Les trois journalistes - Carlos Ketohou, Ferdinand Ayité, et Luc Abaki - ont déclaré au CPJ que le fait d’apprendre qu’ils étaient des cibles potentielles de surveillance avait renforcé leur sentiment d’insécurité, alors même qu’ils continuent à exercer leur profession.
Cet article a été initialement publié sur cpj.org le 27 septembre 2021.
Lorsque Carlos Ketohou a fui le Togo au début de l’année 2021, il a laissé derrière lui sa maison, sa famille et son téléphone portable que les gendarmes ont saisi lorsqu’ils l’ont arrêté et détenu suite à un rapport publié par son journal, L’Indépendant Express. En juillet, il a appris que le numéro de téléphone associé à l’appareil qu’ils ont saisi a peut-être été la cible d’une surveillance plusieurs années avant son arrestation.
La révélation est intervenue via le Projet Pegasus, une enquête journalistique collaborative internationale détaillant comment des milliers de numéros de téléphone ayant fuité, dont beaucoup appartenaient à des journalistes, auraient été sélectionnés pour être la cible d’une surveillance potentielle par des clients de la société israélienne NSO Group. Outre Ketohou, le journaliste togolais Ferdinand Ayité, directeur du journal L’Alternative, figurait également sur la liste du projet Pegasus, selon Forbidden Stories, l’un des partenaires du projet. Un troisième journaliste togolais, le journaliste indépendant Luc Abaki, a également été choisi comme cible potentielle du logiciel espion, selon un représentant d’Amnesty International, un autre partenaire du projet, qui a confirmé le listage de son numéro à Abaki puis au CPJ.
L’utilisation du logiciel espion Pegasus de NSO Group sur les téléphones de ces journalistes n’a pas été confirmée et le NSO Group a nié tout lien avec la liste. Mais les trois journalistes ont déclaré au CPJ au cours de plusieurs entretiens menés par e-mail, téléphone et application de messagerie que le fait d’apprendre qu’ils étaient des cibles potentielles de surveillance avait renforcé leur sentiment d’insécurité, alors même qu’ils continuent à exercer leur profession.
« J’ai passé des nuits de cauchemars à penser à toutes mes activités sur le téléphone. Ma vie privés, mes problèmes personnels étaient entre les mains de personnes étrangères. », a déclaré Ketohou. « Ça fait peur. Et c’est une torture pour moi. »
L’utilisation potentielle du logiciel espion Pegasus pour surveiller les journalistes au Togo s’ajoute à une liste déjà longue de préoccupations concernant la liberté de la presse dans le pays. Au cours des dernières années, des journalistes togolais ont été arrêtés et agressés, leurs journaux ont été suspendus suite à une couverture médiatique critique et ils ont eu beaucoup de mal à travailler en raison d’interruptions de l’accès à internet et aux applications de messagerie, comme l’a documenté le CPJ.
La société NSO Group a déclaré qu’elle vendait uniquement son logiciel espion, qui permet à l’utilisateur de surveiller secrètement le téléphone d’une cible, aux gouvernements qui l’utilisent pour mener des enquêtes sur la criminalité et le terrorisme. Pourtant, Pegasus a été utilisé à plusieurs reprises pour cibler des membres de la société civile dans le monde entier, y compris le clergé togolais en 2019, selon Citizen Lab, un groupe de recherche basé à l’Université de Toronto qui enquête sur les logiciels espions. Plus de 300 numéros togolais figuraient sur la liste des cibles potentielles du Projet Pegasus, selon Le Monde, un autre partenaire du projet.
« J’ai eu très peur », a déclaré Ketohou au CPJ après avoir été informé par Forbidden Stories que son numéro figurait sur la liste en 2017 et 2018 et que cela avait renforcé sa décision de partir en exil, où il a lancé un nouveau site d’information, L’Express International, après que le régulateur des médias du Togo a interdit la publication de L’Indépendant Express au début 2021, comme l’a documenté le CPJ. Il a demandé au CPJ de ne pas divulguer son emplacement pour des raisons de sécurité.
Ketohou a déclaré au CPJ qu’il ne pouvait pas nommer avec précision l’article qui aurait pu déclencher une surveillance potentielle, mais qu’au moment où son téléphone a été sélectionné, son journal couvrait les protestations à l’échelle nationale – qui ont commencé en 2017 – contre le régime du président Faure Gnassingbé. À l ’époque, son poste de président du Patronat de la Presse Togolaise, une association locale de propriétaires de médias, et de membre de la Ligue togolaise pour les droits de l’Homme (LTDH) pourrait avoir suscité un intérêt de faire surveiller son téléphone, a ajouté Ketohou.
Le directeur de L’Alternative, Ayité, a déclaré au CPJ qu’il ne savait pas exactement ce qui avait amené son numéro de téléphone à être choisi en 2018, comme l’en a informé Forbidden Stories, mais que cette année-là son journal avait publié ce qu’il a qualifié de rapports « sensibles » sur la crise politique entourant les manifestations et les efforts de médiation des pays voisins.
Selon lui, le fait que son numéro ait été choisi pour être la cible d’une surveillance potentielle coïncide avec les tentatives d’intimidation des autorités togolaises à son égard et à celui de L’Alternative.