Depuis le renversement de l'ordre constitutionnel intervenu au Mali le 22 mars, les militaires se sont acharnés contre les journalistes nationaux et étrangers qui tentent de couvrir la crise.
(ARTICLE 19/IFEX) – 23 juillet 2012 – ARTICLE 19 exprime sa vive préoccupation sur la sécurité des journalistes au Mali à travers une lettre adressée aux autorités maliennes.
Depuis le renversement de l’ordre constitutionnel intervenu au Mali le 22 mars 2012 suite à une mutinerie des militaires du camp de Kati sous la direction du capitaine Amadou Haya Sanogo, les interpellations et agressions contre les journalistes n’ont cessé de croître. Ces actes qui violent la liberté d’expression et l’accès à l’information, ont installé la peur et l’insécurité chez les journalistes et les défenseurs des droits humains au Mali.
Les journalistes pâtissent durement de la situation conflictuelle qui prévaut au Mali à l’heure actuelle et qui va des agressions physiques à la confiscation de matériel en passant par l’occupation d’organes de presse ou des interpellations.
Dès leur arrivée au pouvoir, les militaires se sont acharnés contre les journalistes nationaux et étrangers qui tentent de couvrir la crise. Des cas graves de violence ont été répertoriés entre mars 2012 et juillet 2012.
Par exemple,
* le reporter de France culture, Omar Ouahmane, a été attaché à un arbre durant toute la nuit du 28 au 29 mars et menacé de mort par les militaires pour avoir interviewé, sur RFI, Amadou Toumani Touré, le président déchu par la junte militaire.
* Par la suite, deux autres journalistes de l’agence Associated Press (A.P) et de la British Broadcasting Corporation (B.B.C) ont été interpellés et conduits au camp de Kati par les militaires, alors qu’ils cherchaient également à s’entretenir avec l’ex président Amadou Toumani Touré.
* La période d’accalmie durant laquelle le pouvoir a été rendu aux civils grâce à la médiation de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) le 06 avril 2012 ne sera que d’une courte durée, car le 30 avril la radio télévision publique) (ORTM) a été attaquée et occupée par les militaires.
* Le 12 juin 2012, plus de dix militaires maliens ont fait une descente dans les locaux de la chaine panafricaine Africable dans le but d’interdire la diffusion le soir même de l’interview d’un rebelle touareg, en menaçant de revenir si les responsable de la télévision n’obéissaient pas.
* Le 16 mai 2012, Saouti Labass Haïdara, le Directeur de publication du quotidien L’indépendant, a été et arrêté grièvement blessé par trois agents de la sécurité d’Etat lors de son interrogatoire pour avoir publié un article dans L’Indépendant no 3016 du vendredi 11 mai 2012 sous le titre: Bamako, Kati et Koulikoro sous la menace des attentats. Cet article déconseillait aux Maliens de sortir, ou de fréquenter les bâtiments militaires et publics, car un « certain » capitaine Touré menaçait de commettre des attentats à Bamako. Les services de renseignements voulaient qu’il révèle la source de cette information.
* Le 12 juillet 2012, aux environ de 22H, le même journaliste, Saouti Labass Haidara, a été enlevé au siège de son journal par des hommes encagoulés qui ont ouvert le feu sur le bâtiment abritant le siège du quotidien, causant des dégâts matériels. Ils l’ont transporté à une quarantaine de Km de Bamako sur la route de Ségou et l’ont torturé puis abandonné. En pleine nuit, il réussit à se traîner jusqu’à la route, guidé par la lumière des phares et sera secouru par des bonnes volontés avant l’arrivée de deux journalistes de sa rédaction. Il s’en sortira avec une blessure à la tête et une fracture à l’avant-bras droit.
Selon des sources concordantes, l’interpellation de journalistes révèle l’existence d’écoutes téléphoniques, ceci constitue une atteinte grave au droit des journalistes d’autant plus que ces pratiques ne sont basées sur aucun fondement, risquent d’exacerber la stigmatisation et porte gravement atteinte au droit du public de savoir ce qui se passe réellement. Cette technique illégale, associée aux interrogatoires et agressions physiques met en danger les professionnels des médias et leurs sources.
Les forces de sécurité ne sont pas les seuls à menacer les professionnels des médias, les rebelles du Mouvement de Libération de l’Azawad, MNLA, séparatiste ont interpellé et passé à tabac un journaliste, qui faisait une émission sur la situation dans le nord du Mali.
Peu d’informations parviennent actuellement du nord, zone contrôlée par les groupes islamistes. Cependant, plusieurs sources ont fait état d’exactions commis à l’égard de la population dont la liberté d’association, de manifestation et d’expression est sévèrement réprimée. Dans la zone contrôlée par les islamistes ont confirme que le port du voile est obligatoire et qu’il est imposé à toutes les femmes contre leur gré.
Le 26 juin, une marche contre les groupes armés qui occupent la ville de Gao suite à l’assassinat d’un élu local, a été réprimée faisant une douzaine de personnes blessées par balles dont deux grièvement à la tête. Dès le 30 juin, les rebelles du mouvement d’Ansar Eddin ont pris d’assaut des mausolées de Tombouctou, patrimoine mondiale de l’humanité et symbole du sufisme – courant de l’islam répandu en Afrique de l’ouest-. Cette destruction des lieux de cultes viole le droit international humanitaire et nie l’expression religieuse d’une bonne partie des populations du nord du Mali.
ARTICLE 19 condamne les exactions contre les journalistes et les défenseurs des droits humains, qui s’inscrivent dans une tentative de museler la liberté d’expression et le droit du public à l’information et recommande la cessation immédiate de ces actes de violences et d’intimidations contre les professionnels des médias.
ARTICLE 19 rappelle la récente déclaration conjointe des 4 experts internationaux de la liberté d’expression qui réitère l’obligation des États à lutter contre l’impunité concernant les attaques contre la liberté d’expression et les mesures que les États doivent prendre afin de prévenir ces crimes, de protéger les victimes et faire toute la lumière sur les crimes lorsque des violations sont commises. La déclaration de juin 2012 lance un appel à l’endroit de tous les gouvernements en vue d’instituer une nouvelle catégorie d’infraction intitulé « crime contre la liberté d’expression ».
ARTICLE 19 demande également le respect de la Déclaration de Bamako sur l’impunité, la justice et les droits de l’homme en Afrique de l’ouest adoptée dans la capitale du Mali en décembre 2011 et de la Déclaration de Principes sur la liberté d’expression en Afrique de 2002 et les résolutions subséquentes qui prohibent les violences perpétrés contre les journalistes.
ARTICLE 19 demande aux autorités maliennes de prendre des mesures urgentes et adéquates pour assurer la sécurité des journalistes afin qu’ils puissent exercer leur métier de manière impartiale. En particulier, le gouvernement de transition du Mali doit prendre des mesures urgentes afin de traduire les auteurs de toutes les attaques à l’égard des journalistes et défenseurs devant les juridictions compétentes et s’assurer que des enquêtes indépendantes et impartiales sont diligentées.
ARTICLE 19 invite la CEDEAO et l’Union Africaine à demander expressément une protection accrue des journalistes et des défenseurs des droits humains auprès de toutes les parties au conflit, y compris dans le nord du pays.