A l’occasion de sa nomination, RSF attire l’attention du nouveau Rapporteur spécial de l'ONU pour les droits de l’homme en Afghanistan, sur la situation extrêmement dégradée de la liberté de la presse dans le pays. De nouvelles restrictions ont été imposées aux médias et aux journalistes par les talibans et les arrestations arbitraires se multiplient.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 11 avril 2022.
RSF a écrit au Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, Richard Bennett, pour lui demander d’agir d’urgence pour défendre la liberté de la presse et les journalistes afghans. Les arrestations arbitraires se multiplient, instaurant un climat de peur dans toutes les rédactions.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a annoncé, le 27 mars, la nomination du chercheur britannico-néo-zélandais Richard Bennett au poste de Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan. Dans un courrier en date du 11 avril, Reporters sans frontières (RSF) lui demande d’agir d’urgence pour défendre la liberté de la presse et les journalistes dans le pays.
A l’occasion de sa nomination, Reporters sans frontières (RSF) attire l’attention du nouveau Rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Afghanistan, sur la situation extrêmement dégradée de la liberté de la presse dans le pays. De nouvelles restrictions ont été imposées aux médias et aux journalistes par les talibans et les arrestations arbitraires se multiplient. En février, le porte-parole du gouvernement et vice-ministre de l’Information et de la Culture par intérim, Zabihullah Mujahid, avait pourtant confirmé que la loi sur la presse promulguée en mars 2015 était toujours officiellement en vigueur et restait applicable.
Parmi ces nouvelles restrictions, un décret du ministère de l’Information et de la Culture du 28 mars a interdit la rediffusion du journal télévisé des médias internationaux VOA, BBC, et DW en langue locale (dari, pachto et ouzbek) par les chaînes privées. Contacté par RSF, l’un des porte-paroles du ministère a justifié cette décision par “le problème vestimentaire des présentatrices femmes de ces médias, suite à plusieurs avertissements”.
Conséquence de ces nouvelles restrictions, la répression contre les journalistes s’est aggravée, notamment depuis le début de 2022, et instille un climat de peur et d’inquiétude dans les rédactions. Les menaces et arrestations arbitraires ont augmenté et les différents services de sécurité, en particulier les agents des services de renseignement (Istikhbarat) peuvent interdire les émissions et les programmes ou directement venir dans les locaux des rédactions arrêter les journalistes ou les employés des médias. Entre le 15 août 2021 et le 4 février 2022, une cinquantaine de professionnels des médias au moins ont ainsi été arrêtés par la police afghane et les services de renseignement.
“Les arrestations de journalistes par le régime se poursuivent, les pressions du régime sur les médias aussi, la situation de la liberté de la presse en Afghanistan ne doit pas passer sous les radars de l’attention internationale, souligne Antoine Bernard, directeur du plaidoyer et de l’assistance de RSF. Nous attendons du nouveau Rapporteur spécial de l’ONU sur l’Afghanistan, Richard Bennett, une mobilisation maximum pour soutenir le journalisme libre, pluraliste et indépendant.”
Des rafles, des détentions et une disparition
Le 28 mars, à Kandahar, lors d’une rafle dans quatre stations de radio locale, les radios Melat ghaz, Tabasom, Sangheh et Zama, les agents d’Istikhbarat ont arrêté Farid Alizi, Mahmoud Mehraban, Agha shir Manar, Rahim Mehraban, Samioulah Wahdat et Vares Nouri sur leur lieu de travail et les ont détenus au moins 24 heures. Ces journalistes ont été arrêtés sous le prétexte de la diffusion de musique, interdite par les talibans. Le lendemain, Besmollah Vatandoste, le directeur de la radio Melat ghaz qui était allé demander la libération de ces journalistes et s’engager au nom de son média à respecter les interdictions, a lui-même été arrêté avant d’être libéré 9 jours plus tard. Il a été accusé d’avoir des relations avec le mouvement des Pachtouns au Pakistan et les mouvements de résistance en Afghanistan, des accusations sans aucun fondement.
Le 17 Mars, Khalid Qaderi, chercheur et journaliste pour la radio Norroz de la ville de Herat, a été arrêté par le service de renseignement des talibans et à ce jour sa famille n’a aucune information sur son sort. Sa sœur, avocate et défenseure des droits humains des exilés, a annoncé son arrestation dans un tweet. Les autorités n’ont pas officiellement réagi à son arrestation.
Le 17 mars, Khpolwak Sapai, directeur de la chaîne de télévision Tolo News, Bahram Aman, un journaliste et présentateur de la chaîne, et un juriste du média ont été arrêtés arbitrairement par des agents armés des services de renseignement au siège de la chaîne pour avoir diffusé des informations sur les restrictions à la diffusion des séries étrangères. Si le directeur et le juriste de Tolo News ont été libérés après un interrogatoire musclé de quelques heures, le journaliste est resté en détention presque 24 heures.
RSF souligne auprès du Rapporteur spécial le caractère arbitraire de ces arrestations : conformément à la loi sur la presse de mars 2015, toujours officiellement en vigueur, l’Istikhbarat n’a pas le droit d’intervenir directement dans les affaires des médias ou d’interpeller des journalistes avant l’avis de la Commission de vérification des délits des médias. Contrairement à la promesse des autorités, cette commission n’a pas encore été créée. La création de cette commission est une demande maintes fois répétée des journalistes d’Afghanistan.
Lors de la publication de l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse en avril dernier, le pays se situait à la 122e place sur 180 pays.