Compte tenu de la situation sécuritaire précaire et de l’environnement de la liberté de la presse qui ne cesse de se détériorer, les journalistes maliens sont contraints d’exercer leur métier avec une extrême prudence, soucieux de ne pas se mettre dans la ligne de mire du gouvernement ou des rebelles.
Cet article a été initialement publié sur mfwa.org le 16 novembre 2022.
Ou on est avec le pouvoir, ou on s’autocensure. Tel est l’état de la liberté de la presse et d’expression au Mali sous la transition en cours.
C’est l’apte description du dilemme que vivent les journalistes et communicateurs au Mali, pays ouest africain en proie à des attaques terroristes et un climat politique délicat.
L’enlèvement le 8 avril 2020 par un groupe de terroristes du journaliste français Olivier Dubois souligne l’insécurité qui pèse sur la presse malienne. Collaborateur des journaux Le Point, Jeune Afrique et Libération, Dubois a été enlevé à Gao (Mali) et continue d’être détenu par ses ravisseurs un an et six mois après.
Compte tenu de la situation sécuritaire précaire et de l’environnement de la liberté de la presse qui ne cesse de se détériorer, les journalistes maliens sont contraints d’exercer leur métier avec une extrême prudence, soucieux de ne pas se mettre dans la ligne de mire du gouvernement ou des rebelles. Par conséquent, le pays n’a connu que trois violations de la liberté de la presse pendant le premier semestre de 2022, du fait d’une autocensure provoquée par la peur plutôt que d’un environnement favorable à la liberté de la presse.
Dans le premier incident enregistré en janvier 2022, les autorités maliennes ont annoncé de nouvelles conditions d’accréditation plus exigeantes pour les correspondants des médias étrangers qui entre dans le pays dans le cadre de leur travail.
Le 7 février 2022, la junte militaire a expulsé Benjamin Roger, un journaliste français de Jeune Afrique, moins de 24 heures après son arrivée à Bamako. Les autorités reprochaient à l’envoyé spécial de ne pas avoir obtenu l’accréditation nécessaire pour effectuer des reportages, accréditation qui était jusqu’alors rarement requise.
Le 16 mars 2022, les autorités ont suspendu les chaînes françaises France 24 et RFI. Les médias français ont été accusés de diffuser des « allégations faisant état d’exactions commises par les forces Armées Maliennes (FAMa) ».
Ces trois incidents ont valu au Mali la sixième place sur les huit pays où des incidents ont été signalés pendant le premier trimestre de 2022, selon le Rapport de suivi de liberté d’expression établi par la MFWA.
Depuis lors, la méfiance s’est installée dans le milieu de la presse au Mali où aucune violation n’a été perpétrée pendant le deuxième trimestre (avril-juin 2022).
Bien qu’aucun journaliste n’ait été poursuivi dans l’exercice de sa profession, l’autocensure est malheureusement devenue une réalité, comme l’explique Idrissa Samaké, un journaliste indépendant.
« Nous ne sommes pas directement visés, mais tous ce que nous publions sont suivis de plus près. C’est pourquoi on s’abstient de dire certaines réalités, de peur d’être interpellé, préférant donc de parler souvent des sujets comme : la montée en puissance de l’armée prônée par les autorités et craignant que certaines informations mettant en cause les Fama ne démoralisent les troupes dans leur lutte contre le terrorisme ».
Le constat est qu’aujourd’hui au Mali, la plupart de journaux jadis opposés au pouvoir ont revu leurs copies par peur de représailles des autorités.
… le pays n’a connu que trois violations de la liberté de la presse pendant le premier semestre de 2022, du fait d’une autocensure provoquée par la peur plutôt que d’un environnement favorable à la liberté de la presse.
Cette situation a été le sujet d’un éditorial sur Joliba TV le 30 septembre 2022. La chaîne déplore ce qu’elle appelle la culture de la « pensée unique ». Prenant le contre-pied des applaudissements nourris dont a bénéficié le Premier ministre malien pour son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, la chaîne, dans son éditorial présenté par Mohamed Halidou Taher, a estimé que le ton et la posture du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga étaient hostiles et peu diplomatiques.
Et comme pour confirmer la complainte de Joliba TV selon laquelle les autorités imposent aux maliens une culture de la pensée unique, le régulateur des médias du pays a pris à partie l’organe de presse pour cet éditorial provocateur. Le 12 octobre 2022, la Haute Autorité de la Communication (HAC), a adressé une lettre à la chaîne de télévision l’accusant de tenir des propos diffamatoires et de porter des accusations sans fondement à son encontre (la HAC), contre l’état de la liberté d’expression au Mali et le gouvernement de transition.
La HAC estime que l’émission « Editorial » de Joliba TV comportait des « allégations infondées et des passages diffamatoires. A ce titre, il viole l’éthique et la déontologie du métier de journalisme ». L’organe de régulation s’est référé à l’article 2 de la Loi n° 2012-019 du 12 mars 2012 relative aux services privés de communication audiovisuelle.
En indiquant ce qui a constitué l’offense à son égard, la HAC déclare que le programme animé par le journaliste Mohamed Halidou ATTAHER, l’enjoint de jouer « son rôle pour faire face aux multiples dérives sur les réseaux sociaux » et « qu’il y a des moments où le silence est trahison ».
« Le programme fait souvent usage d’expressions à forte connotation péjorative en parlant de l’action des autorités de la Transition », selon la HAC qui a convoqué le présentateur pour répondre aux accusations.
L’interpellation de la HAC a suscité de vives réactions de la part des organisations professionnelles de la presse au Mali qui n’ont pas manquer de la condamner et d’exprimer leur soutien à la chaine de télévision.
Cette réalité dans laquelle la liberté de la presse peine à s’épanouir n’est point surprenant lorsque, de mémoire, on se rappelle d’un certain décret introduit en 2020. En effet, lors d’un Conseil des ministres tenu le 18 décembre 2020, les autorités militaires du Mali ont entériné un décret qui déclare : « les autorités administratives compétentes sont habilitées à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature, des réseaux sociaux, ainsi que celui des émissions radiophoniques ou télévisées, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ».
La mesure a été prise sous le prétexte de l’insécurité et de l’expansion exceptionnelle de la maladie à coronavirus dans plusieurs zones urbaines du Mali.
Liberté d’expression
Alors que les professionnels de la presse ont préféré se murer dans le silence pour échapper au courroux des autorités, les activistes et autres citoyens audacieux qui ose exercer leur droit à la liberté d’expression n’y ont point échappé. L’activiste Abdoul Niang a été arrêté le jeudi 5 août 2021 et placé sous mandat de dépôt dans le cadre de l’enquête portant sur la disparition en 2016 d’un journaliste malien, Birama Touré.
Issa N’Kaou Djim, 3ème vice-président du conseil national de transition (CNT) a été emprisonné, puis, radié du CNT après avoir critiqué le premier ministre Choguel Kokalla Maiga.
Il en est de même pour Oumar Mariko, président du parti d’opposition Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (SADI) qui a une fois été interpellé en décembre 2021 pour « propos injurieux » contre le Premier ministre Choguel Maïga.
L’opposant politique Mariko a fait l’objet d’une nouvelle procédure en avril 2022 après avoir accusé l’armée d’exactions à l’occasion d’une réunion politique. Une affaire qui l’a poussé à faire profil bas après que des représentants des forces maliennes de sécurité se sont présentés à son domicile pour l’arrêter. Les forces de sécurité n’ont pas trouvé le politicien à son domicile, mais ont installé un dispositif de sécurité et confisqué les téléphones portables des membres de sa famille.
Ces faits suggèrent clairement que la liberté d’expression et d’opinion sont en péril au Mali sous l’égide de la junte militaire. Ceci est sans omettre le fait que le fameux décret introduit en 2020 par les autorités permet aux autorités administratives compétentes de réglementer ou d’interdire à titre général ou particulier, tous cortèges, défilés, rassemblements et manifestations sur la voie publique.
Les autorités militaires justifient cette mesure draconienne au terme de l’article 13 de la loi N° 2017- 055 du 06 novembre 2017 relative à l’état de siège et à l’état d’urgence.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est profondément préoccupée par l’état de la liberté d’expression et de la presse au Mali, et appelle les autorités à adopter une posture plus tolérante et conciliatrice envers la presse et les voix divergentes. Nous appelons également le gouvernement de transition de permettre à tous les maliens de s’exprimer sans aucune crainte sur les sujets d’intérêt national afin de réussir une transition inclusive.
Enfin, la MFWA exhorte les médias au professionnalisme en tout temps.