Trente-neuf ans après la révolution iranienne, les jeunes et les femmes affrontent le régime dans les rues. Et la République islamique tente de contrôler encore un peu plus les informations à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 13 février 2018.
Reporters sans frontières (RSF) condamne une nouvelle fois les pressions exercées par les autorités iraniennes à l’encontre des journalistes et journalistes-citoyens. Trente-neuf ans après la révolution iranienne, les jeunes et les femmes affrontent le régime dans les rues. Et la République islamique tente de contrôler encore un peu plus les informations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Depuis 39 ans, le contrôle de l’information en Iran est implacable. Le régime exerce en continu une répression sans égale. Le nombre exact de journalistes arrêtés et condamnés lors de cette période sombre de l’histoire de l’Iran – spécifiquement durant les années de purge est toujours officiellement inconnu. RSF a pu recensé ces exactions depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammad Khatami en 1997 jusqu’à ce jour. Ainsi au moins 350 titres professionnels ont été suspendus, plus de 800 journalistes et journalistes-citoyens ont été convoqués, interpellés et interrogés, et 500 d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison allant de trois mois à 19 ans. Tous ont été privés de leur droit. Des millions de pages d’information libres et indépendantes ont également été censurées sur Internet. Les journalistes-citoyens, actifs sur les réseaux sociaux, sont ainsi au cœur des combats pour une information libre et un changement politique en Iran.
Dans ce que le guide suprême Ali Khamenei nomme le «pays le plus libre du monde», aucun média indépendant n’a survécu aux harcèlements policiers et judiciaires depuis 39 ans. Depuis 2000, Ali Khamenei a lancé une guerre sans merci contre la presse réformatrice émergente, en la qualifiant de « base opérationnelle des ennemis étrangers à l’intérieur du pays ». Malgré sa résistance, cette presse perd des moyens pour exercer sa mission d’informer librement et indépendamment. Afin de renforcer encore un peu plus les mesures liberticides et la censure, un nouveau projet de loi sur la presse veut désormais faire des journalistes, des fonctionnaires d’État qui recevront leur carte de presse directement de la main du ministère de la Culture et l’Orientation islamique.
Cette répression contre la liberté d’information ne se limite pas à l’intérieur des frontières du pays. Ainsi les médias internationaux sont également victimes de cette répression, même si le régime a voulu toujours soigner les apparences.
Relayer la version officielle
Selon la liste publiée sur la page officielle du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique, 155 médias issus de 32 pays ont des bureaux en Iran et 305 journalistes étrangers sont présents. Parmi les 75 radios et télévisions officiellement présentes (en réalité le nombre exact est inférieur, les différents services par langue d’un même média comme France 24 ou Al Jazeera sont comptés séparément) 15 sont irakiennes et libanaises comme Al-Manar et Al-Mayadin, les deux chaînes du Hezbollah ou Al-Tajah et Al-Fart et les chaînes des chiites irakiens. Ces quatre médias sont financés entièrement par le régime. Quatorze agences de presse – dont la plupart provenant de pays islamiques proches du régime, à l’exception de AP, AFP et Itar Tass – sont présentes, L’Union des radios et télévisions islamiques créée et financée par la République islamique réunit 210 médias islamiques de 35 pays dans le monde, selon son site. La plupart de ces médias sont officiellement considérés comme des médias étrangers alors qu’en réalité ils sont financés par le régime. Ces médias ne sont pas seulement au service de la propagande mais constituent un réseau mondial de fake news, au service de la répression contre la liberté de l’information. Ils diffusent principalement les mêmes informations que les médias officiels du régime.
Les autres agences de presse sur place sont elles sous étroite surveillance et sous pression. Un ancien journaliste de l’AFP à Téhéran confirme «ce contrôle se fait par le régime en plaçant des journalistes dans l’agence qui peuvent informer les autorités de ce qui se passe dans le média, ou en menaçant les journalistes étrangers qui n’acceptent pas les règles du censeur. Il y a eu plusieurs cas où des journalistes ont même été accusés d’actes immorales et menacés de prison.»
Depuis que le 28 mars 2012, les autorités ont retiré leurs accréditations aux journalistes de l’agence Reuters à Téhéran, pour « propagande contre le régime », l’agence n’a plus de bureau en Iran. Or, certaines dépêches de Reuters traitent l’information avec plus d’indépendance que celles des agences qui ont toujours un bureau sur place. Ces dernières n’ont en effet pas d’autre choix que de s’autocensurer, au risque sinon de se voir retirer leur accréditation, voire même de se faire harceler et poursuivre par la justice iranienne.
Choix des «bons» journalistes
Les journalistes et médias étrangers – en dehors des pays islamiques présents – dans le pays sont soit des correspondants permanents ou des journalistes qui voyagent occasionnellement au pays. Pour les deux groupes, depuis des années, le régime préfère les journalistes qui ont une double nationalité. Ainsi, ces journalistes qui peuvent à tout moment être accusés d’«espionnage» sont plus faciles à contrôler et il est plus aisé de leur imposer des lignes rouges de censeur.
Il faut noter que la loi iranienne n’autorise pas la double nationalité en tant que tel. Considérés comme Iraniens, plusieurs d’entre eux ont été emprisonnés ces dernières années pour «collaboration avec les étrangers» et «espionnage». On peut citer notamment les cas de Roxana Saberi et Jason Rezaian.
Un journaliste d’un média international qui a la double nationalité a déclaré à RSF sous couvert d’anonymat : « deux jour après ma demande d’accréditation au ministère de la Culture et l’Orientation islamique, j’ai reçu un appel pour parler de ma situation On m’a demandé de me rendre dans un hôtel. J’ai demandé qui était à l’appareil, tout en sachant que c’étaient les frères des renseignements. Là-bas, deux hommes m’attendaient. De manière très polie, ils m’ont fait comprendre que je devais respecter les lignes rouges : Khamenei, l’opposition, éviter d’une manière générale de montrer ‘la détérioration de la situation. Parfois, ils m’envoyaient des phrases que je devais mettre dans mes articles. Neutralité et équilibre pour eux équivalait à la censure des informations. J’ai accepté pendant deux ans où j’étais en Iran (…) »
Pour chaque journaliste étranger et son média, un comité composé de membres de trois ministères, – Culture et Orientation islamique, Affaires étrangères et Renseignements, – a un dossier. Selon l’attitude du journaliste et de son média, les autorités lui accordent les visas nécessaires. A l’inverse, les positions considérées comme critiques envers le régime entraînent des points négatifs dans le dossier. Et pas seulement sur des articles sur l’Iran. Les articles sur la situation internationale, notamment sur les pays considérés comme ennemis par l’Iran, Israël et États-Unis en tête comptent aussi.
Selon les informations recueillies par l’organisation, plusieurs journalistes, qui ont pu avoir un visa et sont actuellement en Iran, ont été empêchés de circuler librement dans la capitale. Ils ont notamment été interdits de couvrir les protestations et d’entrer en contact avec les opposants du régime ou les familles de prisonniers politiques.
L’Iran est actuellement l’un des pays répressif et est classé 165e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2017 de Reporters sans frontières.