Les propos du président contre "La Voix de Djibouti", le seul média indépendant tenu par des journalistes djiboutiens, relèvent de la calomnie et ne visent qu’à détourner l’attention sur l’absence totale de liberté de la presse dans son pays, dénonce RSF.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 9 décembre 2020.
Dans une interview, le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh a calomnié le seul média indépendant tenu par des journalistes djiboutiens contraints de travailler dans la clandestinité pour échapper à la répression. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des propos mensongers dont le seul but est de détourner l’attention sur l’absence totale de la liberté de la presse à Djibouti.
Interrogé sur la liberté dans la presse dans son pays par le magazine mensuel français Jeune Afrique, le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, a tenu des propos mensongers pour discréditer La Voix de Djibouti (LVD), un média en exil, qui demeure à ce jour la seule radio et web TV indépendante tenue par des djiboutiens. Le chef de l’Etat, qui pourrait se présenter pour un cinquième mandat en avril prochain, a qualifié LVD de “site d’opposition basé à Bruxelles”, présenté ses journalistes comme des “quidams parfois à peine alphabétisés » et assuré n’avoir “emprisonné personne”. Difficile d’énoncer autant de contre-vérités en deux phrases seulement.
Mais la propagande du régime djiboutien ne résiste pas à l’épreuve des faits. Le siège de LVD se situe à Paris et non à Bruxelles et ses journalistes sont obligés de travailler dans la clandestinité pour échapper à la répression du régime. Depuis un peu plus d’un an, ils ont été arrêtés à au moins six reprises, comme l’a documenté et dénoncé RSF.
Loin d’être des analphabètes, les journalistes de ce média sont pour la plupart diplômés de l’enseignement supérieur. Certains ont suivi des formations en journalisme à l’étranger. La plupart parlent plusieurs langues.
Par ailleurs, si le média compte des sympathisants parmi les membres de l’opposition, il est indépendant dans son financement et ouvert à toutes les voix dans sa ligne éditoriale. Dans ses derniers exercices comptables 2018 et 2019 consultés par RSF, aucune contribution financière ne provient de l’opposition djiboutienne. La programmation et les contenus proposés offrent des espaces d’expression, de débats et d’informations indépendantes qui ne sont tout simplement pas autorisés à Djibouti dont le paysage médiatique se limite aux seuls médias d’Etat, contraints et forcés de relayer la propagande du pouvoir. Les membres du régime sont régulièrement conviés, comme ce fut le cas dernièrement pour Abdourahman Mohamed Allaleh, vice-président de la coalition au pouvoir, invité à débattre de l’actualité contre un membre du principal parti de l’opposition. Si les proches et les membres du pouvoir sont régulièrement sollicités, ils donnent rarement suite et refusent de s’exprimer comme a pu le constater RSF dans les messages reçus par le directeur de LVD.
Enfin, il est indéniable que sans le travail essentiel de ce média, de nombreux sujets d’intérêt public comme les conséquences des inondations qui ont touché Djibouti, les violences policières ou encore certaines pratiques relevant de la corruption ou du népotisme, auraient été passés sous silence. C’est notamment pour récompenser ce travail d’information important et effectué dans des conditions très difficiles que LVD faisait partie cette année des nominés pour le prix de la liberté de la presse décerné par RSF hier mardi 8 décembre.
“Non, les journalistes de LVD ne sont pas des analphabètes de l’opposition. Les propos du président contre le seul média indépendant tenu par des journalistes djiboutiens relèvent de la calomnie et ne visent qu’à détourner l’attention sur l’absence totale de liberté de la presse dans son pays, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique. Mais aussi graves soient-elles, ces accusations complètement mensongères ne trompent personne. Ce média effectue un travail de qualité, avec peu de moyens et un immense courage. Sa contribution pour offrir un espace d’expression, d’informations et de débat est absolument essentielle pour empêcher que les Djiboutiens n’aient pour seul moyen de s’informer que la propagande du régime.”
Dans un tel contexte, les tentatives de justification du président Guelleh sur l’absence de médias privés dans son pays relèvent autant de la mauvaise foi que de la tromperie. “Cela coûte cher”, “le marché est réduit”, s’est-il contenté de répondre dans l’interview accordée à Jeune Afrique. Pourtant, La Voix de Djibouti n’a jamais fait part de problèmes d’ordre financier lorsqu’elle a sollicité une licence en 2015. Réponse laconique des autorités dans un courrier consulté par RSF : “la commission nationale de la communication chargée de cette attribution n’est pas encore opérationnelle”. Malgré les relances, LVDattend toujours sa licence. Quant à cette commission, sa création est prévue par la loi relative à la liberté de communication à Djibouti, un texte qui date de 1992…
Djibouti, 176e sur 180 pays, a perdu trois places au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2020.