Février 2022 en Afrique. Un tour d'horizon de l’état de la liberté d'expression réalisé, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
En mettant l’accent sur #JIF2022, cette synthèse parcourt le continent en mettant l’accent sur l’enquête sur le harcèlement sexuel Women In News, la visite émouvante de la secrétaire générale adjointe de l’ONU Amina Mohammed en Éthiopie et un jeu interactif centré sur la sécurité des jeunes femmes en ligne.
Pour l’amour de la radio
Au cours du mois de février, mois de l’amour et de la romance, le continent africain a aussi célébré la Journée internationale de la radio avec des messages émouvants soulignant le rôle et l’importance de la radio dans le contexte africain.
Une lettre d’amour à la radio de Norah Appolus, figure namibienne de la radiodiffusion publique, nous a emmenés dans un voyage nostalgique à travers les communautés et leur lien avec ce média très prisé, et plus important encore, a souligné le rôle des médias dans le contexte des luttes de libération.
Media Foundation for West Africa (MFWA) a renforcé la perception selon laquelle, dans notre contexte, l’accessibilité, l’abordabilité et la diffusion en temps réel des nouvelles et des informations, en particulier dans les langues locales, ont fait de la radio le média de choix, même à l’ère moderne de l’Internet.
Edetaen Ojo d’Africa Freedom of Expression Network (AFEX) nous a rappelé que : « Malgré les progrès des technologies de l’information et de la communication, la radio, sous ses différentes formes, reste un moyen de communication fiable et des plus accessibles pour des millions de personnes sur le continent africain et au-delà, en leur donnant la parole et en leur servant de véritable source d’information ».
Cette année, le thème de la Journée internationale de la femme, est symbolisé par la posture #BreakTheBias (#BriserLesPréjugés). Il fait pression pour que des mesures soient prises afin d’uniformiser les règles du jeu pour les femmes et pour promouvoir la notion d’ « engagement à dénoncer les préjugés, à briser les stéréotypes, à combler les inégalités et à rejeter la discrimination ».
[ Traduction : Beaucoup de choses sont partagées sur des préjugés inconscients aujourd’hui avant la #JIF2022 et le thème #BriserLesPréjugés, aucun doute. @DiverseEd2020 #DiverseEd ]
Alors que les activistes du genre trouvent des moyens de bousculer les inégalités, la créatrice nigériane Obialunamma Efemena Omekedo a expliqué comment les féministes à travers l’Afrique voient la radio : comme un outil pour combler le fossé entre les sexes. Elles l’utilisent stratégiquement pour « amplifier les messages et les problèmes qui peuvent contribuer au changement de comportement et au transfert de pouvoir pour les femmes et les filles. »
Dans un article pour iSPEAK Africa, Omekedo explique : « La programmation de la radio nigériane a également reconnu la nécessité de régler l’objectif un peu plus intentionnellement – afin que des sujets contemporains tels que le féminisme, l’intersectionnalité, le démantèlement du patriarcat et le changement de pouvoir en faveur ses femmes soient mis en évidence ».
Sondage sur le harcèlement sexuel
Un sujet souvent ignoré sur le continent africain a été mis sur le devant de la scène par la ministre zimbabwéenne de l’Information, de la Publicité et de la Radiodiffusion, Monica Mutsvangwa, lorsqu’elle a promis que son ministère « ferait davantage pour engager les autorités de régulation des médias et les chefs des groupes de presse à mettre activement en place des mesures pour mettre fin au harcèlement sexuel dans l’espace médiatique. »
Mutsvangwa s’exprimait lors du lancement virtuel du programme WAN-IFRA WIN Leadership Accelerator 2022, le 24 février.
Sa promesse faisait référence aux statistiques choquantes selon lesquelles une femme sur deux travaillant dans le secteur des médias a subi une forme de harcèlement sexuel, révélées dans l’enquête sur le harcèlement sexuel dans huit pays Africains, réalisée par WAN-IFRA avec Women in News ( WIN) et la City University of London.
[ Traduction : (1/2) Êtes-vous membre des médias ou connaissez-vous quelqu’un qui l’est ? WAN-IFRA, Women in News et City University of London mènent un sondage sur le harcèlement sexuel sur le lieu de travail dans les médias. ]
L’enquête a également mis en évidence la déconnexion inquiétante entre les personnes interrogées et leurs managers, ce qui souligne la nécessité pour les médias de mettre en place des mécanismes clairs pour signaler le harcèlement sexuel ainsi que des actions de suivi.
Comme le recommande WIN : « Tout commence par une conversation sur ce qui est et n’est pas un comportement acceptable dans votre organisation médiatique. Être explicite sur le harcèlement sexuel, partager des définitions, quels comportements sont inacceptables et communiquer sur le droit de chaque employé à être traité de manière équitable. Il ne suffit pas d’avoir une politique ; le personnel et les gestionnaires doivent être formés sur les procédures de dépôt et de gestion d’une plainte ».
Émotions fortes et appels à la redevabilité
Le viol et la torture des femmes prises dans la guerre civile en Éthiopie étaient de nouveau sur le devant de la scène après la visite de la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies, Amina Mohammed, dans les régions du Tigré, d’Amhara, d’Afar et de Somali dans le nord du pays.
Admettant qu’à certains moments, elle et plusieurs autres membres de son entourage, dont les traducteurs, ont retenu leurs larmes, Mme Mohammed a déclaré : « Dans vos pires cauchemars, vous ne pouvez pas imaginer ce qui est arrivé aux femmes en Éthiopie… Je ne sais pas comment elles ont réussi à nous raconter à nouveau les histoires des atrocités qui ont été commises contre elles, qu’il s’agisse de viols collectifs ou de viols de femmes qui venaient de subir des césariennes ou avaient subi ces viols devant leurs enfants, je ne sais pas comment elles ont réussi à nous raconter ça ».
Lors de sa conférence de presse à New York après sa visite, Mme Mohammed a souligné la nécessité de demander des comptes : « Je pense, sans l’ombre d’un doute, que la justice et la redevabilité doivent être rendues. Je pense que cela fait vraiment partie du nœud gordien des dialogues nationaux ».
[ Traduction : La Secrétaire générale adjointe de l’ONU, Amina Mohammed, a mis en garde les parties belligérantes dans le nord de l’Éthiopie : une paix durable ne peut être obtenue qu’avec la justice et la redevabilité pour les atrocités qui ont été commises au Tigré et dans les régions voisines. ]
Ce point de vue est renforcé par les recommandations formulées par Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International (AI) dans leurs rapports respectifs : I Always Remember That Day (Je me souviens toujours de ce jour) et I Don’t Know If They Realised I Was A Person (Je ne sais pas s’ils ont réalisé que j’étais un humain). Les deux rapports, qui documentent de manière exhaustive les histoires personnelles de jeunes filles et de femmes victimes de violences sexuelles pendant le conflit civil en Éthiopie, offrent également une foule de recommandations aux parties prenantes concernées, notamment le gouvernement éthiopien, le Front de libération du peuple du Tigré, les agences d’aide, divers organes des Nations Unies, et les agences humanitaires.
[ Traduction : « Je n’ai pas crié ; ils m’ont fait signe de ne pas faire de bruit sinon ils me tueraient. Ils m’ont violée l’un après l’autre… J’étais enceinte de quatre mois. Je ne sais pas s’ils ont réalisé que j’étais enceinte – je ne sais pas s’ils ont réalisé que j’étais un humain », #RapeSurvivor ]
L’une des recommandations faites par HRW est que le gouvernement éthiopien « rende publiques les conclusions du groupe de travail mis en place par le ministre de la Femme, de l’Enfance et de la Jeunesse pour enquêter sur les cas de violences sexuelles au Tigré », tandis qu’AI recommande au gouvernement « que les allégations de violences sexuelles perpétrées depuis le début du conflit dans la région du Tigré fassent l’objet d’enquêtes rapides, efficaces, indépendantes et impartiales, et que les personnes soupçonnées de responsabilité pénale soient traduites en justice devant des tribunaux civils ouverts et accessibles, dans le plein respect des normes internationales d’équité des procès sans recours à la peine de mort. Le cas échéant, les personnes soupçonnées d’avoir commis le viol ou l’esclavage sexuel devraient faire l’objet d’enquêtes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour viol, esclavage sexuel, torture et persécution. »
Sécuriser l’espace civique en ligne pour les jeunes femmes
Allant au-delà des sessions de formation sur la sécurité numérique sur invitation uniquement, Pollicy.org et Paradigm Initiative ont uni leurs forces pour créer un nouveau jeu de fiction interactif, Digital SafeTea, visant à aider les jeunes femmes africaines à rester en sécurité en ligne.
[ Nous lançons Digital SafeTea.
En réponse à un besoin de formation à la sécurité numérique pour les femmes africaines, nous nous sommes associés à @ParadigmHQ pour développer #DigitalSafeTea, un jeu de fiction interactif qui offre aux femmes le « thé » 🍵 autour de la sécurité en ligne
Jouez ici ]
Disponible en anglais, swahili et luganda, le jeu permet aux joueuses d’entrer dans l’univers de trois jeunes femmes : Goitse, Aisha et Dami. « Elles sont confrontées à des menaces numériques telles que le Zoom bombing (incursion dans une réunion virtuelle sur Zoom), l’usurpation d’identité et même le partage non consensuel d’images intimes (PNCII-NCII), souvent appelé « revenge porn » (porno vengeance). Au fur et à mesure que les joueuses se faufilent dans le labyrinthe des menaces, des leçons leur sont présentées sur la façon de naviguer parmi de telles menaces dans la vie réelle. »
LGBTQIA+ attaqué en Afrique de l’Ouest
La réputation que deux nations d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal et le Ghana, ont d’être les plus progressistes d’Afrique en termes de systèmes démocratiques et de niveaux élevés de tolérance s’estompe rapidement. Les gouvernements des deux pays resserrent l’étau sur les droits LGBTQIA+. Profitant du fort sentiment religieux, les partis d’opposition de chaque pays ont présenté des projets de loi d’initiative parlementaire.
En décembre, le Parlement sénégalais a rejeté un projet de loi anti-LGBTQIA+ qui proposait des peines de prison plus sévères pour l’homosexualité, au motif qu’il existait déjà une loi adéquate. Mais le sentiment homophobe au Sénégal est en hausse, comme en témoignent les manifestants brandissant des pancartes offensantes en défilant dans la capitale Dakar et exigeant des lois plus sévères contre l’homosexualité vers la fin du mois de février. Dirigés par des groupes musulmans conservateurs, des milliers d’hommes ont exprimé leur opposition bau rejet du projet de loi par le Parlement.
Pendant ce temps, au Ghana, des audiences publiques sur le projet de loi 2021 sur la Promotion des droits sexuels humains appropriés et les valeurs familiales ghanéennes sont en cours et suivies de près par l’organisation de défense des droits LGBTQI+ Rightify Ghana. Le projet de loi a été initialement présenté par des députés ghanéens en 2021. La première audition publique par la commission des affaires constitutionnelles, juridiques et parlementaires du Parlement s’est tenue le 11 novembre 2021.
Le projet de loi particulièrement odieux et punitif criminalise les relations sexuelles et mariages homosexuels, interdit la chirurgie de conversion sexuelle et soutient la thérapie de conversion sexuelle. Ce projet de loi, qui a de fortes chances d’être promulgué, « vise à criminaliser la production, l’approvisionnement, la commercialisation, la diffusion, la propagation, la publication ou la distribution de matériel concernant les soi-disant « propagande, plaidoyer, soutien et autres activités promotionnelles LGBTTQQIAAP+ par quelque moyen que ce soit et chercherait également à interdire toute manifestation de soutien, de sympathie ou de changement d’opinion publique envers les actes interdits par le projet de loi. »
Des groupes dans les deux pays préviennent que ces lois entraîneront une augmentation continue des attaques et des arrestations de personnes qui s’identifient comme LGBTQIA+, comme cela a été le cas en 2021.
Electronic Frontier Foundation exhorte Meta/Facebook et Twitter à « s’exprimer publiquement contre la proposition et à indiquer les mesures qu’ils prendront pour protéger les utilisateurs si la législation est adoptée. »
Appel au Ghana
La condamnation du journaliste ghanéen Oheneba Boamah Bennie à deux semaines de prison pour outrage au tribunal et l’agression du journaliste Eric Nana Gyetuah par des policiers au cours de la même semaine en février sont révélatrices d’une crise plus vaste.
Dans la première partie d’un article de blog en deux parties, le directeur exécutif de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), Sulemana Braimah explique comment « la crise apparente actuelle représente un mélange toxique qui a le potentiel de saper la liberté des médias et la liberté d’expression au Ghana. Elle a également le potentiel d’inverser les modestes gains du Ghana vers la consolidation démocratique, la paix et la sécurité. »
Grâce à son projet de monitoring du contenu des médias, MFWA a noté un comportement non professionnel et imprudent de la part de certains organes de presse qui laissent passer des allégations offensantes, provocatrices et non fondées. Dans le même temps, les atteintes contre les médias sont en augmentation et ces crimes restent impunis. Le meurtre non résolu d’Ahmed Hussein Suale, datant de 2019, et la récente attaque d’Ada FM en janvier 2022 par des assaillants inconnus sont particulièrement préoccupants.
Dans une lettre aux termes forts, Braimah cite les déclarations du président Akufo-Addo faites avant son élection à la présidence, lui rappelant son opposition aux lois répressives sur les médias telles que la diffamation criminelle.
Braimah termine sa lettre en ces termes : « Nous ne pouvons pas aimer la liberté des médias [quand on est] dans l’opposition et l’opprimer [une fois] au pouvoir. Nous ne pouvons pas aimer la démocratie et détester la liberté d’expression. Quand la liberté d’expression meurt, la démocratie meurt ».
En bref
Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités tchadiennes d’enquêter sur les circonstances de la mort du journaliste Evariste Djaï-Loramadji. Peu de temps après avoir fait un reportage pour Radio Lotiko sur l’attaque d’un village d’agriculteurs par des bergers locaux, il s’est déconnecté. Son corps a été retrouvé le lendemain.
La stratégie de Media Rights Foundation (MRA) consistant à rechercher la justice et à obtenir l’approbation des droits nigérians à la liberté des médias par le biais des tribunaux a directement abouti à deux victoires ce mois-ci. Premièrement, la Cour de justice de la CEDEAO a rejeté une requête du gouvernement fédéral du Nigéria, visant à l’empêcher de rendre son jugement sur les quatre poursuites conjointes contestant la décision du gouvernement de 2021 de suspendre Twitter au Nigéria. Dans le deuxième cas, MRA a été autorisé à poursuivre le procureur général de la Fédération et le ministre de la Justice pour son incapacité à mettre en œuvre la loi nigériane contre la torture.
Toujours au Nigéria, un tribunal fédéral a conclu que le refus d’informer la journaliste sportive Godsgift Onyedinefu constituait une violation de son droit à l’information garanti par la Constitution. Le ministère fédéral des Finances et le ministère fédéral de la Jeunesse et du Développement des Sports ont tous deux étés condamnés à payer environ 4 800 dollars américains pour avoir refusé de lui fournir les informations qu’elle avait demandées sur le coût de la participation du Nigéria à la Coupe du monde 2018.
Le Soudan du Sud a été un point chaud ce mois-ci lorsque des agents de l’agence de renseignement du Service de sécurité nationale ont arrêté huit journalistes qui couvraient une conférence de presse à laquelle participaient des membres de partis d’opposition. Plus tôt dans le mois, une équipe de l’Association pour le développement des médias au Soudan du Sud (AMDISS), dirigée par Michael Duku, a failli perdre la vie lorsqu’elle a été prise dans de violents affrontements entre communautés dans l’État du Bahr el Ghazal occidental, à 800 kilomètres de la capitale, Djouba.
Quatre membres de IFEX – The Gambia Press Union (GPU), The International Press Centre (IPC), the Center for Media Studies and Peace Building (CEMESP) et MFWA, se sont joints aux organisations des droits de la région pour demander au président de la Guinée-Bissau Umaro Sissoco Embaló d’améliorer le paysage de la liberté des médias et d’enquêter de manière approfondie sur les graves violations des droits des médias.