La plainte déposée ce jour par Maître Emmanuel Daoud au nom de RSF et de la famille de la journaliste Daphne Caruana Galizia vise en particulier l’homme d’affaire Yorgen Fenech, le chef de cabinet du Premier ministre maltais Keith Schembri et le ministre du Tourisme Konrad Mizzi, qui viennent de démissionner.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 3 décembre 2019.
Reporters sans frontières (RSF) et les membres de la famille de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia ont déposé plainte ce mardi 3 décembre auprès du parquet national financier et du procureur de la République de Paris pour complicité d’assassinat et corruption active et passive.
La plainte déposée ce jour par Maître Emmanuel Daoud au nom de RSF et de la famille de la journaliste vise en particulier l’homme d’affaire Yorgen Fenech, le chef de cabinet du Premier ministre maltais Keith Schembri et le ministre du Tourisme Konrad Mizzi, qui viennent de démissionner.
RSF et des membres de la famille suspectent Yorgen Fenech d’avoir utilisé des revenus générés par des actifs qu’il possède en France pour corrompre ces deux responsables politiques maltais afin d’obtenir l’attribution d’un important marché public – sur lequel Daphne Caruana Galizia enquêtait au moment de sa mort – mais aussi à payer les auteurs de l’attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à la journaliste le 16 octobre 2017.
La journaliste d’investigation dénonçait régulièrement sur son blog “Running commentaries” la corruption de la classe politique maltaise. Dans le cadre de son enquête sur l’attribution d’un marché public pour la construction et l’exploitation d’une centrale électrique à Malte, elle avait révélé l’existence d’une société basée à Dubaï, 17 Black, utilisée pour réaliser des transferts d’argent suspects.
Après sa mort, un collectif de médias a poursuivi son enquête et révélé que la société 17 Black appartenait à Yorgen Fenech, par ailleurs dirigeant de la société Electrogas Malta, qui s’était vu attribuer le marché de la construction et l’exploitation de la centrale électrique en question.
Dans leur enquête collaborative intitulée “Daphne Project”, les journalistes ont par la suite révélé des mails entre la société 17 Black et deux sociétés écrans établies à Panama, appartenant respectivement à Konrad Mizzi et Keith Schembri. Ces mails évoquaient des virements de sommes pouvant s’élever jusqu’à deux millions de dollars pour des services non spécifiés. RSF et la famille de la journaliste suspectent que ces versements ont servi à rémunérer ces hauts responsables politiques maltais pour l’attribution de ce marché public, l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia étant la conséquence directe de la corruption dénoncée par cette dernière au sein du gouvernement maltais.
L’homme d’affaires Yorgen Fenech a finalement été arrêté le 15 novembre dernier alors qu’il tentait de fuir l’île et a été mis en examen pour complicité dans l’assassinat de la journaliste. Il a désigné le chef de cabinet du Premier ministre, Keith Schembri, comme le « vrai commanditaire » de l’assassinat.
Suite à ces développements, RSF et la famille Caruana Galizia,aidés par l’avocat Emmanuel Daoud, ont découvert que Yorgen Fenech possédait d’importants actifs en France, notamment l’hôtel Hilton d’Evian-les-Bains. L’homme d’affaire maltais est par ailleurs propriétaire d’une écurie de chevaux de course en France, qui a généré des gains de plusieurs centaines de milliers d’euros entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2017. Au vu de ces éléments, les plaignants considèrent que le parquet national financier ou le procureur de la République près le tribunal de grande Instance de Paris doivent ouvrir une enquête préliminaire ou une information judiciaire.
“La mort d’une journaliste dans un pays de l’Union européenne ne peut rester impunie, déclare le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire. Dès lors que les actifs en France d’un des probables commanditaires ont pu servir à rémunérer les auteurs de ce crime odieux, la justice française doit enquêter et contribuer à l’établissement de la vérité sur l’assassinat. ”
Malte occupe le 77e rang sur 180 pays au Classement de la liberté de la presse 2019 de RSF, après avoir chuté de 30 places ces deux dernières années.