"Si le futur gouvernement ne prend pas de mesures concrètes pour démanteler le système politique de concentration des médias et d’atteintes délibérées à leur indépendance, la Hongrie risque de devenir un trou noir de l’information fiable."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 30 mars 2022.
Alors qu’une partie des médias hongrois diffuse la propagande russe, Reporters sans frontières (RSF) a appelé les deux principaux candidats au poste de premier ministre à s’engager concrètement à améliorer l’accès à une information fiable et vérifiée. Le chef du camp de l’opposition à Viktor Orban, Peter Marki-Zay, a promis d’en faire une priorité politique.
Alors que les électeurs hongrois vont choisir leur futur premier ministre lors des élections législatives le 3 avril, RSF appelle les principaux candidats à faire de la liberté de la presse et du droit à l’information une priorité du futur gouvernement. Ces dernières années, de nombreux médias privés ont été asservis ou réduits au silence, par des manœuvres politico-économiques ou des rachats par des oligarques proches du pouvoir, la Hongrie devenant un véritable “contre-modèle de la liberté de la presse” en Europe. Les derniers médias indépendants influents sont soumis à des pressions politiques, économiques et judiciaires permanentes, allant de l’interdiction d’antenne d’une radio critique du pouvoir à l’utilisation du logiciel de surveillance Pegasus contre certains journalistes.
Le besoin d’une information indépendante et fiable est rendu encore plus urgent par la guerre de l’information déclenchée par l’agression russe contre l’Ukraine : les médias publics et une partie des médias privés en Hongrie, transformés depuis longtemps en organes de communication politique, diffusent des éléments de la propagande du Kremlin. Au début de l’invasion russe, la très influente agence de presse nationale MTI, qui travaille – selon une récente enquête journalistique – sous les ordres directs du gouvernement, est allée jusqu’à remplacer le mot “guerre” par l’expression “opération militaire” dans son contenu, d’ailleurs très relayé dans les médias en raison de sa gratuité. L’emploi de cette expression conforme aux éléments de langage du président russe Vladimir Poutine a alors servi à soutenir la position ambiguë du gouvernement hongrois à propos des sanctions de l’Union européenne contre la Russie.
“Au moment où la Russie revient aux pratiques soviétiques de censure et de propagande, l’Europe a besoin d’un gouvernement hongrois qui promeut la fiabilité de l’information, l’indépendance des médias et rend l’Union européenne forte et crédible dans sa défense des journalistes et de la liberté de la presse”, déclare la représentante de RSF auprès de l’UE, Julie Majerczak. “Si le futur gouvernement ne prend pas de mesures concrètes pour démanteler le système politique de concentration des médias et d’atteintes délibérées à leur indépendance, la Hongrie risque de devenir un trou noir de l’information fiable,” ajoute le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai.
Au cours du mois de mars, Julie Majerczak et Pavol Szalai ont plaidé pour la liberté de la presse et le droit à l’information auprès des principaux candidats au poste de premier ministre. Lors d’une visio-conférence avec RSF le 8 mars, le candidat de l’opposition, Peter Marki-Zay, s’est engagé “à faire de la liberté de la presse et du droit à l’information une priorité et à les évoquer publiquement pendant la campagne électorale.” Il a d’ailleurs qualifié la liberté de la presse de “question importante, si ce n’est la plus importante” pour “sauvegarder la démocratie dans notre pays.”
RSF a également sollicité le Secrétaire d’Etat à la Communication Internationale, Zoltan Kovacs, porte-parole du premier ministre Viktor Orban, candidat à sa propre réélection. Indisponible pour un entretien en raison de la crise en Ukraine, il a promis de réagir aux demandes de RSF par email. Or, l’organisation n’a reçu aucune réponse dans les délais agréés avec ses équipes.
RSF a appelé les principales forces politiques à décliner leurs actions en faveur de la liberté de la presse et du droit à l’information autour de quatre axes majeurs.
L’indépendance des médias publics
En premier lieu, les candidats doivent s’engager à rendre les médias publics et le régulateur indépendants des partis au pouvoir. Il est notamment indispensable d’assurer une représentation équilibrée au sein du Conseil des médias, ce dernier ayant largement outrepassé ses compétences dans l’intérêt politique, notamment en refusant arbitrairement de renouveler la licence du média indépendant Klubradio au début de l’année 2021.
La transparence sur la publicité d’Etat
Deuxièmement, la distribution de la publicité d’Etat doit cesser d’être utilisée dans l’opacité comme comme un outil de pressions politiques, employé, entre autres, contre le site indépendant Index.hu avant sa chute en 2020.
Un délai plus court de réponse aux demandes
Troisièmement, RSF appelle les candidats à s’engager à garantir un accès équitable à l’information pour tous les médias, notamment en ramenant les délais de réponse aux demandes formulées selon la loi sur l’accès libre à l’information de 45 jours prolongeables au délai initial de 15 jours et en assurant un accès non discriminatoire aux conférences de presse à tous les journalistes, tout particulièrement en période préélectorale.
L’abrogation de la loi criminalisant la diffusion de fausses nouvelles
Enfin, les candidats doivent promettre de combattre les pressions d’Etat sur les journalistes et leurs sources, en abrogeant la législation prévoyant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour diffusion de fausses nouvelles, mais aussi en assurant la conduite d’une enquête pénale transparente et rigoureuse sur la surveillance des journalistes critiques du gouvernement via le logiciel espion Pegasus.
La Hongrie occupe actuellement la 92ème place au Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2021.