Novembre 2023 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Novembre, mois réservé à la commémoration de la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes (IDEI), a été un mois de revers tragiques mais qui s’est terminé sur une bonne note.
La décision historique d’un tribunal allemand de condamner Bai Lowe pour son rôle dans le meurtre du journaliste gambien Deyda Hydara, survenu il y a près de deux décennies, rappelle que le chemin de la justice peut être long. Lowe, un ancien membre des Junglers – le tristement célèbre escadron de la mort qui a tué et torturé des personnes sous l’ancien dictateur Yahya Jammeh – a été condamné à la prison à vie par un tribunal régional de Celle, en Allemagne.
[ Traduction : DÉCLARATION : Nous saluons le verdict d’un tribunal allemand et la condamnation de Bai Lowe, un ancien membre de l’escadron de la mort sous l’ex-dictateur Yahya Jammeh, à la prison à vie pour son rôle dans le meurtre du journaliste Deyda Hydara. En savoir plus ici : ]
Arrêté en 2021, Lowe a été jugé en Allemagne car, comme l’explique Human Rights Watch: « les lois du pays reconnaissent la compétence universelle pour certains crimes graves contre le droit international, permettant d’enquêter et de poursuivre ces crimes, quel que soit l’endroit où ils ont été commis, et indépendamment de la nationalité des suspects ou des victimes ».
Le régime tyrannique de Jammeh en Gambie pendant plus de deux décennies a été marqué par de graves violations des droits humains et de la liberté d’expression allant des menaces, des arrestations et détentions arbitraires aux exécutions extrajudiciaires, en passant par la torture et les disparitions forcées. Lors des audiences de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations, il a été révélé qu’« au cours des 22 années, il y a eu 140 arrestations et 15 fermetures arbitraires de médias », ce qui a contraint un grand nombre de journalistes à l’exil. Beaucoup de ces violations ont été systématiquement documentées par la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest.
Durant cette période sombre, deux questions cruciales se posent : qui a tué Deyda Hydara et où est Ebrima Manneh ? Ces deux questions ont guidé la stratégie de plaidoyer de la Gambia Press Union et de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA). Leur travail a abouti à des décisions historiques dans les affaires Manneh, Hydara et Musa Saidykhan par la Cour de justice communautaire (CCJ), hébergée au sein de l’organe régional de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Lourde sanction pour un reportage sur la corruption
Le journaliste togolais persécuté de longue date Ferdinand Ayité a reçu à juste titre le Prix international de la liberté de la presse 2023 du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Il lui a été remis par l’auteur nigérian-américain Uzodinma Iweala lors d’une cérémonie à New York au début du mois.
[ Traduction : Ce soir, CPJ célèbre Ferdinand Ayité @Ferdi_Ayi, lauréat du Prix international de la liberté de la presse 2023, directeur de L’Alternative, l’un des principaux médias d’investigation du Togo, connu pour sa couverture courageuse des allégations de corruption. Ayité a subi un harcèlement juridique persistant et…
L’auteur nigérian-américain Uzodinma Iweala remet le Prix international #PressFreedom 2023 du CPJ au journaliste togolais Ferdinand Ayité @Ferdi_Ayi, directeur de L’Alternative. En savoir plus sur Ayité:
#IPFA2023 #IPFA #PressFreedom #Togo ]
Ayité et le journal dont il est directeur – L’Alternative – sont dans la ligne de mire du gouvernement togolais depuis des décennies. Le penchant d’Ayité pour les reportages d’investigation critiques et la réputation de L’Alternative pour sa couverture incisive de la corruption ont entraîné des sanctions administratives, des procédures judiciaires et une surveillance. Au fil des années, Ayité a dû faire face à des menaces, des intimidations et des attaques judiciaires sous la forme d’arrestations arbitraires, de détentions, d’accusations forgées de toutes pièces et d’emprisonnements. Son numéro de téléphone est également apparu sur la liste des cibles potentielles de surveillance des logiciels espions, révélée lors de la fuite du Projet Pegasus.
Plus tôt ce mois-ci, Ayité et son collègue journaliste Isidore Kouwonou ont été reconnu coupables et condamnés à trois ans de prison et à une amende de 3 millions de francs CFA (environ 5 000 dollars). Ils ont fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux après avoir été condamnés par contumace « pour outrage à l’autorité » et « diffusion de commentaires mensongers sur les réseaux sociaux ».
Comme l’explique Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de Reporters sans frontières, « Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou étaient contraints de fuir leur pays pour des raisons de sécurité, après avoir été arrêtés, intimidés et espionnés à plusieurs reprises par les autorités, et maintenant ils ont été condamnés à des peines de prison. »
Les accusations remontent à 2021 lorsque Ayité et feu Joel Egah, rédacteur en chef du journal Fraternité, basé à Lomé, ont été emprisonnés pour « insulte à l’autorité » et « diffamation ». Ils avaient évoqué des allégations de corruption impliquant deux ministres « dans L’Autre Journal, une émission d’actualité diffusée sur la chaîne YouTube de L’Alternative […]. Le présentateur de l’émission, Isidore Kouwonou, a également été interrogé mais vient d’être placé sous contrôle judiciaire ».
Des risques mortels pour les journalistes de la région du Sahel
L’hommage d’Ayité aux journalistes africains de la région du Sahel est une reconnaissance des menaces auxquelles sont confrontés les médias. L’attaque du 7 novembre contre quatre journalistes se rendant à un atelier d’Ansongo à Gao par des hommes armés non identifiés dans le nord du Mali est révélatrice de ce risque.
MFWA rapporte que « la violente embuscade a entraîné la mort d’Abdoul Aziz Djibrilla de Radio Naata, tandis que Harouna Attini, animatrice de Radio Alafia, a été blessée et ses collègues Saleck Ag Jiddou, directeur de Radio Coton, et l’animateur de radio Moustapha Koné, ont été emmenés en otage. »
[ Traduction : #Mali Assassiné le 7 novembre, le journaliste Abdoul Aziz Djibrilla était un soldat infatigable dans la lutte pour l’information dans une région dangereuse. RSF revient sur sa vie et appelle les autorités à ne pas ignorer son assassinat et à retrouver ses deux collègues enlevés. ]
Un rapport de RSF apporte des preuves empiriques de ces conditions périlleuses : « être journaliste au Sahel, c’est subir la présence croissante de groupes armés radicaux qui n’hésitent pas à tuer ou à kidnapper les journalistes et à les utiliser comme monnaie d’échange. Cela signifie savoir comment faire face aux nouveaux gouvernements militaires qui, après avoir pris le pouvoir par des coups d’État, imposent leur propre conception du journalisme et émettent des « directives patriotiques ».
Militarisation de l’information au Burkina Faso
Une nouvelle loi adoptée au Burkina Faso transforme l’autorité de régulation des médias du pays – le Conseil supérieur de la communication (CSC) – d’une manière et d’une forme qui ont un impact profond et négatif sur les médias.
[ Traduction : « Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative de transition le 21 novembre, la loi réorganise le fonctionnement du CSC et marque une nouvelle étape vers l’information « patriotique » recherchée par le capitaine Ibrahim Traoré, président de la junte militaire du Burkina Faso. ]
Assassiné le 7 novembre, le journaliste Abdoul Aziz Djibrilla était un infatigable soldat dans la lutte pour l’information dans une région dangereuse. RSF revient sur sa vie et appelle les autorités à ne pas ignorer son assassinat et à retrouver ses deux collègues kidnappés.
En plus d’accorder au chef de l’État le pouvoir de nommer le chef du CSC, elle permet également au régulateur de surveiller les comptes de médias sociaux et, comme le rapporte MFWA, « de saisir des équipements et de fermer les entreprises de médias, tandis que l’article (63), permet au régulateur d’ordonner la suspension des activités de diffusion et de retirer temporairement ou définitivement les cartes de presse ».
Le déclin démocratique dans le pays est renforcé par des actions supplémentaires de la junte, qui enrôle de force des journalistes et des opposants dans l’armée. Selon un suivi de la MFWA, Issaka Lingani (régulièrement présent dans l’émission politique de BF1 TV « Presse Echos ») et Yacouba Ladji Bama (journaliste d’investigation et rédacteur-fondateur du site d’information en ligne Bam Yinga) ont été convoqués dans un camp militaire pour être formés et déployés dans les opérations antiterroristes contre les rebelles djihadistes. Bama et Yinga ont répondu en s’associant à un blogueur et un activiste – Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo – et en déposant un recours contestant la réquisition. Le tribunal administratif de Ouagadougou a rejeté la requête.
Les messages de la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité se concentrent sur les exigences de sécurité et de justice
Un thème récurrent des messages publiés à l’occasion de l’IDEI par des membres de l’IFEX cette année était axé sur la redevabilité pour les crimes commis contre les journalistes et sur des appels renouvelés pour un environnement plus sûr.
- Media Rights Agenda (MRA) s’est dit préoccupé par le fait que : « … malgré les cas nombreux et récurrents d’attaques contre des journalistes au Nigeria, avec au moins 19 journalistes tués au fil des ans, personne n’a jamais été inculpé d’un crime pour de telles attaques ou puni pour de telles infractions,… »
- Le Centre international de presse (IPC) de Lagos-Nigeria a soutenu la demande du MRA, demandant « des enquêtes urgentes mais approfondies sur les cas documentés de crimes contre des journalistes afin que les auteurs puissent être contraints à rendre des comptes ».
- Le Syndicat de la presse gambienne (GPU) a insisté sur le fait que « l’incapacité à traduire en justice les auteurs de crimes contre les journalistes gambiens a contribué à entretenir un cycle de violence contre les journalistes pendant 29 ans ».
- L’Institut des Médias d’Afrique Australe (MISA) a rappelé le meurtre de Joki au Lesotho et a souligné que même si plusieurs personnes ont été arrêtées pour ce crime, « …. certains journalistes ont continué à recevoir des menaces en ligne les menaçant de subir le même sort » que le journaliste assassiné.
- Association for Media Development In South Sudan (AMDISS) a réitéré son « appel au gouvernement de transition d’unité nationale à ouvrir des enquêtes sur les meurtres de journalistes dans le pays depuis le déclenchement de la guerre civile en 2013 ».
- MFWA a exhorté les médias à abandonner leur inertie concernant la question de la sécurité des journalistes, qui s’est manifestée par leur incapacité à assurer le suivi des violations afin d’assurer les poursuites envers les auteurs d’attaques contre les journalistes.
- Le Réseau des journalistes des droits de l’homme d’Ouganda a souligné « le rôle indispensable des dirigeants publics dans la sauvegarde de la liberté de la presse et la protection des journalistes. Les dirigeants ont la responsabilité de favoriser un environnement dans lequel les journalistes peuvent opérer sans crainte, ni coercition ou violence. »
En bref
L’arrestation du journaliste du groupe de presse Walfadjri, Pape Sané, pour des accusations de fausses informations, est un autre exemple de la répression menée par le Sénégal contre le journalisme critique. L’arrestation concerne la page Facebook de Sané, où il évoquait le remplacement du haut commandant de la gendarmerie. S’il est reconnu coupable de diffusion de fausses nouvelles, Sané risque jusqu’à trois ans de prison et une amende en vertu du code pénal sénégalais.
Au Togo, le reportage sur le vol de 400 millions FCFA (un peu plus de 600 000 dollars) au domicile du ministre du logement a valu aux journalistes Loïc Lawson et Anani Sossou un séjour arbitraire en prison.
Alagie Bora Sisawo, co-animateur d’une émission sur la culture et la société sur Kerr Fatou, a reçu 500 000 Dalasi (8 168 dollars US) de dommages et intérêts, après que la Haute Cour de Gambie a jugé que ses droits avaient été violés par la police. « Le tribunal a estimé que la détention de Sissawo par la police du 4 au 10 octobre était illégale et constituait une violation de ses droits fondamentaux. »
Le journaliste Nicholas Morkah a été agressé et arrêté par des soldats au Ghana pour avoir filmé la saisie d’un véhicule dépourvu de documents officiels, au cours de laquelle la police a affronté la population. « MFWA exige que la police enquête sur cette affaire et traduise les auteurs en justice. »