Tous les papiers d’identité du journaliste ainsi que son matériel ont été saisis.
Officiellement alerté par courrier de l’illégalité de la procédure, la procureure générale de la République de Djibouti n’a pas donné suite aux questions que se posent le conseil et les soutiens du journaliste, notamment sur les charges retenues contre lui et sur sa détention dans un lieu tenu secret depuis trois semaines.
Le compte Facebook de Charmarke Saïd Darar a également fait l’objet d’une intrusion. Alors que les téléphones et l’ordinateur portable du journaliste étaient déjà aux mains de la police, un message publié sur sa page écrit indique que le compte “a été sécurisé depuis l’extérieur”. Interrogé par RSF, Mahamoud Djama, le directeur de LVD, estime que c’est un “piège tendu par le régime pour que des proches et des sources du journaliste lui écrivent et soient identifiées”.
Selon les informations de RSF, il ne fait aucun doute que Charmarke Saïd Darar ait été sciemment visé pour son activité de journaliste à LVD, le seul média libre et indépendant tenu par des Djiboutiens en exil mais fonctionnant grâce à un réseau de collaborateurs locaux qui lui fournit des informations. Le journaliste a été particulièrement mobilisé pour couvrir l’affaire du lieutenant Fouad Youssouf Ali, un militaire emprisonné à Djibouti après avoir tenté de fuir le pays. Il a notamment contribué à couvrir les manifestations de soutien à l’officier, réalisé des interviews et participé à des émissions pour témoigner de cette actualité qui secoue le régime depuis plusieurs mois. Le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, le journaliste avait déjà fait l’objet d’une détention arbitraire pendant cinq jours après avoir couvert les conséquences d’un incendie dans la capitale du pays. Craignant d’être de nouveau arrêté, il vivait dans la clandestinité au moment de son arrestation. Ses proches avaient également fait l’objet de pressions de la part de la police qui avait menacé de s’en prendre à eux s’ils ne parvenaient pas à le “faire taire”.
“Après trois semaines de détention en dehors de toute procédure légale, cette situation relève de la séquestration. Les agissements du régime djiboutien contre ce journaliste sont d’une extrême gravité et témoignent de l’ampleur de la répression qui s’abat sur celles et ceux qui tentent de produire des informations indépendantes, déclare Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous exhortons les autorités à libérer ce journaliste sans délai et à mettre fin aux méthodes brutales utilisées pour le faire taire. Nous demandons également aux pays partenaires de Djibouti de se mobiliser pour la libération de ce journaliste qui symbolise le combat pour l’information indépendante dont le pays serait totalement privé sans la poignée de journalistes qui résistent encore et payent au prix fort leur engagement pour informer.”
Les soutiens du journaliste djiboutien s’élargissent. La semaine dernière plusieurs dessinateurs de l’ONG Cartooning for Peace se sont associés à RSF pour dénoncer l’arrestation de ce journaliste à travers leurs caricatures.
Les collaborateurs de La Voix de Djibouti sont constamment inquiétés par le régime qui cherche régulièrement à les réduire au silence ou à identifier leurs sources. Depuis un an, RSF a dénombré six arrestations arbitraires de journalistes travaillant pour ce média dont celles au mois de juin de Kassim Nouh Abar et Mohamed Ibrahim Wais, le dernier cité est également correspondant de notre organisation.
Djibouti, 176e sur 180 pays, a perdu trois places au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2020.