"La meilleure contribution au développement des journalistes n'est pas d'en faire des porte-voix du gouvernement mais de les laisser travailler afin d'informer les populations et de permettre aux autorités de prendre les meilleures décisions possibles."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 1 septembre 2021.
Reporters sans frontières (RSF) appelle le président burundais à combattre l’épidémie plutôt que les journalistes après des propos accusant un journaliste pour ses informations relatives à la multiplication importante des cas de Covid-19 dans le pays.
Alors que le Burundi fait face à une résurgence de l’épidémie de Covid-19, le président Évariste Ndayishimiye a publiquement pris à partie, par deux fois en moins de deux semaines, le journaliste burundais de RFI Esdras Ndikumana. Hier, à l’occasion d’une rencontre avec un groupe de jeunes entrepreneurs dans l’Est du pays, le chef de l’Etat a accusé le journaliste qui vit en exil depuis six ans, de grossir les chiffres des cas de Covid-19 et de “promouvoir la pauvreté dans le pays” à travers ses interventions sur les ondes de la radio française.
Le 19 août dernier, lors d’un discours diffusé à la Radio Télévision Nationale du Burundi (RTNB) et à la radio télévision Rema, proche du parti au pouvoir, le président avait déjà pris pour cible Esdras Ndikumana, l’accusant d’être “le seul journaliste burundais qui rêve de voir le Burundi sombrer dans l’abîme, les Burundais mourir et de voir le Covid-19 nous assiéger”.
Le chef de l’Etat a également évoqué Antoine Kaburahe, le fondateur de l’hebdomadaire Iwacu, déclarant qu’il faisait partie des “deux journalistes qui détruisent notre pays” et se félicitant qu’il se soit “ravisé” après avoir “reçu notre message”. Ce journaliste qui vit également en exil est à la tête d’un média constamment menacé par le régime burundais depuis la crise de 2015. Jean Bigirimana, l’un de ses journalistes les plus aguerris, est porté disparu depuis plus de cinq ans après avoir été aperçu pour la dernière fois aux mains des services de renseignement. Quatre journalistes d’Iwacu ont passé plus d’un an en prison après avoir été arrêtés alors qu’ils se rendaient en reportage avant d’être finalement graciés par le président à la fin de l’année dernière.
“Nous condamnons ces propos graves et dangereux, triste rappel de la fragilité de la liberté de la presse au Burundi, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. La meilleure contribution au développement des journalistes n’est pas d’en faire des porte-voix du gouvernement mais de les laisser travailler afin d’informer les populations et de permettre aux autorités de prendre les meilleures décisions possibles. Nous rappelons que le travail des journalistes est absolument essentiel durant cette crise sanitaire et appelons le président à ne pas se tromper d’ennemi en combattant l’épidémie plutôt que les journalistes.”
Au Burundi, le nombre de nouveaux cas rapportés au cours des quatre dernières semaines a augmenté de 208% par rapport au nombre de cas des quatre semaines précédentes. Le pays n’a jamais connu une telle augmentation des cas de Covid-19.
La liberté de la presse y demeure très fragile malgré les promesses du président de “normaliser” les relations avec les médias.
Le pays occupe la 147e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.