Les interdictions imposées par les autorités sportives françaises sont discriminatoires et elles empêchent les athlètes musulmanes qui décident de porter un couvre-chef sportif d’exercer leur droit humain de pratiquer un sport sans avoir à subir quelque sorte de discrimination que ce soit.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 11 juin 2024.
Monsieur Bach,
En amont des Jeux olympiques et paralympiques d’été de Paris 2024, nous, organisations soussignées, nous adressons à vous pour demander au Comité international olympique (CIO) d’appeler publiquement les autorités sportives françaises à annuler toutes les interdictions faites aux athlètes de porter un couvre-chef sportif [1] dans le sport français, dans le cadre des Jeux de Paris 2024 mais également dans tout autre contexte et à tout niveau de pratique sportive. Cette discrimination exercée par la France contre les femmes et les filles qui portent un couvre-chef sportif est particulièrement inquiétante alors même que le CIO se réjouit du fait que les Jeux de Paris 2024 seront les premiers à afficher « une stricte parité entre les femmes et les hommes ».
En France, les femmes et les filles qui portent un couvre-chef sportif se sont vu, et se voient toujours, interdire la pratique de nombreux sports, parmi lesquels le football, le basketball, le judo, la boxe [2], le volleyball et le badminton, y compris dans certains cas dans le cadre d’une pratique junior ou amateur. L’interdiction du port d’un couvre-chef dans la pratique sportive a eu des répercussions pour de nombreuses athlètes de confession musulmane, qui ont été discriminées, invisibilisées, exclues et humiliées. Elles ont subi un traumatisme et une exclusion sociale. Certaines ont quitté le pays ou ont envisagé de le faire afin de trouver des opportunités de pratiquer leur sport ailleurs.
Les interdictions imposées par les autorités sportives françaises sont discriminatoires et elles empêchent les athlètes musulmanes qui décident de porter un couvre-chef sportif d’exercer leur droit humain de pratiquer un sport sans avoir à subir quelque sorte de discrimination que ce soit. Ces interdictions ont pour conséquence d’empêcher toute qualification des femmes et des filles musulmanes portant un couvre-chef sportif aux Jeux olympiques et paralympiques. En effet, en raison de ces interdictions, elles n’ont pas la possibilité de s’entraîner comme il se doit et elles n’ont pas accès aux compétitions qui leur permettraient ne serait-ce que d’atteindre le niveau olympique. Par ailleurs, ces interdictions ont pour effet de renforcer le climat de discrimination systémique, d’islamophobie et de discrimination au motif de la religion auxquelles les athlètes musulmanes sont déjà confrontées avant, pendant et après les Jeux olympiques et paralympiques.
En adoptant l’interdiction du port d’un couvre-chef sportif qui concerne les femmes et les filles musulmanes, la France, pays hôte des Jeux olympiques et paralympiques, contrevient à plusieurs de ses obligations en vertu des traités du droit international relatif aux droits humains auxquels elle est partie. Ces interdictions sont également contraires aux obligations en matière de droits humains auxquelles doivent se conformer les pays hôtes et au Cadre stratégique du CIO relatif aux droits humains, ainsi qu’aux principes fondamentaux de l’olympisme.
En septembre 2023, le CIO a déclaré publiquement que les restrictions imposées aux athlètes françaises de confession musulmane lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris annoncées par la ministre des Sports française en septembre 2023 ne s’appliqueront pas aux athlètes représentant d’autres nations dans le village olympique. Cette position est insuffisante car elle ne remet pas en cause l’interdiction discriminatoire imposée par la France et elle ne remédie pas à cette pratique qui porte préjudice aux athlètes portant un couvre-chef sportif.
Nous trouvons également préoccupant que Basket Pour Toutes et d’autres femmes musulmanes et leurs soutiens se voient refuser toute possibilité d’être entendues par la Fédération française de basketball (FFBB) et d’autres instances sportives en ce qui concerne les répercussions de ces interdictions. Pour garantir que leurs politiques n’aient pas pour effet d’exclure des groupes de femmes et de filles de la pratique sportive, qu’elles soient exemptes de toute forme de racisme et de discrimination fondée sur le genre et qu’elles respectent la liberté de religion ou de conviction et le droit de participer à la vie culturelle, les autorités sportives nationales et internationales doivent dialoguer avec les personnes concernées.
Dès lors, nous appelons le CIO, en tant qu’instance dirigeante du Mouvement olympique, à user de son influence considérable en amont des Jeux de Paris 2024 afin d’appeler publiquement les autorités sportives françaises à annuler toutes les interdictions imposées aux athlètes portant un couvre-chef sportif en France, à tous les niveaux de pratique sportive. En menant cette initiative essentielle, le CIO ferait de ces Jeux olympiques et paralympiques une référence en matière d’égalité des genres en France en assurant le respect et la protection du droit de toutes les femmes et les filles de ne pas subir de discrimination et en garantissant leur droit de pratiquer une activité sportive.
Nous profitons également de ce courrier pour vous informer que nous avons l’intention de communiquer publiquement à une date ultérieure autour du contenu de cette lettre. Nous restons à votre disposition pour toute information complémentaire. Vous pouvez nous contacter par courriel.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à cette demande urgente de la plus haute importance et nous attendons avec grand intérêt de connaitre les mesures que vous prendrez par rapport à cette interdiction très préoccupante en raison de son caractère discriminatoire envers les femmes et les filles athlètes qui portent un couvre-chef sportif en France.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur Bach, l’expression de notre considération distinguée,
Basket Pour Toutes
Athlete Ally
La Sport & Rights Alliance
Amnesty International
Le Comité pour la protection des journalistes
Human Rights Watch
Transparency International Allemagne
World Players Association
Contexte
Le principe fondamental n°4 de la Charte olympique du CIO établit que « [L]a pratique du sport est un droit de l’homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de pratiquer un sport sans discrimination d’aucune sorte, au regard des droits humains reconnus au plan international dans le cadre des attributions du Mouvement olympique ». Le principe n°6 dispose expressément : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte olympique doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le Contrat hôte olympique prévoit une condition selon laquelle le pays hôte doit « protéger et respecter les droits de l’homme et veiller à ce qu’il soit remédié à toute violation des droits de l’homme, d’une manière conforme aux accords internationaux, lois et règlements applicables dans le Pays hôte et conforme à toutes les normes et à tous les principes reconnus au niveau international, y compris les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, applicables dans le Pays hôte ». En outre, l’égalité et la non-discrimination sont l’un des cinq domaines d’intervention du cadre stratégique du CIO relatif aux droits humains. Ces obligations s’appliquent aux Jeux olympiques et paralympiques à compter de 2024.
L’interdiction du port d’un couvre-chef religieux dans les espaces publics bafoue plusieurs droits des femmes musulmanes consacrés par des lois et des normes internationales relatives aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), que la France a ratifiés. La France est par ailleurs tenue, en vertu du droit international relatif aux droits humains, et en particulier de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de lutter contre les stéréotypes de genre. À ce titre, la France est tenue de prendre des mesures visant à mettre fin aux stéréotypes négatifs relatifs aux femmes et aux hommes ou à des groupes spécifiques de femmes, et de promouvoir les valeurs de l’égalité des genres et de la non-discrimination.
En tant qu’État partie à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la France a en outre l’obligation, en ce qui concerne l’islamophobie, de « [s’engager] à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation », « à ne pas encourager, défendre ou appuyer la discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque » et à « prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe ».
Aux termes du droit international, la neutralité de l’État et la laïcité ne sont pas des motifs légitimes d’imposition de restrictions des droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction, y compris sous la forme d’interdictions générales des symboles religieux et culturels. Toute restriction doit être justifiée par des faits qui peuvent être démontrés, et non par des présomptions, des hypothèses ou des préjugés. En octobre 2023, six expert·es en matière de droits humains des Nations unies ont écrit aux autorités françaises pour faire part de leur préoccupation quant au fait que cette interdiction enfreint le droit des femmes et des filles musulmanes « de participer à la vie sportive » et peut « alimenter l’intolérance et la discrimination à leur égard » ; dans un contexte plus large de discrimination systémique d’islamophobie en France amplement documenté par des universitaires et des ONG.
Dans une lettre ouverte publiée le 8 mars 2024, plus de 80 athlètes, dont Diaba Konaté, ancienne membre de l’équipe de France Jeunes, Ibitihaj Muhammad, médaillée olympique, et les stars de la WNBA Layshia Clarendon et Breanna Stewart, ont exhorté la Fédération française de basketball (FFBB) et la Fédération internationale de basketball (FIBA) à annuler sans délai l’interdiction du couvre-chef sportif prononcée par la FFBB, conformément aux réglementations de la FIBA en vigueur. Les partenaires de la Sport & Rights Alliance ont soutenu publiquement les demandes des athlètes. La FFBB et la FIBA n’ont pas répondu à ce courrier.
Copie à :
Andrew George William Parsons, président, Comité international paralympique
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme
Alexandra Xanthaki, rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels
Reem Alsalem, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes
Tania Maria Abdo Rocholl, présidente du Comité des droits de l’homme des Nations unies
[1] Dans ce courrier, « couvre-chef sportif » correspond à un équipement absolument sûr et adapté à la pratique sportive, également nommé « couvre-chef sportif homologué ».
[2] Les réglementations ne mentionnent pas spécifiquement d’interdictions mais d’après les informations dont disposent les organisations, elles existent en pratique car seuls les vêtements précisés dans les règles sont autorisés.