La situation de Kingsley Njoka, détenu provisoirement pendant quatre ans en toute illégalité avant d’être condamné arbitrairement, est révélatrice du sort réservé aux journalistes qui traitent du conflit anglophone.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 1 octobre 2024.
À peine un mois après la condamnation à 20 ans de prison du journaliste Amadou Vamoulké, le reporter indépendant Kingsley Fumunyuy Njoka, en détention provisoire depuis plus de quatre ans, vient d’être condamné à dix ans de prison pour “sécession et complicité de bande armée”. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette condamnation pour des charges grotesques, témoignant de la difficulté pour les journalistes d’aborder la crise dans les régions anglophones du Cameroun.
Nouvelle attaque contre la liberté de la presse au Cameroun. Le 24 septembre, le journaliste indépendant Kingsley Fumunyuy Njoka a été condamné à dix ans de prison par le tribunal militaire de Yaoundé pour “sécession et complicité de bande armée”. En cause ? Des publications critiques datant de 2020 sur le conflit armé qui sévit au nord-ouest du pays.
Arrêté, sans mandat d’arrêt, à son domicile de Douala, la capitale économique du pays, par trois membres de la brigade de recherche de Bonabéri le 15 mai 2020, il était en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé depuis. Il réalisait alors régulièrement des reportages et tenait des positions critiques, notamment pour le média anglophone Canal 2 English, sur la crise anglophone au Cameroun – conflit armé dans l’ouest du pays opposant militaires et séparatistes armés et ayant fait plus de 6 000 morts depuis 2017.
Contacté par RSF, l’un de ses avocats, Amungwa Tanyi Nicodemus, ancien journaliste ayant travaillé avec Kingsley Njoka, a déploré un “procès inéquitable, en violation des lois camerounaises et du droit international”, soulignant que “le délai de détention sans jugement, de 18 mois au maximum dans ce genre de cas, n’a pas du tout été respecté”. Il a fait appel de cette condamnation le 27 septembre.
“Avec cette seconde condamnation de journaliste à de la prison ferme – après celle d’Amadou Vamoulké – en moins d’un mois, le Cameroun s’enfonce encore un peu plus dans la répression de la liberté d’informer, déjà amorcée depuis quelques années. La situation de Kingsley Njoka, détenu provisoirement pendant quatre ans en toute illégalité avant d’être condamné arbitrairement, est révélatrice du sort réservé aux journalistes qui traitent du conflit anglophone. Cette situation n’est pas sans rappeler celle de son confrère Samuel Wazizi, lui aussi arrêté pour sa couverture de la crise, et mort en détention en 2019. La condamnation inique de Kingsley Njoka sur des charges sans fondement doit être annulée et le journaliste doit être libéré immédiatement.”
Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
À peine un mois plus tôt, l’ancien directeur général de la Radiotélévision publique camerounaise (CRTV), Amadou Vamoulké, a été condamné à 20 ans de prison pour “détournement de fonds publics”, après 178 renvois successifs. En décembre 2022, et après plus de sept ans de détention préventive, le journaliste avait déjà été condamné à 12 ans de détention pour une affaire similaire. Il devra donc purger une peine de prison de 32 ans au total. Une procédure inique pour ce journaliste reconnu pour son professionnalisme et son intégrité.
Le journaliste anglophone Samuel Wazizi a lui aussi été arrêté et accusé de complicité avec les sécessionnistes, en 2019. Il est mort en détention dans des conditions troubles. Selon la version officielle, qui n’a été donnée que dix mois plus tard, le journaliste serait mort des suites d’une maladie, quinze jours seulement après son arrestation, et ce alors qu’il était en parfaite santé. Une version difficile à croire.
Cela porte à quatre le nombre de journalistes condamnés à ce jour au Cameroun, avec Dimitri Wassouom Tchatchoua, condamné à 2 ans de prison en avril 2023 pour “publication de fausses informations” par voie électronique, et Thomas Awah Junior, correspondant dans la région nord-ouest pour la chaîne Afrik 2 Radio, condamné en 2018 à 11 ans de prison pour de multiples chefs d’accusation, dont “sécession”, ”insurrection” et “diffusion de fausses informations”.
Le Cameroun occupe la 130e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024.