En dépit des progrès significatifs dans ces domaines, la sécurité des journalistes et l’impunité des crimes commis contre eux restent un problème majeur pour le paysage global de la liberté des médias au Kosovo. La délégation a également noté que malgré la dépénalisation de la diffamation, des procédures-bâillons, ou SLAPP, contre les médias et les journalistes continuent de constituer une grave menace pour les médias indépendants.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 17 novembre 2022.
RSF et d’autres organisations internationales de défense de la liberté de la presse et de journalistes tirent la sonnette d’alarme : au Kosovo, en dépit des progrès significatifs accomplis par le gouvernement actuel à travers la dépolitisation du radiodiffuseur public, des organes régulateurs et du cadre législatif du paysage médiatique, un discours toxique et des campagnes de dénigrement contre les médias, le sous-financement du service public et le manque de transparence risquent de saper ces avancées.
À la suite d’une mission de deux jours à Pristina, les 15 et 16 novembre, les partenaires de la Plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe publient aujourd’hui leurs conclusions sur la liberté de la presse et la sécurité des journalistes au Kosovo.
Lors de la visite, les organisations ont rencontré des associations de journalistes, des rédacteurs en chef et des journalistes, des ministres et des fonctionnaires du gouvernement, des autorités judiciaires, la police du Kosovo, des représentants du comité parlementaire des médias, des organes régulateurs, l’Agence de l’information et de la protection de la vie privée, et le radiodiffuseur public.
Nous sommes arrivés à la conclusion que dans l’ensemble, le Kosovo continue d’entretenir un paysage médiatique dynamique et pluraliste. Des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières années à travers le renforcement du cadre législatif, en grande partie conforme aux normes européennes et internationales, et fort de solides garde-fous constitutionnels.
Parmi les développements positifs, citons la dépolitisation du radiodiffuseur public Radio-Télévision du Kosovo (RTK) par l’Assemblée du Kosovo, avec la nomination des nouveaux membres du conseil d’administration par un processus transparent et basé sur le mérite. Saluons également les premières mesures visant à une plus grande indépendance fonctionnelle de la Commission indépendante des médias (IMC), grâce à des nominations professionnelles.
Au niveau judiciaire, un nouveau plan d’action sur la priorisation des affaires concernant des journalistes est également à placer parmi les améliorations notables , à l’instar de l’extension de l’aide juridique gratuite aux journalistes et aux employés des médias. Les informations reçues par la délégation sur la formation des procureurs, juges, avocats et policiers destinés à traiter des affaires impliquant des journalistes et des médias conformément aux normes du Conseil de l’Europe ont été accueillies avec satisfaction.
Nos organisations félicitent le gouvernement du Kosovo pour ses actions concrètes d’accueil de journalistes ukrainiens en exil dans le cadre du programme des journalistes en résidence, qui s’impose comme un modèle de solidarité à suivre pour les autres pays européens.
Lors de la mission, les acteurs des médias ont témoigné d’un haut niveau de confiance dans le travail de l’Agence de l’information et de la protection de la vie privée et de son commissaire, en charge de l’établissement d’un cadre légal sur l’accès à l’information et la protection des données.
Tous les acteurs rencontrés par la délégation au cours de cette visite ont exprimé la volonté de coopérer plus étroitement avec la Plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe, afin de renforcer la responsabilité des autorités publiques et de bénéficier des meilleures pratiques internationales.
En dépit des progrès significatifs dans ces domaines, la sécurité des journalistes et l’impunité des crimes commis contre eux restent un problème majeur pour le paysage global de la liberté des médias au Kosovo. Bien que les agressions physiques soient rares, de graves menaces ont été relevées au cours de l’année dernière par l’Association des journalistes du Kosovo. La justice pénale comme civile reste lente, et les journalistes ont fait part de leur inquiétude à propos de l’absence de poursuites.
Les représentants des médias ont notamment pris bonne note de la préoccupation particulière suscitée par la rhétorique de division et les campagnes de dénigrement dirigées contre les journalistes par certains politiciens et fonctionnaires, y compris du parti au pouvoir, qui créent un climat d’hostilité croissant contre les médias. Selon ces mêmes représentants, ces attaques verbales et tentatives, par des personnalités politiques, de diviser la communauté journalistique ou de présenter certains médias comme des acteurs politiques pourraient conduire à des menaces, au harcèlement en ligne et à des violences physiques.
La sécurité de l’ensemble des journalistes couvrant le Kosovo du Nord reste une source de vive inquiétude. L’accès aux documents et à l’information en langue serbe y demeure difficile. Il faut lutter contre l’impunité qui a prévalu pour les cas de disparitions et de meurtres de journalistes entre 1998 et 2005. Alors que la délégation a pris note d’un fort engagement de la part du Parquet pour poursuivre ces enquêtes, elle n’a relevé aucun signe d’avancée significative.
En dépit de réformes positives en matière de gouvernance indépendante, le radiodiffuseur RTK souffre de l’absence de modèle financier durable. Supprimé l’année passée, le financement annuel est descendu à son niveau le plus bas depuis plusieurs dizaines d’années, ce qui compromet sa capacité à répondre aux exigences en termes de programmes et l’assurance qu’il remplit sa mission de service public. Des amendements à la loi sur la Radio-Télévision du Kosovo sont toujours, et de longue date, en attente.
Dans le domaine de la régulation des médias, la délégation a noté les vives préoccupations suscitées par la nomination prochaine, par l’Assemblée nationale, d’une partie des membres de l’IMC. Le processus des précédentes nominations et la confiance du public dans l’institution seront minés si une transparence totale n’est pas respectée.
Au cours de la mission, les représentants des médias ont exprimé leur inquiétude croissante à propos de la détérioration du climat en termes de transparence et d’accès à l’information sous le gouvernement actuel. Des journalistes ont souligné l’absence de canaux de communication avec les responsables politiques et l’impossibilité d’interroger régulièrement les ministres et le Premier ministre lors de conférences de presse. Des acteurs des médias ont également décrit une absence de volonté politique de favoriser un climat de gouvernance transparente en ce qui concerne les médias. Des appels à l’Agence de l’information et de la protection de la vie privée à propos du refus ou de l’incapacité des organes publics à fournir un accès aux documents publics ont fortement augmenté en 2022.
La délégation a également noté que malgré la dépénalisation de la diffamation, des procédures-bâillons, ou SLAPP, contre les médias et les journalistes continuent de constituer une grave menace pour les médias indépendants. Nous saluons l’engagement du ministre de la Justice à prendre des mesures pour adopter les normes internationales anti-SLAPP.
La délégation était composée de représentants d’ARTICLE 19, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), de l’Union européenne de radio-télévision (UER), du Centre européen pour la liberté de la presse et des médias, de la Fédération européenne des journalistes, de l’International Press Institute et de Reporters sans frontières (RSF).