Septembre 2024 en Afrique : tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique, réalisé à partir des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Hommage à une journaliste
Samira Sabou, éminente journaliste d’investigation et présidente de l’Association des blogueurs du Niger, n’est pas inconnue au registre des arrestations, des agressions, des menaces de mort et des persécutions judiciaires prolongées. Cette année, elle est l’une des quatre femmes journalistes qui seront honorées par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) avec un Prix international de la liberté de la presse 2024.
Samira Sabou a été arrêtée à plusieurs reprises, le cas le plus grave remontant au 10 juin 2020 suite à une plainte en diffamation déposée par Sani Mahamadou Issoufou, le fils du président du Niger, qui occupait également le poste de chef d’état-major adjoint du pays à l’époque. Son arrestation a eu lieu peu de temps après qu’elle ait publié un post sur Facebook concernant un détournement de fonds au ministère de la Défense. Bien qu’elle n’ait nommé personne dans son post, elle a été accusée de « diffamation par voie de communication électronique », non seulement pour son message mais aussi pour un commentaire fait sur le message par un internaute.
[Traduction : Aujourd’hui, le CPJ a annoncé que la journaliste nigérienne Samira Sabou est la lauréate d’un de ses Prix internationaux de la liberté de la presse 2024.
@samirasabou est l’une des plus éminentes journalistes d’investigation du #Niger, et elle est honorée cette année aux côtés d’autres journalistes qui couvrent Gaza, le Guatemala et la Russie. Pour en savoir plus sur les prix et l’événement de cette année, qui se tiendra le jeudi 21 novembre 2024, cliquez ici : ]
L’incident le plus récent contre Samira Sabou a eu lieu en octobre 2023, lorsqu’elle a été interpellée à son domicile par des hommes en civil. Les pressions exercées par les organisations de défense des droits humains pour savoir où elle se trouvait ont peut-être incité la police judiciaire, qui avait initialement nié toute implication, à informer l’avocat de Sabou qu’elle était en garde à vue. Elle a finalement été libérée le 11 octobre.
Face à de telles menaces, Samira Sabou explique que sa force vient du fait d’être en phase avec sa conscience.
« Parfois, nous évitons de faire certaines analyses pour ne pas attirer la malveillance de certains acteurs des réseaux sociaux. Parfois, nous avons envie d’abandonner. Mais la volonté de faire éclater la vérité, d’améliorer et de corriger certains dysfonctionnements est plus forte, quitte à s’exposer à de gros risques. »
Harcèlement judiciaire contre les journalistes, les militants et les influenceurs au Cameroun
Le Cameroun subit un nouveau coup à sa réputation déjà malmenée en matière de liberté de la presse avec la condamnation à de lourdes peines de prison prononcées contre deux journalistes au cours des deux derniers mois.
Le 28 août, Amadou Vamoulké, ancien directeur général de la radiotélévision publique du Cameroun (CRTV), a été condamné à 20 ans de prison supplémentaires pour détournement de fonds publics par le Tribunal criminel spécial de Yaoundé. Cette peine, combinée à sa précédente condamnation en décembre 2022, où il avait été condamné à 12 ans de prison et à une amende de 47 millions de FCFA (environ 76 000 dollars américains), porte désormais sa peine à 32 ans.
Son long et pénible combat judiciaire remonte par son « arrestation en 2016 pour détournement présumé de fonds et sa comparution devant les tribunaux à plus de 140 reprises avant d’être condamné à 12 ans de prison en 2022 ».
Des collègues et amis qui se portent garants de son intégrité estiment que sa persécution pourrait être liée à son indépendance à la tête de la CRTV.
Dans une tribune au Journal du Cameroun.com, l’avocat camerounais Akere Muna, qui est également membre du Panel de haut niveau de l’Union africaine sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, a déclaré : « Cette affaire reste un mystère pour moi. Il était initialement accusé d’avoir détourné 16 milliards de francs CFA, qui ont étonnamment été réduits à seulement 2 milliards dans le jugement. Ce montant représente en réalité des dettes impayées dues à la CRTV, remontant à son prédécesseur ! Le comptable de la société, suivant la pratique courante, a classé ces factures impayées comme des créances irrécouvrables – rien à voir avec Vamoulke ! » « Je connais personnellement Amadou ; en rejoignant la CRTV, il a réduit son salaire et ses avantages sociaux et a considérablement réduit les aides financières versées aux membres du conseil d’administration. Son ancien collègue, Alain Massé, directeur de RFI, l’a qualifié de « Monsieur Propre des médias publics », soulignant qu’il optait pour des hôtels deux étoiles alors que d’autres séjournaient dans des hébergements de luxe », a-t-il expliqué.
Au cours des derniers mois, les autorités camerounaises ont encore resserré leur emprise sur les médias, les voix critiques et les commentateurs qui se concentrent sur la crise de la région anglophone.
Moins d’un mois après la deuxième condamnation de Vamoulké, le journaliste indépendant Kingsley Fumunyuy Njoka, a été condamné à dix ans de prison par le tribunal militaire de Yaoundé pour « sécession et complicité avec des bandes armées ». Son arrestation peut être liée à ses reportages critiques sur la gestion du conflit armé par les autorités dans les zones anglophones du nord-ouest du pays.
[Traduction : #Cameroon : le journaliste Kingsley Fumunyuy Njoka, en détention provisoire depuis plus de 4 ans, a été condamné à 10 ans de prison pour « complicité avec des bandes armées ». RSF dénonce cette décision injuste, un mois après la condamnation du journaliste Amadou Vamoulké. ]
En juillet, un activiste et influenceur des médias sociaux, Steve Akam (aussi connu sous le nom de Ramon Cotta), qui vivait au Gabon à l’époque des faits, a été victime d’une disparition forcée. Selon un rapport de Human Rights Watch, « les avocats de Cotta ont déclaré que la police gabonaise avait arrêté leur client à Libreville, la capitale du Gabon, le 19 juillet… et l’avait détenu au secret dans un lieu non identifié jusqu’au 21 juillet, date à laquelle elle l’avait remis aux autorités camerounaises. » Il a finalement été retrouvé en août, au tribunal militaire de Yaoundé, où il a été inculpé d’« actes de terrorisme, insurrection, financement du terrorisme, trafic d’armes et outrage au président et aux membres du gouvernement ».
Junior Ngombe, un coiffeur et activiste de 23 ans, a été arbitrairement détenu pendant une semaine en juillet après avoir critiqué l’arrestation de Ramon Cotta dans une vidéo visionnée plus de 218 000 fois sur TikTok.
Un arrêté a été publié en juillet, suivi de près par un communiqué de presse du ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, déclarant qu’« il est inacceptable que des compatriotes […] tiennent un langage irrévérencieux » à l’égard du président Paul Biya, « qui a été élu librement et massivement par ses concitoyens ».
Ces peines punitives, ces disparitions forcées et ces arrêtés constituent la toile de fond de la restriction croissante de l’espace civique au Cameroun, alors que le pays se dirige vers des élections initialement prévues début 2025. Cela a changé le 9 juillet lorsque le président Biya a réussi à obtenir le soutien du Parlement, lui permettant de reporter les élections parlementaires et municipales du pays à 2026.
La Gambie recule sur ses engagements en matière de droits humains
Le jour où les rédacteurs en chef du journal The Voice – Musa Sheriff Hydara et Momodou Justice Darboe – ont été arrêtés, le président de leur pays, Adama Barrow, s’adressait à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, déclarant qu’il appréciait que la Gambie soit « reconnue comme l’un des principaux défenseurs de la liberté d’expression en Afrique et classée troisième dans le Rapport mondial 2024 sur la libre expression d’Article 19 ».
[ Traduction : Le GPU condamne l’arrestation et la détention du journaliste Momodou Justice Darboe, les menaces du président. Nous condamnons l’arrestation du rédacteur en chef adjoint du journal The Voice et avons demandé sa libération immédiate et l’abandon des charges retenues contre lui. Plus : ]
Hydara et Darboe ont été arrêtés et interrogés pour leur article alléguant que Barrow avait choisi un successeur dans le cadre de sa stratégie de sortie.
Condamnant le harcèlement des deux journalistes, le syndicat de la presse gambienne (GPU) a souligné que les actions du président et de la police rappelaient les tactiques d’intimidation utilisées par le régime de l’ancien président, Yahya Jammeh. Le président du GPU, Muhammed Bah, a exhorté Barrow et l’inspecteur général de la police « à réfléchir à ces garanties des droits humains en vertu de la constitution et aux objectifs de justice transitionnelle du pays, qui visent, entre autres, à mettre fin aux attaques contre la liberté de la presse et des médias ».
Le paysage électoral tanzanien revient aux paramètres par défaut
Alors que la Tanzanie se dirige vers des élections en 2025, les tentatives visibles de la présidente Samia Suluhu Hassan de mettre un terme au régime répressif de l’ancien président avec sa politique de 4R (qui met l’accent sur « la réconciliation, la résilience, les réformes et la reconstruction ») pourraient avoir subi un revers après le meurtre de l’opposant politique Ali Mohamed Kibao.
Selon certaines informations, Kibao, un membre du secrétariat national du principal parti d’opposition tanzanien, le Chama Cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema), a été descendu de force d’un bus alors qu’il se rendait de Dar es Salaam à la ville portuaire de Tanga, au nord du pays. Lorsqu’il a été retrouvé un jour plus tard, il était évident qu’il avait été battu et torturé, et que de l’acide avait été versé sur son visage.
La réaction rapide et, en apparence, rassurante de la présidente Suluhu Hassan : « J’ai ordonné aux agences d’enquête de m’apporter des informations détaillées sur ce terrible fait divers et d’autres du même genre dès que possible », a-t-elle écrit en ligne. « Notre pays est démocratique et chaque citoyen a droit à la vie. Le gouvernement que je dirige ne tolère pas de tels actes brutaux. »
Cependant, ses remarques ultérieures lors de la célébration du 60e anniversaire de la police tanzanienne étaient en contradiction avec ce message conciliant. Après avoir souligné les efforts de son gouvernement pour rétablir les libertés des partis politiques, des médias et des citoyens en général, elle a ensuite lancé un avertissement. « Maintenant, lorsque ces mêmes personnes oublient tout cela et se livrent à des actions ou des déclarations qui nous nuisent ou nous font reculer, nous ne serons pas prêts à le permettre, nous ne le permettrons pas. Nous protégerons la paix et la stabilité de notre pays à tout prix.»
Deux semaines plus tard, le président du Chadema, Freeman Mbowe, et son adjoint, Tundu Lissu et plusieurs autres membres du parti ont été arrêtés arbitrairement et temporairement quelques heures avant une manifestation prévue. Le Chadema avait organisé ce rassemblement pour protester contre l’inaction présumée du gouvernement face à l’enlèvement d’au moins cinq personnes liées à leur parti. Selon HRW : « Les disparus sont Dioniz Kipanya, un responsable du parti Chadema qui a disparu en juillet, et Deusdedith Soka, Jacob Godwin Mlay et Frank Mbise, que des hommes non identifiés auraient enlevés le 18 août. On ignore où se trouvent ces quatre personnes. »
Les membres de l’IFEX célèbrent la Journée internationale pour l’accès universel à l’information
Le Centre africain pour la liberté d’information a organisé une série d’évènements visant à sensibiliser le public aux recommandations de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) concernant l’accès à l’information. Il s’agissait notamment d’un symposium consacré aux amendements juridiques ainsi qu’à la mise en œuvre par l’Ouganda de la loi sur l’accès à l’information.
[ Traduction : Commémoration #HappeningNow de #IDUAI2024 à l’auditorium @Makerere CEDAT. Organisé par @africafoicentre en collaboration avec @MoICT_Ug @UHRC_UGANDA @MUJCA_official and @twaweza_uganda sous le thème : « Intégration de l’accès à l’information et de la participation dans le secteur public » ]
L’organisation de la société civile camerounaise ADISI-Cameroun a organisé un atelier de renforcement des capacités pour les responsables de la communication, les conseillers locaux et les groupes de jeunes, qui s’est concentré sur l’amélioration et la gestion des sites Web et des plateformes de médias sociaux pour mieux interagir avec les citoyens, promouvoir les données ouvertes et garantir la redevabilité dans la gouvernance.
L’Association pour le développement des médias au Soudan du Sud (AMDISS) a tenu des discussions avec les parties prenantes du gouvernement, les journalistes et les organisations de la société civile, pour discuter de la manière dont l’accès à l’information joue un rôle essentiel dans la redevabilité du gouvernement.
[ Traduction : Images illustrant la Journée internationale de l’accès universel à l’information… Les journalistes ont souvent du mal à accéder à l’information en raison de perceptions négatives des médias. Éliminons la bureaucratie dans nos bureaux et facilitons l’accès à l’information lorsque on la recherche. ]
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a examiné en profondeur les obstacles auxquels se heurtent les citoyens pour accéder à l’information publique au Ghana et au Nigéria. En examinant les lois sur l’accès à l’information qui permettent aux institutions publiques de fournir proactivement des informations, MFWA souligne que les citoyens sont gênés par « le nombre d’institutions publiques en Afrique de l’Ouest [qui] n’ont pas réussi à transformer leurs massives archives imprimées en formats numériques, ce qui rend difficile pour elles la localisation et la fourniture de certaines données statistiques ».
En bref
L’Institut international de la presse a souligné les nombreuses affaires de meurtres non résolues de journalistes somaliens et a exhorté le gouvernement « à défendre la liberté de la presse et à assurer la sécurité des journalistes en enquêtant sur les crimes commis contre eux et en poursuivant les responsables ».
Deux projets promulgués ces derniers mois par le président angolais João Lourenço vont restreindre sévèrement les libertés des médias, d’expression et d’association. Le projet de loi sur les délits de vandalisme contre les biens et services publics prévoit des peines de prison allant jusqu’à 25 ans pour les personnes qui participent à des manifestations entraînant des actes de vandalisme et des perturbations de services, tandis que le projet de loi sur la sécurité nationale autorise un contrôle excessif du gouvernement sur les médias, les organisations de la société civile et d’autres institutions privées.
L’exploitation minière illégale au Ghana est connue localement sous le nom de Galamsey. Le mouvement #StopGalamseyNow, initialement créé pour protester contre l’exploitation minière illégale au Ghana, s’est transformé en mouvement #FreetheCitizens, qui milite désormais pour la libération d’environ 54 manifestants arrêtés par la police ghanéenne les 22 et 23 septembre. Le hashtag #FreetheCitizens est désormais en vogue sur les réseaux sociaux et suscite à son tour un dialogue national sur le droit de manifester et la passivité du gouvernement dans la lutte contre l’exploitation minière illégale.