"La Haute Cour doit annuler l'intégralité de la première décision limitant le travail des journalistes d'amaBhungane et compromettant la protection de leurs sources." - RSF
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 9 juin 2023.
Le média d’investigation amaBhungane est sommé de cesser ses enquêtes sur une compagnie privée à la suite d’une ordonnance judiciaire. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une tentative de musellement et demande l’annulation intégrale de la décision de la Haute Cour.
C’est une véritable bataille judiciaire que mène la compagnie Moti contre amaBhungane. Dans une lettre datée du 12 avril 2023 adressée au média d’investigation en ligne, le conglomérat de sociétés spécialisé dans l’exploitation minière, lui reproche d’avoir utilisé des documents obtenus illégalement pour publier des articles sur lui. Les enquêtes révèlent des conflits d’intérêts entre la compagnie et l’administration du président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa dans le but de promouvoir ses intérêts miniers. Le média d’investigation déclare avoir eu accès aux documents par ses propres moyens.
Le 1er juin, après avoir intenté une procédure d’ordonnance d’urgence auprès de la Haute Cour de Johannesburg afin de récupérer les documents incriminés, un juge a sommé les journalistes d’en restituer une grande partie. Après un recours déposé par amaBhungane, la Haute Cour a tranché le 3 juin : le média peut conserver ses documents, mais n’a plus le droit d’en faire usage pour ses prochaines publications.
La Haute Cour doit annuler l’intégralité de la première décision limitant le travail des journalistes d’amaBhungane et compromettant la protection de leurs sources. RSF est outrée par l’injustice que subit ce média d’investigation d’intérêt public et dont le sérieux et le professionnalisme sont indéniables. La justice doit respecter la liberté des choix éditoriaux et celle de révéler des informations d’utilité publique.
Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Lors du recours, le nouveau juge de la Haute Cour mobilisé sur l’affaire, a avoué “ne pas comprendre comment cette ordonnance avait pu être accordée” au groupe Moti. AmaBhungane a introduit une dernière demande de réexamen de l’affaire, qui doit avoir lieu dans les prochaines semaines.
Le groupe Moti n’a, jusqu’à présent, ni intenté d’action devant le médiateur de la presse ni porté plainte. Il a, en revanche, lancé une vaste campagne de relations publiques, via des vidéos TikTok visant à discréditer amaBhungane et l’achat de contenus payants dans les médias pour renforcer l’image de la compagnie. Dans un communiqué de presse publié le 4 juin, Zunaid Moti, directeur général de Moti jusqu’à sa démission en mars 2023, estime que le différend juridique entre les deux parties n’a rien à voir avec un “bâillonnement” des médias, mais “qu’il s’agit plutôt d’empêcher les journalistes de rendre compte d’informations volées”. Dondo Mogajane, le nouveau directeur général du groupe, accuse amaBhungane de « publier une série de rapports très déformés, inexacts et diffamatoires ».
AmaBhungane est un média d’investigation qui a fait ses preuves à plusieurs reprises en Afrique du Sud. Ses journalistes ont contribué à révéler des affaires de corruption d’ampleur impliquant l’entourage et l’administration de l’ancien président Jacob Zuma en 2017, en s’appuyant sur plus de 200 000 documents obtenus grâce à la cache de courriers “Gupta Leaks”, trouvés sur un serveur d’entreprise désaffecté.
L’Afrique du Sud occupe la 25e place du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.