Les enquêtes de Lucy Kassa en cours concernent des sujets particulièrement sensibles, comme le rôle des soldats érythréens dans le conflit au Tigré, les conditions des personnes déplacées et des cas de violences sexuelles contre les femmes.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 10 février 2021.
Après qu’une journaliste éthiopienne a été violemment agressée à son domicile, Reporters sans frontières (RSF) dénonce les pressions et menaces qu’elle subit et demande aux autorités de les prendre très au sérieux en mettant tout en oeuvre pour identifier leurs auteurs.
“La prochaine fois, on frappera plus fort !” Cette phrase, la journaliste indépendante éthiopienne Lucy Kassa l’a entendue à plusieurs reprises dans la bouche de ses assaillants, lundi 8 février à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Trois hommes en armes, habillés en civil, ont fait irruption au domicile de cette correspondante pour plusieurs médias étrangers, dont le magazine mensuel norvégien Bistandsaktuelt, le Los Angeles Times ou encore Al Jazeera. La journaliste a été assommée, et ses agresseurs ont littéralement mis à sac son appartement, emportant au passage un ordinateur, des photos collectées dans le cadre de l’une de ses enquêtes et une clé USB. Elle a également été accusée par ces hommes de “propager des mensonges” et de soutenir “la junte du Tigré”. Au nom de qui ont-ils agi ? Appartiennent-ils aux forces de sécurité, comme peuvent le laisser penser ces accusations ?
La journaliste couvre depuis plusieurs mois le conflit qui oppose les autorités locales de cette région et les forces fédérales éthiopiennes. Ses enquêtes en cours concernent des sujets particulièrement sensibles, comme le rôle des soldats érythréens dans cette région, les conditions des personnes déplacées et des cas de violences sexuelles contre les femmes dans cette région.
“Cet acte de violence et ces menaces interviennent dans un contexte de très fortes tensions, et il est intolérable que les journalistes qui tentent courageusement de rendre compte de ces événements, parfois au risque de leur vie, soient l’objet de telles pressions et intimidations, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Cette journaliste courageuse a reçu de sérieuses menaces, et nous demandons aux autorités de prendre toutes les dispositions nécessaires pour identifier les agresseurs et les dissuader de s’en prendre de nouveau à elle.”
Contactée par RSF, la journaliste ne s’estime plus en sécurité à Addis-Abeba. Quelques heures avant notre appel, elle a failli être percutée à grande vitesse par une voiture qui dépassait le taxi dans lequel elle circulait dans la capitale éthiopienne.
Journaliste est à nouveau un métier à risque en Ethiopie. Ravagée par des affrontements ethniques et un conflit armé ouvert avec le gouvernement local de la région du Tigré, qui ne reconnaît plus l’autorité du pouvoir fédéral, le pays est en proie à des combats et des massacres qui font penser à des scènes de guerre civile. Dans ce contexte agité, la situation des journalistes s’est considérablement dégradée depuis la fin de l’année 2020. La couverture du conflit dans le Tigré a été rendue pratiquement impossible par les interdictions d’accès et la coupure des réseaux de télécommunications. Privés d’information, les journalistes sont aussi parfois privés de leur liberté : RSF a recensé près d’une dizaine d’arrestations arbitraires en lien avec ces événements depuis le début des hostilités, en novembre 2020.
L’Ethiopie occupe la 99e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.