A la suite de la parution d’un article consacré à un système d’intimidation mis au point par la police pour censurer Twitter, le journaliste Auqib Javeed a été convoqué au poste, où les policiers l’ont interrogé pendant cinq heures, avec force menaces et coups au visage.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 23 septembre 2020.
A la suite de la parution d’un article consacré à un système d’intimidation mis au point par la police pour censurer Twitter, le journaliste Auqib Javeed a été convoqué au poste, où les policiers l’ont interrogé pendant cinq heures, avec force menaces et coups au visage. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un comportement inadmissible dans une démocratie.
“Maintenant, j’ai peur pour ma vie. J’ai peur que les autorités mettent tout en œuvre pour me réduire au silence, qu’elles m’arrêtent au moyen d’accusations fabriquées de toutes pièces.” Interrogé lundi 21 septembre par RSF, Auqib Javeed est encore sous le choc. Le matin même, il avait révélé les brutalités policières dont il avait été l’objet deux jours plus tôt.
Trois jours auparavant, la police de Srinagar, la capitale cachemirie, lui avait ordonné par téléphone de se rendre au poste pour “boire le thé”– une métaphore généralement utilisée dans les régimes autoritaires en Asie lorsque des policiers veulent “passer au grill” un journaliste ou un dissident. Le lendemain, il s’est rendu à la convocation de la cyber-police de l’Etat du Jammu-et-Cachemire. “Ils m’ont gardé au poste pendant cinq heures pour m’interroger. On m’a giflé, on m’a menacé, on m’a humilié.”
Le journaliste était convoqué pour son enquête publiée deux jours plus tôt sur la site d’information Article 14. Le reporter y révèle un vaste système d’intimidation mis au point par la cyber-police à l’égard d’utilisateurs de Twitter. Selon l’article, plusieurs dizaines d’entre eux ont été “interrogés” par les policiers, qui les ont menacés et fortement enjoints à ne plus publier de commentaire “anti-gouvernement”.
Téléphone fouillé, preuves supprimées
Un article “faux et trompeur”, selon le commissaire Tahir Ashraf Bhatti, qui est pourtant interviewé et abondamment cité dans cet article. La seule erreur factuelle portait sur le bâtiment de la police où se situe la cyber-police – mais elle a été immédiatement corrigée. Le téléphone du journaliste, confisqué pendant les cinq heures d’interrogatoire, a par ailleurs été passé au crible et vidé de toute trace de ses échanges passés avec le commissaire.
“Il est absolument inadmissible que des représentants des forces de l’ordre molestent, menacent et intimident ainsi un journaliste qui s’est contenté de faire son travail, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Le comportement des officiers de la cyber-police de Srinagar est typique des régimes autoritaires, et indigne de la démocratie indienne. Nous appelons les autorités fédérales à sanctionner les auteurs des violences exercées contre Auqib Javeed.”
Ce n’est pas la première fois que le journaliste fait l’objet d’intimidations en raison de son travail. En juillet 2018, il avait été interrogé pendant trois heures par l’Agence nationale d’investigation (NIA), l’antiterrorisme indien, pour avoir interviewé un leader separatiste cachemiri. Son téléphone, confisqué, ne lui a jamais été remis.
La semaine dernière, RSF dénonçait les violentes attaques de la police envers trois de ses confrères au Cachemire. Le 15 septembre, alors qu’ils couvraient des échanges de tirs entre militants indépendantistes et forces gouvernementales, le photojournaliste de Newsclick Kamran Yousuf et les journalistes Faisal Bashir et Reshi Irshad ont été frappés par plusieurs officiers, l’un deux à coups de matraque.
L’Inde se situe à la 140e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.