"Israël cherche par tous les moyens à faire taire la chaîne Al Jazeera pour sa couverture de la réalité sur le sort des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza depuis le 7 octobre."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 2 avril 2024.
Reporters sans frontières (RSF) appelle à l’abrogation d’une loi votée par le Parlement israélien, la Knesset, visant à interdire la diffusion de médias étrangers en Israël, et ciblant principalement la chaîne Al Jazeera. Cette censure de l’un des derniers médias internationaux pouvant informer depuis Gaza depuis le 7 octobre est inacceptable.
“La chaîne terroriste Al Jazeera ne diffusera plus depuis Israël.” C’est avec ces mots que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a annoncé, sur le réseau social X, le vote accéléré d’une loi pour interdire les activités de la chaîne qatarie. Cette loi votée par la Knesset le 1er avril à 71 voix contre 10 permet d’interdire temporairement “la diffusion en Israël de médias étrangers portant atteinte à la sécurité de l’État”, et aussi d’ordonner la fermeture des bureaux des médias en Israël, la confiscation de leurs équipements et la mise hors ligne de leurs sites Internet. Cette loi vise particulièrement Al Jazeera, l’une des rares chaînes internationales qui peut encore couvrir la guerre depuis Gaza.
“Israël cherche par tous les moyens à faire taire la chaîne Al Jazeera pour sa couverture de la réalité sur le sort des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza depuis le 7 octobre. Le vote du Parlement israélien pour censurer la chaîne Al Jazeera et les propos diffamatoires de Benyamin Netanyahou à l’encontre de ses journalistes sont inacceptables. RSF exige des autorités israéliennes qu’elles cessent leur acharnement violent contre Al Jazeera. Une telle législation de censure, sous couvert de règles démocratiques, ciblant implicitement un média, crée un précédent lourd de menaces pour le journalisme en Israël.”
Jonathan Dagher, Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF
Après avoir accusé la chaîne d’être “un organe de propagande du Hamas”, et qualifié à plusieurs reprises les journalistes d’Al Jazeera “d’agents terroristes”, Israël a désormais les moyens législatifs de mettre à exécution ses menaces de fermeture du bureau de la chaîne. Celle-ci pourrait avoir lieu très prochainement – le parti à la tête de la coalition au pouvoir, le Likoud, ayant déjà indiqué que le Premier ministre “agirait immédiatement pour fermer Al Jazeera”.
En novembre 2023, le gouvernement israélien avait déjà approuvé un règlement permettant la fermeture des médias étrangers, dont Al Jazeera. Le service de renseignement israélien, le Mossad, avait alors soutenu cette décision, considérant qu’Al Jazeera “met en danger” les activités des forces de défense israéliennes.
Des journalistes d’Al Jazeera tués et blessés par des frappes israéliennes
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, au moins 103 journalistes ont été tués à Gaza par des frappes israéliennes, dont au moins 22 dans l’exercice de leurs fonctions. Trois d’entre eux travaillaient pour Al Jazeera. Début janvier 2024, le journaliste Hamza al-Dahdouh – fils de Wael al-Dahdouh, chef du bureau d’Al Jazeera à Gaza – et son confrère Moustafa Thuraya, ont été tués par une frappe israélienne. “Ils se vengent de nous [les journalistes gazaouis] en tuant nos enfants, mais cela ne nous arrêtera pas”, avait alors déclaré Wael al-Dahdouh. Un mois plus tard, ce journaliste emblématique est blessé par une frappe israélienne, qui a tué Samer Abu Daqqa, le caméraman de la chaîne. Au Sud-Liban, la correspondante de la chaîne, Carmen Joukhadar, figure par ailleurs parmi les six journalistes blessés par la frappe du 13 octobre 2023 qui a coûté la vie au journaliste de Reuters Issam Abdallah.
Avant le 7 octobre, la chaîne avait déjà été endeuillée ; la correspondante de renommée internationale d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, a été abattue par les forces armées israéliennes le 11 mai 2022 alors qu’elle était en reportage à Jénine, en Cisjordanie. L’année précédente, en mai 2021, RSF avait aussi déposé une plainte auprès de la CPI, à la suite des bombardements d’une vingtaine de médias dans la bande de Gaza, dont le bureau d’Al Jazeera.