Janvier 2023 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression produit sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La réduction au silence de trois voix d’opposition sur le continent africain a galvanisé les défenseurs de la liberté des médias et ceux des droits humains : ils se sont levés vigoureusement contre la culture persistante de l’impunité.
Trois voix importantes se sont tues
Ce fut un sombre début de nouvelle année pour l’Afrique, avec la mort suspecte du rédacteur en chef rwandais John Williams Ntwali et les meurtres du journaliste camerounais Martinez Zogo et de l’avocat swati des droits humains Thulani Maseko d’eSwatini. En l’espace de cinq jours, trois voix franches et critiques sur le continent ont été réduites au silence à jamais.
[ Traduction : En l’espace de 72 heures la semaine dernière, trois des plus brillantes lumières de la liberté en Afrique ont été assassinées : John Williams Ntwali (#Rwanda), Thulani Maseko (#eSwatini), Martinez Zogo (#Cameroon). Mes réflexions sur leur impact et leurs héritages ont été publiées dans @TheAfricaReport ]
Cameroun : pays où dire la vérité est dangereux
Cette série de fait-divers tragiques a commencé avec l’enlèvement, le 17 janvier, de Martinez Zogo, le directeur camerounais de la radio privée Amplitude FM et animateur de la très populaire émission de radio Embouteillages. Son corps dénudé et mutilé a été retrouvé quelques jours plus tard, le 22 janvier, avec des signes visibles de torture..
Son assassinat a eu lieu dans le contexte d’un pays où les enlèvements ciblés, les agressions brutales, les morts et « autres violations systématiques des droits humains envers les défenseurs des droits humains, les journalistes et les avocats » sont une caractéristique familière du paysage.
[ Traduction : AUJOURD’HUI ça fait 2 semaines depuis que des agresseurs non identifiés ont enlevé le journaliste Martinez Zogo au #Cameroon. Son corps a été retrouvé quelques jours plus tard dénudé, mutilé et jeté dans une carrière. Joignez-vous au CPJ pour demander aux autorités d’enquêter rapidement et de manière crédible sur le meurtre de Zogo. ]
Quelques heures seulement après son enlèvement, le site d’information en ligne ZAM a publié par coïncidence un article détaillé et approfondi du journaliste d’investigation Chief Bisong Etahoben et de la journaliste Elizabeth BanyiTabian sur le danger de dénoncer la corruption au Cameroun.
Évoquant l’enlèvement et l’agression du journaliste d’investigation Paul Chouta, une agression armée contre l’éditeur Jean François Channon, et l’enlèvement et la mort de Samuel Wazizi, les auteurs déclarent : « Dire la vérité sur le régime de Biya est une activité très dangereuse au Cameroun ».
Comme le rapporte Human Rights Watch, Zogo « a régulièrement dénoncé la corruption dans le cadre de son travail et, dans les jours qui ont précédé son assassinat, il a parlé à la radio des menaces auxquelles il était confronté ».
Adieu au dernier des journalistes indépendants du Rwanda
Décrit comme le dernier journaliste indépendant restant au Rwanda, James William Ntwali aurait été tué lorsqu’une voiture à grande vitesse a percuté la moto sur laquelle il était passager.
Cette version des faits est accueillie avec scepticisme car, comme le rapporte HRW : « Deux semaines après l’accident présumé, les autorités rwandaises n’ont fourni aucun rapport de police, ni le lieu exact de l’accident présumé, aucune preuve photographique ou vidéo, aucune information détaillée sur l’accident ou d’autres personnes impliquées dans ledit accident ».
[ Traduction : Deux semaines après la mort du journaliste d’investigation John Williams Ntwali, les autorités rwandaises n’ont pas fourni de compte rendu transparent de ce qui s’est passé. 90 ONG et associations de presse appellent le #Rwanda à permettre une enquête efficace et indépendante. ]
Un collègue journaliste, Bihibindi Nuhu, a déclaré à Voice of America qu’il avait rencontré Ntwali la veille de sa mort. « Il avait l’air prudent et a éteint son téléphone avant que nous commencions à parler. Il a dit que qu’il ne fallait pas faire confiance aux téléphones. Il m’a dit que toutes les portes auxquelles il frappait étaient fermées mais qu’il était déterminé à affronter la vie. Sa mort a été si soudaine ».
La mort d’une grande âme
À peine deux jours plus tard et à des milliers de kilomètres, la nouvelle choquante selon laquelle l’avocat et militant swati Thulani Maseko (voir son profil par IFEX en 2021 ici) avait été tué par balle alors qu’il regardait la télévision avec sa femme et ses enfants, a fait le tour du monde.
Maseko jouait un rôle essentiel en tant que président du Forum multipartite, une coalition d’acteurs non étatiques, plaidant pour un processus de dialogue politique national visant à résoudre les problèmes sécuritaires et politiques en eSwatini.
Maseko, mieux connu pour son rôle en tant que l’un des membres fondateurs du Southern Africa Defenders Human Rights Network (SouthernDefenders), n’a cessé de dénoncer les violations des droits humains dans son pays. En tant que requérant principal et avocat, Maseko a joué un rôle déterminant dans l’annulation de certaines clauses de la tristement célèbre loi sur la répression du terrorisme d’eSwatini et de celle sur la sédition et les activités subversives en 2016.
Sa conviction était inébranlable. Comme il l’a écrit un jour en prison : « Malgré les difficultés de la prison, nous n’avons pas été dissuadés. Nous n’avons pas été découragés. Nous n’avons pas été déconcertés. Nous ne sommes pas ébranlés. Nous ne sommes pas intimidés. Oui, nous ne sommes pas brisés ».
Juste un jour avant que Maseko ne soit assassiné, le roi Mswati III avait lancé un avertissement : « Les gens ne devraient pas verser de larmes et se plaindre que des mercenaires les tuent ».
Traits communs
Des traits communs ont traversé la vie et la mort de ces trois défenseurs.
Zogo, Ntwali et Maseko ont demandé des comptes à leurs gouvernements et se sont prononcés avec véhémence contre la corruption, les excès du gouvernement et les violations des droits humains. Leurs actions les ont mis en grand danger, mais ils ont persévéré.
[ Traduction : Se souvenir de #ThulaniMaseko: Namibia Media Trust estime qu’avec le meurtre de l’avocat des droits humains Maseko, l’Afrique a perdu l’un de ses plus grands guerriers des droits humains et un avocat inébranlable de la justice pour tous. En savoir plus ici : https://bit.ly/3XQ0M3Z @NamPresidency @IFEX @freedomhouse ]
Le décès de Ntwali a été décrit comme une « énorme perte pour le paysage médiatique difficile du Rwanda », tandis que Maseko est pleuré comme une lumière qui guide, éteinte bien trop tôt. Zogo était une voix très respectée dans un pays où « la répression à la fois de la protestation et du journalisme signifie que les médias camerounais ont de moins en moins de marge de manœuvre ».
[ Traduction : Le meurtre brutal du journaliste camerounais Martinez Zogo qui a été enlevé, torturé et tué à Yaoundé et la mort suspecte dans un accident de la route du journaliste rwandais John Williams Ntwali a laissé la communauté des médias sous le choc, dit @angelaquintal ]
Les avertissements et les intimidations faisaient partie de leur quotidien. Zogo recevait « quotidiennement des menaces de mort de la part de personnes qu’il accusait d’être corrompues », rapporte Deutsche Welle, tandis que Ntwali, rédacteur en chef du journal privé The Chronicles et fondateur de la chaîne YouTube Pax TV-Ireme News, recevait fréquemment des menaces en lien avec son journalisme d’investigation. Maseko avait reçu des menaces pendant un an avant d’être tué.
L’impact profond de leur travail dans leurs pays respectifs a suscité un soutien solide, comme en témoigne le flux écrasant et constant d’hommages qui ont afflué sur les plateformes de médias sociaux.
La sécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains est passée de phénomène marginal à un problème majeur actuellement et reconnu comme tel alors que les défenseurs galvanisent le soutien de tous les secteurs dans leurs campagnes pour la justice. Cette fois, la réaction des organes publics et de la société civile a été forte et constante. La solidarité a pris diverses formes, les plus courantes étant les hommages et les déclarations des réseaux régionaux. À l’échelle nationale, les gens leur ont rendu hommage sous d’autres formes.
Lassées de l’inaction des gouvernements africains dans les cas de crimes commis contre des journalistes et des défenseurs des droits humains, les organisations de la société civile ont réagi en mettant l’accent sur l’action collective et en demandant aux autorités de mener des enquêtes approfondies et indépendantes sur ces décès.
Citant des cadres juridiques régionaux et internationaux, 90 organisations de la société civile ont publié une déclaration demandant au gouvernement rwandais de mener une « enquête indépendante, impartiale, approfondie et transparente » sur la mort de Ntwali.
En tant que président de la Troïka de la Communauté de développement de l’Afrique australe, le président namibien Hage Geingob a publié une déclaration le 25 janvier, appelant le royaume d’eSwatini à veiller à ce que les personnes soupçonnées du meurtre de Maseko soient traduites en justice.
Le communiqué du sommet extraordinaire de la troika de la SADC qui s’est tenu à Windhoek le 31 janvier a réitéré « la condamnation par la SADC du meurtre. . . et a exhorté le gouvernement du Royaume d’Eswatini à mener une enquête rapide, transparente et complète sur le meurtre de M. Maseko. »
[ Traduction : #SADC| Les chefs d’État présents ont publié un communiqué lors du Sommet extraordinaire de la Troïka de la SADC qui vient de s’achever. Ils ont condamné l’assassinat du défenseur des droits humains #ThulaniMaseko et ont exhorté le Royaume d’#Eswatini à engager un dialogue pacifique. #EnsembleNousDéfendons ]
« Je condamne le meurtre de Martinez Zogo. Je salue l’annonce du gouvernement disant qu’il enquête sur cette affaire et j’appelle les autorités à ne pas laisser ce crime impuni. Les journalistes jouent un rôle essentiel dans le développement et le maintien de la gouvernance démocratique. Ils méritent toute la protection nécessaire. »
Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO
Deutsche Welle rapporte que « les stations de radio de tout le Cameroun ont diffusé lundi les mots que le journaliste avait lancés aux dirigeants corrompus peu avant sa mort : « Vous allez sûrement me tuer. La seule chose que vous puissiez faire, c’est m’achever. C’est le pays du [président] Paul Biya, et tout le monde regarde et permet que cela se produise, parce que les gens ont peur ».
Des musiciens de Yaoundé ont sorti une chanson en hommage à Zogo, tandis que les professionnels des médias de tout le pays ont observé la consigne du Syndicat des journalistes du Cameroun (CJTU/SNJC) et le 25 janvier, ils portaient tous du noir.
[ Traduction : Certains #artistes basés à #Yaounde ont sorti une chanson, rendant hommage au #journaliste #MartinezZogo — et appelant à la justice. Les chanteurs dont le geste a été qualifié par beaucoup de « démonstration de bravoure » se sont scotchés la bouche pour souligner le problème de la censure de la presse au #Cameroun. ]
La présidente Hassan entame la nouvelle année en levant une interdiction
Le retour du chef de l’opposition tanzanienne Tundu Lissu dans le pays après cinq ans d’exil fait suite à l’annonce par la présidente Samia Suluhu Hassan de la levée de l’interdiction des rassemblements des partis d’opposition, en vigueur depuis six ans.
[ Traduction : C’est désormais officiel : j’embrasserai à nouveau le sol tanzanien mercredi 25 janvier 2023 à 13h35 heure locale. J’arriverai à bord du vol d’Ethiopian Airlines #ET805 d’Addis-Abeba. Avec la levée de l’interdiction d’activité politique, il est maintenant temps de rentrer chez soi et de se remettre au travail ! ]
Depuis qu’elle a pris le pouvoir en mars 2019, après la mort inattendue de Magufuli, la présidente Hassan a cherché à rompre avec la ligne dure de son prédécesseur et introduit lentement des changements.
Pourtant, ses deux années à la tête de l’Etat ont été marquées par des contradictions. Tout en ouvrant apparemment l’espace politique, l’arrestation de Freeman Mbowe, président du principal parti d’opposition tanzanien Chadema, en 2021, juste avant qu’il ne s’apprête à prendre la parole lors d’une conférence, a soulevé des doutes quant à sa sincérité. Il a finalement été libéré début 2022, après avoir passé plus de sept mois en détention pour terrorisme.
Alors qu’elle a levé l’interdiction de quatre journaux – Mwanahalisi, Mawio, Mseto et Tanzania Daima – son gouvernement n’a pas encore modifié la loi de 2016 sur les services médiatiques, comme annoncé par le ministre de l’Information, de la Communication et des Technologies de l’information, Nape Nnauye, en 2022.
Comme l’a noté Aikande Kwayu dans une interview d’avril 2021 à Institut Montaigne : « Nous devons nous rappeler que la présidente Hassan appartient au même parti politique que feu le président Magufuli. La politique électorale et l’exercice du pouvoir pourrait en quelque sorte forcer sa politique à changer à l’avenir, dans le but de garder le pouvoir. Ce n’est que le temps qui nous montrera à quel point sa politique et son style sont durables. »
En bref
Burundi : les organisations de défense de la liberté des médias demandent la libération de Floriane Irangabiye, condamnée à 10 ans de prison pour ce que Reporters sans frontières considère comme « une accusation fallacieuse d’atteinte à l’intégrité du territoire national ». Irangabiye a été arrêtée le 30 août alors qu’elle retournait au Burundi pour rendre visite à sa famille après avoir vécu en exil pendant cinq ans au Rwanda.
Comores : dans un entretien au GIJN, la journaliste d’investigation comorienne Hayatte Abdou partage ses expériences de reporter travaillant dans un pays « dominé par les médias d’Etat et où la liberté de la presse est sous la contrainte. » Elle a été acclamée pour ses reportages courageux sur le meurtre de son confrère journaliste comorien Ali Abdou, dont la mort suspecte a été ignorée par les autorités.
Mozambique : l’Institut international de la presse rapporte que des policiers mozambicains ont ignoré l’accréditation de presse du journaliste Rosario Cardoso et l’ont sauvagement agressé après qu’il ait refusé de verser un pot-de-vin. Il a été hospitalisé pour des blessures infligées lors de l’agression.
Nigeria : le paysage médiatique en déclin constant s’est encore détérioré alors que le pays se prépare pour ses septièmes élections générales, prévues pour la fin février. Dans son évaluation, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest affirme que « le gouvernement du président Muhammadu a totalement échoué à tenir ses promesses de liberté de la presse ».