"Dans leur quête de répression des voix dissidentes, les autorités bangladaises en viennent à emprisonner des individus dont le seul tort est d’avoir un lien de parenté avec un journaliste critique."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 23 septembre 2022.
À quelques jours d’intervalle, les frères de deux journalistes critiques du gouvernement ont été placés en détention, sans aucun mandat d’arrêt. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces pratiques pernicieuses qui constituent de graves atteintes à la liberté de la presse.
“Dans leur quête de répression des voix dissidentes, les autorités bangladaises en viennent à emprisonner des individus dont le seul tort est d’avoir un lien de parenté avec un journaliste critique. Ces pratiques sont absolument indignes d’un gouvernement prétendument démocratique, s’insurge le bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons le procureur général du Bangladesh A. M. Amin Uddin à faire cesser sans délai le harcèlement des journalistes établis à l’étranger.”
Le 13 septembre, une unité de renseignements de la police bangladaise s’est présentée au domicile de Nur Alam Chowdhury, dans la ville de Noakhali au sud du pays. Habillés en civils, la quinzaine d’officiers présents sur place a procédé à son interpellation sans lui présenter de mandat ni lui révéler de motif d’arrestation.
C’est seulement lorsqu’il a été déferré devant un tribunal qu’il a pris connaissance des actes d’inculpation. Son tort ? Être le frère du journaliste Shamsul Alam Liton, rédacteur en chef du Weekly Surma, un hebdomadaire en bengali et anglais, dont l’équipe est basée à Londres. Nur Alam Chowdhury est détenu sur la base de l’article 54 du Code de procédure pénale, pour lequel il peut être détenu sans mandat en raison d’activités “potentiellement suspectes”. En l’occurrence, il est suspecté de “proximité” avec son frère.
Harcelé pour avoir dénoncé les disparitions forcées
Journaliste depuis une trentaine d’années, Shamsul Alam Liton a été le porte-parole adjoint de l’ancien Président Iajuddin Ahmed entre 2003 et 2005. Il a ensuite rejoint la direction de la rédaction du Weekly Surma, un média particulièrement critique envers le gouvernement de la Première ministre Sheikh Hasina. Dans l’édition du 19 août, il dénonçait des affaires de blanchiment d’argent, notamment de la part d’officiels bangladais.
La semaine suivante, il organisait une manifestation devant la Chambre des communes à Londres pour la Journée internationale des victimes de disparition forcée au Bangladesh. Par la suite, le site Internet de Weekly Surma a connu une vague de cyberattaques et a été rendu inaccessible.
Dans le rapport d’enquête déposé contre son frère et consulté par RSF, Shamsul Alam Liton est dépeint comme un “provocateur, dirigeant d’une organisation anti-gouvernement dont les activités visent à semer le trouble au Bangladesh”. Les autorités justifient l’arrestation de Nur Alam Chowdhury en tant que “complice de son frère, qu’il a directement aidé pour diffuser de la propagande anti-gouvernementale au Bangladesh”.
Deux affaires similaires à quelques jours d’intervalle
Un peu plus tôt dans le mois, c’était le frère de Abdur Rob Bhuttow, également journaliste au Weekly Surma, qui était arrêté dans des conditions similaires. Une même unité spéciale du renseignement bangladais a interpellé Abdul Muktadir Manu à son domicile de Maulvi Bazar, dans le nord-est du pays, le 9 septembre, avant de le relâcher 12 jours plus tard. Il était également détenu sur la base de l’article 54 du Code de procédure pénale.
Correspondant spécial du Weekly Surma, Abdur Rob Bhuttow est ciblé pour ses publications hostiles à la Première ministre et les services de renseignements sur les réseaux sociaux. Au cours du mois d’août, il est apparu avec le lanceur d’alerte Hasinur Rahman dans un live Facebook. L’ancien lieutenant-colonel de l’armée bangladaise avait révélé des cas de disparitions forcées de la part de la direction des renseignements militaires.
Les pratiques de disparition forcée sont monnaie courante de la part des autorités bangladaises. En 2020, RSF avait dénoncé l’arrestation choquante et profondément cynique du journaliste Shafiqul Kajol. Un an plus tard, RSF dénonçait la recrudescence des attaques du gouvernement de Sheikh Hasina contre les journalistes bangladais établis à l’étranger.